Vous êtes quelques uns à regretter que nos posts ne contiennent pas davantage de photos...... tout comme vous êtes également quelques autres à penser qu'il n'y a pas besoin de photos et que la lecture suffit à nourrir l'imagination !
... où trouver le juste milieu ?! :-)
Il n'est jamais facile de contenter tout le monde...
Toutefois, nous devons bien avouer qu'en jetant un coup d'oeil aux posts de Mazurie, nous avons publié assez peu d'images. Voici donc ci-dessous pour les uns une petite sélection de paysages traversés dans ce 'poumon de Pologne'.. pour les autres qui préfèreraient ne pas voir et rester libre d'imaginer, ils sont toujours libres de ne pas regarder !
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dimanche 20 novembre 2011
mardi 15 novembre 2011
La Lituanie approche...
Le corps est tout de même drôlement bien fichu...
Sans qu'on n'ait à y penser, il sait s'adapter pour préserver son intégrité. Voilà déjà quelques semaines que nous sommes partis, et les premiers signes d'adaptation se font clairement sentir : là où une douleur aiguë se faisait sentir au niveau des cuisses après quelques heures d'effort, en particulier lorsque quelques raidillons se présentaient devant nos roues, une douleur beaucoup plus intérieure et plus mesurée prend peu à peu place : pour un même effort, après un nombre équivalent d'heures, la douleur devient de plus en plus grave, plus inerte, et de plus en plus 'svelte', se concentrant de plus en plus au cœur du muscle. Comme si le muscle peu à peu devenait engourdi sur toute sa périphérie : il gagne en puissance ce qu'il perd en douleur.
Il faut avouer que c'est assez extraordinaire !
Il faut passer quelques heures à pédaler, et pour être plus exact, plusieurs années pour arriver à 'dessiner des contours' de douleur, et on imagine aisément la perplexité de ceux qui liraient ces lignes sans ne jamais avoir 'éprouvé' ces nuances. C'est un apprentissage, une écoute tournée vers notre corps, pour savoir entendre ce qu'il a à nous dire : un coup de mou, un virus qui couve, ou tendon qui commence à renâcler... ou au contraire, un état de forme qui pétille, une fraîcheur débordante ou une vibration de plénitude et de 'présence'.
Pour qui sait écouter, un dialogue intime s'ouvre alors avec soi-même, et l'on apprend à connaître cet 'autre soi', qui s'avère souvent de très bon conseil, que ce soit pour notre propre santé, ou de manière plus générale, pour notre propre bien-être (on arrive même alors à savoir si cela grattouille ou chatouille...).
Aussi peut-on se demander comment on en arrive parfois à se lancer de grandes torgnoles dans la tronche, comme précisément à cet instant...
Le chemin de sable n'a bien sûr mené à aucun camping. Nous voici en pleine forêt, au bord du lac... et effectivement, nous sommes en train de nous mettre de grandes torgnoles sur la tronche, jurant mâchoires serrées tout ce que nous trouvons à dire pour exulter cette rage...
Non pas celle d'avoir poussé notre embarcation sur quelques kilomètres de sable en fin de journée, mais bel et bien d'avoir dû sans cesse batailler pour exterminer cette vermine qui nous suce littéralement le sang. Des dizaines de moustiques voraces nous pompent la moelle chaque minute... et sans exagérer (c'est une expérience inédite) : le moustique s'avère un véritable adversaire qui rend littéralement fou.
Nous avons enfilé pantalons, vestes et même bonnet, mais il reste toujours une vingtaine de phalanges à sucer au bout des mitaines, ainsi qu'un peu de peau au niveau de la cheville, sans parler bien sûr du visage...
Une halte suffit à les exterminer. Mais il suffit de refaire dix mètres de plus pour traîner une nouvelle bande. A ce rythme là, les kilomètres s'avèrent extrêmement longs...
La seule solution à cette heure tardive: accepter de perdre une bataille, se hâter de monter la tente, et se réfugier (le mot n'est pas exagéré) à l'intérieur de la moustiquaire. Une opération qui prend une petite dizaine de minutes, soit une éternité à trépigner des pieds entre rage et démence grandissante avant de plonger enfin dans l'abri salvateur...
Ce sera une nouvelle nuit en sauvage. Bercée par le doux sifflement d'une meute de suceurs de sang toujours plus nombreux au dessus de nos têtes : ces vampires s'immiscent en effet par le dessous de la toile extérieure, et reprennent de l'altitude le long de l'intérieur de la toile, jusqu'à ce que le sommet ne les tienne prisonniers, comme le ferait un système de nasse. Fort heureusement, la moustiquaire intérieure remplit son rôle à merveille...
Au petit matin, la rosée dégouline à l'intérieur de la toile extérieure, suffisamment collante pour que nous puissions prendre notre revanche et gagner la guerre : par de joyeux coups de poings, nous plaquons la moustiquaire sur la toile extérieure, réduisant à bouillie (ou en marmelade) ces escadrons de la mort.
En quelques minutes, plusieurs centaines de kamikazes trouvent ainsi le tragique sort qu'ils méritaient. Une excellente manière de débuter la journée...
Il est à peine six heures. Un faon nous regarde non loin, se demandant s'il doit venir nous rendre visite ou déguerpir. La brume se dissout peu à peu, et quelques cônes dorés se frayent un chemin à travers brume et branches de sapins.
Pas un seul de ces saloperies de suceurs n'a encore pointé sa trompe.
L'humidité de la nuit semble avoir 'gelé' la surface de sable. Bizarrement, le chemin semble comme une crème brûlée : mou en dessous avec une surface dure et cassante au dessus. Comme du verglas. Nous pouvons ainsi parfois y rouler sans encombre, avant que, sans prévenir, la croûte ne s'affaisse et que la roue avant ne chasse... et comme pour le verglas : plus on va vite et moins il y a de chance qu'il craque... mais quand il craque, c'est la gamelle assurée.
Un petit jeu marrant au petit matin...
En bord du lac, nous apercevons plusieurs petits baraquements isolés. Des baraquements de bois ou de tôle, qui correspondent davantage à des cabanes, et qui semblent habitées. Des boîtes de conserve sont découpées, dépliées et clouées à un mur. Des sacs de plastique sont ajoutés sur les tôles ondulées du toit, recouverts d'une couche d'épines de sapin. Parfois, un tuyau sort de terre, relié à un robinet de fortune... s'agit-il de vraies habitations ou simplement de cabanes de pêcheurs ?
Nous croisons une vieille dame, qui pousse son antique bicyclette dans le sable. Nous lui adressons un salut sans sourire. Sourire peut parfois étrangement s'apparenter à une insulte, et nous sentons qu'en cet instant, ce serait le cas. Son regard est bestial, mauvais... un grognement nous est servi pour toute réponse.
Enfin nous retrouvons une route. Et du bon vieux bitume.
Nous pouvons de nouveau adopter une moyenne horaire à deux chiffres...
Suwałki, la dernière ville de Pologne que nous traverserons s'annonce déjà à quelques signes qui ne trompent pas.
Le premier est un jeune homme, croisé au milieu de nulle part, sac à dos posé sur le ventre : ce sac à dos est grand ouvert et crachouille les décibels de la radio qu'il contient. Une compagnie de marche pour ce jeune homme coiffé d'une casquette de marque. Le second, en bord de bourg, au bout d'un parking de gravier blanc, un bâtiment parallélépipédique de tôle grise piquée et de rouge rouille, arborant une enseigne sur fond de flamme : le club disco 'MIAMI'. Le troisième enfin, un écriteau SONY, les pieds dans le blé, nous promet une offre exceptionnelle en sacrifiant l'écran plat 40' à 1777sl. au lieu de 2199, avec tout de même 4 ports HDMI, 2 ports USB, ainsi qu'un décodeur MPEG64... ah, si on avait un peu de place dans notre remorque.
Et effectivement, axone accolé à la N8, Suwalki se présente à nous, arborant fièrement son 'Suwalki Plaza', gigantesque complexe de boutiques à donner le vertige...
… à voyager à vélo, ces drôles de bulles géographiques si concentrées deviennent terriblement irréelles.
En périphérie, un groupe de tout jeunes adolescents sprintent sur les trottoirs. A bord de leur BMX, jambes tournant à 2500 tours minute et pupilles dilatées, les voici lancés à notre poursuite, bondissant à chaque fin de trottoir dans de drôles de bruits mécaniques. Cent mètres déjà, puis deux cents, et cent de plus... un grupetto se forme déjà, tandis que la tête des poursuivants approche. Les petits drapeaux de la carriole sont visés, l'heure est grave, il va falloir accélérer : nous voici dans un bon faux plat, l'endroit idéal pour le guet-apens... ralentir juste ce qu'il faut pour donner l'illusion d'être à bout, user l'adversaire avant de donner le coup de rein qu'il faut, in extremis, pour décourager les plus tenaces... l'inertie n'est pas à notre avantage, mais la manœuvre s'avère efficace : la tête des poursuivants décroche... les jambes tournent à présent à 68 tours minutes, quelques cris essoufflés de rire et de désolation, nous faisons un coucou dans un concert de klaxon à poire, avant de nous retourner pour de bon : la Lituanie n'est plus qu'à trois petites heures de nous...
Le long de la route, des vieillards portent des jerrycan d'eau.
Le vent s'est peu à peu levé et l'orage menace. Nous filons à plus de trente à l'heure.
En bord de route, des églises en bois apparaissent. Nous croisons une famille, à pied. L'ancien, veste repliée sur le bras, moustaches sous le béret, marche deux cents mètres devant. Derrière, la femme tient dans chaque main un enfant. Cheveux en bataille, elle semble respirer fort. Suffisamment pour que nous constations que les incisives lui manquent. Peut-être a-t-elle la quarantaine.
L'orage éclate d'un coup, comme si la poche de son manteau avait craqué. Nous trouvons refuge sous un abri bus, lui aussi de bois. Un homme passe à vélo, bras nus, pantalon de toile et ballerines aux pieds. Il nous voit, et hausse les épaules, goguenard, tout en continuant son chemin.
Trois coups de tonnerre plus tard, nous entendons sa roue libre se rapprocher : revoici notre courageux homme, avec qui nous partageons à présent le petit banc... il tient entre ses lèvres un mégot, éteint. Son briquet tousse quelques étincelles, puis expire. Notre bonhomme marmonne tout seul quelques minutes durant, crache un bon gros glaviot à terre, se lève, nous salue en nous serrant chacun la main et pousse un hurlement pour le moins inattendu : 'Vive la France !', et sur ce, s'en va chevaucher sa bicyclette sous la pluie toujours aussi battante.
A travers le grondement de la pluie, nous entendons encore tinter son casier...
Une mésange est venue faire sa toilette dans la large flaque qui sépare l'abri bus de la route. Elle barbote gaiement, pattes immergées, trempant volontiers le bec en battant des ailes. Autour d'elle, les petits ronds grandissants disparaissent peu à peu. Un peu de ciel bleu, quelques petits nuages en surface du bitume.
Le moment de reprendre la route.
Le moment de reprendre la route.
vendredi 11 novembre 2011
Le moustique et le cheval
On nous avait prévenus : attention aux moustiques, prévoyez les bombes anti-moustiques!
Alors, bons petits soldats, on a prévu. On a trouvé une bonne bombe bien parfummée et bien toxique pour éloigner ces moustiques intempestifs...
Mais on n'avait pas prévu que les moustiques aussi sont de bons petits soldats: on en tue un, il en arrive dix!
Et ils ne renoncent pas si facilement! Bien sûr notre bombe à la citronnelle les empêche de se poser sur notre peau pendant quelques minutes, mais l'effet n'est pas éternel... et nos cuissards sont tellement imprégnés de sueur, qu'ils piquent au travers!
Ahh, si nous avions un bon cuir de cheval...
Voyez plutôt...
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Alors, bons petits soldats, on a prévu. On a trouvé une bonne bombe bien parfummée et bien toxique pour éloigner ces moustiques intempestifs...
Mais on n'avait pas prévu que les moustiques aussi sont de bons petits soldats: on en tue un, il en arrive dix!
Et ils ne renoncent pas si facilement! Bien sûr notre bombe à la citronnelle les empêche de se poser sur notre peau pendant quelques minutes, mais l'effet n'est pas éternel... et nos cuissards sont tellement imprégnés de sueur, qu'ils piquent au travers!
Ahh, si nous avions un bon cuir de cheval...
Voyez plutôt...
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Qu’est ce qu’un pays ?
Tandis que nous nous approchons peu à peu de la Lituanie, un drôle de sentiment nous gagne : nous ‘sentons’ que le pays, cette Pologne, s’éloigne peu à peu de nous, bien que nous n’ayons pas encore franchi la frontière.
Un sentiment semblable à celui d’un jour de fête, lorsque l’on se promène dans les quartiers alentours de la ville, en entendant toujours, decrescendo, la musique et les rires qui émanent de la grande place.
Les rires et la quiétude se font en effet depuis quelques jours de plus en plus rares.
Les villages, déjà épars, ont pris encore plus de distance les uns par rapport aux autres.
De fait, les routes ont adopté à nouveau le pavage plus ou moins rigoureux. Les quelques minuscules hameaux qui les bordent, arborent quant à eux de nouveau grillage et chiens de garde. Le nombre de personnes croisées, déjà faible, s’est encore considérablement réduit. Et les visages, peu à peu fermés, se font de nouveau peu amènes.
Une ‘terre du bord’, qui se différencierait de la ‘Terre du Milieu’, et qui ne serait déjà plus en Pologne, sans pour autant être en Lituanie. La Biélorussie n’est d’ailleurs pas très loin non plus… tout comme l’enclave de Kaliningrad.
… nous voici en fait dans une espèce de zone intermédiaire qui ne saurait pas très bien dans quelle case cocher à la question ‘nationalité’, et qui comme conséquence directe, ne voit guère d’un bon œil arriver tout individu tombé du ciel, qui plus est, lorsque celui-ci arpente le relief à bord d’une d’embarcation aussi incongrue qu’une machine tractée par la force humaine...
Car ici aussi, le vélo n’est plus un objet de rêve, de performance ou d’évasion, et encore moins un sympathomètre, un réceptomètre ou autre bizarrerie de tordus du neurone. Il a retrouvé sa fonction première : celle de se déplacer, à peine plus rapidement qu’à pied.
Pour rejoindre la ferme, le bar, l’étang…
...
De fait, les deux seuls représentants du grand règne vélocipèdique que nous croisons arborent avec grand peine tantôt un panier au cliquetis caractéristique (qui expliquerait d’ailleurs sûrement la trajectoire par trop oscillatoire de son embarcation… mais méfions-nous des raccourcis trop rapides), tantôt un sac à dos de toile usée d’où dépassent les 4 pieds d’un tabouret ainsi que quelques vergillons de vieilles cannes.
Dans les deux cas, le salut que nous tentons entre frères de monture et de souffrance (la dure épreuve du pavé…) se solde par un franc camouflet.
Devant tant de sympathie, nous préférons dès lors trouver notre bonheur chez le batracien suicidaire. Cette petite bête, pour notre plus grand amusement, semble en effet avoir inventé une nouvelle forme du jeu à risque bien connu : la roulette russe.
Il ne s’agit pas là de faire tourner le barillet du revolver avec un certain nombre de balles, mais la logique est la même : la route est faite de pavés entre lesquels se trouve parfois un petit creux où le batracien peut se réfugier lors de sa traversée.
Au bout de chaque bond, le suspens : certains gagnent… et certains perdent.
Ce petit jeu morbide est certes puérile, mais suffit à notre bonheur lorsque nul signe de sympathie ne semble être escomptable de la part des autochtones… toujours veiller à trouver une source de réjouissance en toute circonstance… fût-elle inavouable.
Les perdants ne sont pas perdus pour tout le monde : de vieilles personnes toutes voûtées se penchent parfois sur le bord de route et amassent ces malheureux dans de petits sauts. De belles coquilles baveuses les y rejoignent. Des protéines pour le souper.
Ce sont les mêmes protéines qui craquent parfois sous nos roues lorsque nous préférons rouler sur le bord de chaussée, quand le sol, de plus en plus sableux, le permet.
… nous devrions certainement au moins essayer de les éviter….. c’est vrai.
…
Un chien aboie.
Nulle caravane ne passe, mais cela nous permet d’anticiper : il doit se trouver non loin de là une ferme, peut-être même un groupe de maisons.
Et effectivement, quelques plumes apparaissent en bord de talus, picorant avec une vivacité zélée quelque brin d’herbe avant qu’il ne s’échappe.
De vieux squelettes d’engins agricoles en finissent de dépérir, quelques tas de pneus, de gravas, de bois : voici le corps de ferme. Le chien est fou, et se promène la gueule en l’air debout sur ses pattes arrières en dessinant au sol un arc de cercle parfait. D’un rayon rigoureusement égal à la longueur de chaîne qui lui entoure le cou, et qui, fort heureusement pour nous, à en croire son tintement si grave, semblerait pouvoir contenir un buffle.
Cour carrée, dans la continuité du bâtiment principal. Au dessus des marches de pierre, voutées par les années, la porte principale, très large, et grande ouverte. Une silhouette occupe l’embrasure: celle du maître des lieux. Pouces rentrés dans le pantalon de chaque côté du bassin et bretelles tendues, il garde la pose, raide comme un bâton, regard fixé en notre direction. Aiguisés comme une lame de faux, deux petits points brillants qui nous guettent sous la visière du béret. La langue du chien commence à pendre, et quelques traits de bave se tendent à chaque saut. La tête du maître pivote. Lentement... telle un périscope.
A la troisième grenouille zigouillée (environ 2 kilomètres plus loin), nous entendons encore le chien s’étrangler, et sentons toujours le poids de ce regard sur nos nuques.
Sûrs que le maître n’a toujours pas bougé d’un pouce… bretelles toujours tendues.
D’instinct, il nous semble judicieux d’attendre encore un peu pour demander où passer la nuit…
Sur la carte, un camping est indiqué dans un village en bord de lac, à une quinzaine de bornes de là…
Le village en question s’avère pour ainsi dire quasi désert. Les poules se promènent en travers de la rue principale, une drôle d’allée cabossée, piste de galets tassée en demi dévers…
Au fur et à mesure que la ola canine ‘trahit’ notre présence, quelques rideaux bougent à notre passage. En particulier lorsque nous retraversons la rue en sens inverse, puis de nouveau dans l’autre sens.
Rien à faire, le village est en cul de sac, et aucune trace de ce fameux camping.
Tandis que nous nous apprêtions à traverser le village une quatrième fois pour repartir, un homme s’est posté en travers de la route. Multipliant les politesses et bredouillant le peu de vocabulaire que nous avons pu cumuler ces derniers temps, nous essayons de lui faire comprendre que nous ne sommes pas animés de mauvaises intentions... L’homme après quelques grommellements finit par nous indiquer un petit chemin non loin de là, visiblement satisfait de se débarrasser de nous.
Le chemin pourrait être caractérisé de sentier à vache, et se perd entre les joncs, tout en s’approchant du lac. C’est une voie sans issue, qui nous mène toutefois après quelques kilomètres à une propriété bien gardée.
Une femme apparaît dans l’embrasure de la porte, à vingt bons mètres de nous, mains cachées dans les manches. Sourcils froncés, elle s’efforce visiblement de parler. La niche se trouve à mi-distance du chemin qui nous sépare...
Un pas en avant ne fait que redoubler la rage du molosse.
Sa maîtresse n’avance toujours pas.
Nous enlevons casque et lunettes, sourions, et tentons un pas de plus. Ces derniers jours de camping sauvage suffisent, et la perspective d’une bonne douche aide à recouvrer un extra d’audace. Le molosse ne semble pas plus amadoué.
Un homme nous surprend par la droite : bourriche dans une main, canne dans l’autre, il ne semble pas non plus ravi de nous voir. La femme décide enfin de nous rejoindre.
Il n’y a jamais eu de camping. Ou alors c’était il y a longtemps… ou ils ont oublié… enfin, ils ne veulent pas. Nous sommes invités à rebrousser chemin pour faire le tour du lac et aller voir de l’autre côté. Une quinzaine de kilomètres par la route proposée. Peut-être deux ou trois par le chemin que nous montrons sur la carte… si nous réussissons à traverser l’écluse un peu plus loin.
Cette écluse est gardée, et verrouillée. Et la clef n’est pas ici. Et puis, paraît-il, notre embarcation ne passera jamais. Ou alors si… ou peut-être que non. Difficile de suivre une discussion entre un homme et une femme qui s’engueulent plus qu’ils ne parlent à travers les aboiements du molosse, et le tout en polonais… mais a priori, c’est en gros la teneur du discours.
Toujours est-il qu’en mimant fatigue et découragement, le tout avec un zest de supplication dans le regard, nous vîmes devant nous une clef se matérialiser, et fûmes enfin invités à suivre ce drôle de couple en direction de l’écluse. Une autre femme entre temps est sortie à son tour, et nous suit à quelques pas en retrait. Nous voici bien escortés.
L’écluse : le temps de désolidariser la remorque du tandem, de passer l’une puis l’autre, la voici franchie en moins de deux minutes. L’occasion pour madame de montrer à son mari combien il est idiot : il voit bien que ça passait !...
Nous franchissons la grille, qui se referme aussitôt dans un claquement explicite. La clef tourne à double tour, et nos charmants hôtes s’en retournent vers leur chaumière.
…
La route forestière est en fait une piste de sable ; il nous faut pousser…
… que de souvenirs.
jeudi 10 novembre 2011
Devinette n°7 : frontière...
Voici une devinette, une vraie de vraie pour ceux qui aiment à se torturer les neurones...
Certains la connaîtront peut-être et nous leur prions de ne pas vendre la mèche.
Question : comment rejoindre ces 9 points en ne tracant, sans relever le crayon, que 4 lignes ?
Certains la connaîtront peut-être et nous leur prions de ne pas vendre la mèche.
Question : comment rejoindre ces 9 points en ne tracant, sans relever le crayon, que 4 lignes ?
Réponse devinette n°6 : le choix...
Avant de poursuivre notre récit, il restait à solder une énigme laissée en suspens : celle du choix crucial des desserts qui s'offrait à nous lors de la consultation de la carte du restaurant, bien évidemment écrite en polonais...
Ne disposant pas de Google/traduction sous la main, nous avons par la force des choses fait notre choix 'en aveugle', nous exposant ainsi à la Grande Incertitude...
Un petit clin d'oeil qui démontre combien le 'confort du choix' s'immisce partout dans nos habitudes, jusque dans le choix du dessert, balayant allégrement toute incursion de l'incertitude.
Et c'est ainsi que le monde ouvert de l'enfance, à l'âge adulte, risque de peu à peu tourner en vase clos : le vase de nos expériences connues.
Sachez toutefois ce à quoi ressemble un 'chrupiące jabłuszka z pieca z sosem jogurtowo-cynamonowym' :
Ne disposant pas de Google/traduction sous la main, nous avons par la force des choses fait notre choix 'en aveugle', nous exposant ainsi à la Grande Incertitude...
Un petit clin d'oeil qui démontre combien le 'confort du choix' s'immisce partout dans nos habitudes, jusque dans le choix du dessert, balayant allégrement toute incursion de l'incertitude.
Et c'est ainsi que le monde ouvert de l'enfance, à l'âge adulte, risque de peu à peu tourner en vase clos : le vase de nos expériences connues.
Sachez toutefois ce à quoi ressemble un 'chrupiące jabłuszka z pieca z sosem jogurtowo-cynamonowym' :
(Chrupiące : croustillant ; Jabłuszka : les pommes ; Cynamonowym : cannelle)
Ainsi qu'un 'Nalesniki z smażonymi bananami i bitą smietaną' :
(Nalesniki : Crêpe ; Smażonymi : flambé ; bitą smietaną : crème fouettée ; bananami.... voyons... aucune idée ?)
Et tout est bien qui finit bien...
jeudi 3 novembre 2011
Sens de lecture
Pour ceux qui seraient surpris de découvrir la conclusion en guise d’introduction, un petit coup d’œil à la date de publication devrait répondre à leur perplexité : la structure du blog est ainsi faite que les derniers messages publiés apparaissent en haut de la liste.
Pour parcourir cette rubrique dans le sens de lecture, il vous suffit de consulter en bas de page le lien ‘messages plus anciens’ pour retomber au début !
Semaine spéciale : conclusion
Avant de retourner dans le fil de notre récit de voyage, voici pour clore cette page spéciale une chanson dont on aurait bien du tort de se passer, ainsi qu’un petit bouquin qui trône sur notre table de chevet depuis des années, et que nous vous recommandons vivement…..
A bientôt !
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(paroles et traduction sur le lien suivant)
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Devinette : traquer l’anecdotique
Avant de clore cette page spéciale, voici un petit exercice.
Vous vous souvenez peut-être de ce tableau , évoqué dans l'article 'la chasse aux publiphores – 1er acte' ?
Pour rappel, il s’agit du 'départ des poilus', de l'américain Albert Herter, peint en souvenir de son fils tué en France lors de la première guerre mondiale.
C’est un exemple de ce genre de choses qui nous entourent et qui nous restent invisibles lorsque l’on reste ‘prisonnier’ de nos filets.
Et de tels exemples ne manquent pas.
Pour vous entraîner à traquer l’anecdotique, et nourrir votre monde de découverte, voici une petite devinette pour laquelle nous ne vous apporterons pas la réponse.
Il vous suffira, lors de votre futur passage en gare de l’Est, de rester quelques instants devant ce tableau, et de chercher.
Et si vous n’avez pas l’occasion de vous y rendre, certainement connaissez-vous quelqu’un qui y passera ?...
Découvrir le monde n’est pas forcément un chemin solitaire……..
La question : Saurez-vous retrouver ce que cet homme est en train de photographier ?
Bon voyage dans l’immensité…
Découvrir le monde au quotidien
'How many roads must a man walk down, before you call him a man'…
Blowin'in the wind - Bob Dylan
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Blowin'in the wind - Bob Dylan
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Bien sûr, tout cela est bien joli, entend-on déjà, mais tout le monde ne peut pas comme ça, prendre un vélo et partir à l’autre bout de la planète!
Non pas que tout le monde ne sache pas faire de vélo, mais plutôt, nous le comprenons bien : cela demande du temps, ou même de l’argent, et puis il y a des obligations, les enfants, le travail, les factures et le contrôle technique…
Tout cela est vrai, mais n’est en rien antinomique avec la découverte directe du monde.
La liberté, petite sœur de la découverte, se construit.
Et n’a pas besoin d’un voyage à l’autre bout de la terre pour se sentir vivre. Elle peut aussi, avec quelques précautions et de bonnes résolutions, trouver sa place dans nos quotidiens d’hommes pressés.
Bien sûr, il y aura toujours des esprits chagrins qui trouveront de vrais faux arguments pour démontrer qu’ils n’y peuvent rien et sont définitivement prisonniers, qu’ils n’ont pas le temps… ou que tout cela est si inconfortable.
Tout cela n’est au fond qu’un choix de vie, qu’il appartient à chacun de construire avec le temps qu’il lui est imparti, et qui lui appartient en propre (ou sinon peut-être, à la pendule d’argent qui ronronne au salon…).
Et la question ‘dans quel monde vit-on ?’, que l’on entendra parfois, peut en effet aussi bien être suscitée par une réelle et dévorante curiosité, à ce point impérieuse qu’aucun argument ne puisse en venir à bout, que son sentiment presque contraire : une désolation qui se suffise à elle-même, bien aise et confortable, un peu comme sa petite sœur actuellement en vogue, l’indignation.
Entendons-nous bien, désolation et indignation ne sont en rien des sentiments critiquables : ils sont le point de départ d’un élan, d’un mouvement qui vise, au prix d’un travail patient et assidu, à une transformation permettant parfois de retrouver la sérénité. Ils ne sont pernicieux que lorsqu’ils se suffisent à eux-mêmes : la désolation pour le plaisir de se désoler. L’indignation pour le plaisir de s’indigner (à ce propos, consulter l’excellente rubrique de Raphaël Enthoven ci-dessous).
Tout juste sont-ils des points de départ.
En aucun cas des solutions : ils n’apportent de facto aucun remède avec eux.
Aussi nous adressons-nous ici à tous ceux qui, en se demandant dans quel monde nous vivons, ont réellement à cœur de le découvrir.
Et pour le découvrir, rien de plus propice pour cela que de laisser dans nos quotidiens une petite chance à la découverte…
En veillant à rompre les habitudes.
Sans attendre la panne de véhicule ou l’intempérie.
Exposition 'CAR CULTURE - Medien der Mobilität' au ZKM de Karlsruhe
Der 'Käfer' (la coccinnelle) y est assimilée à der 'Käfig' (la cage)
Vous pouvez pour cela consacrer votre temps de transport à un mode ‘ouvert et concret’, qui s’opposerait à la bulle imperméable de votre véhicule personnel bercé d’ondes radio. Vous rendre au travail à pied, ou à vélo. Prendre l’air, se laisser surprendre par toutes les petites transformations du quotidien, de la végétation, des gens que vous croisez.
Si votre travail est trop loin, pourquoi ne pas opter pour le bus ou le train ? Là encore, si vous ne piquez pas aussitôt du nez dans la presse que l’on vous aura remise en main propre, vous constaterez que tout une petite vie se déroule sous vos yeux : la révision ultime de la poésie de l’écolier, récitée à haute voix, le grelot de l’arlequin, jour de Carnaval, la scène du drame du premier amour adolescent, la discussion de gens simples, empreinte d’humour ou d’inquiétude, le bavardage de grand-mères, la lecture de contes pour enfants, le chapeau haut de forme du groupe d’adolescent, jour de St Patrick, la soutane bien repassée d’un évêque, etc., etc… bien sûr, dans ce petit échantillon d’humanité, vous croiserez quelques-uns de ces ‘cas sociaux’ comme on les appelle, personne patibulaire, parfois fortement imbibée et quelque peu incohérente, prétexte parfois (ou plutôt souvent) évoqué pour préférer prendre le véhicule personnel… de nouveau l’eau du bain.
Si cela suffisait pour vous en remettre à la voiture, pourquoi dans ce cas ne pas baisser les fenêtres, juste un peu, et quelques minutes, à un endroit bien choisi ? Peut-être par cette petite ouverture sur le monde, un parfum, un chant d’oiseau ou quoique ce soit qui puisse égayer votre journée vous parviendra…
Puisque nous parlons de transport, et que vous avez préféré prendre votre véhicule, pourquoi ne pas varier votre itinéraire ? Rompre avec l’habitude signifie aussi parfois renoncer à un réflexe d’efficacité : pourquoi ce soir, ne feriez-vous pas un crochet par le bord de rivière ? Etes-vous à 5’ ?
5’ par jour, c’est une demi-heure par semaine, ou 2 heures par mois.
Vous pouvez bien sûr préférer prendre ces deux heures d’un seul coup. Vous les offrir une fois par mois pour donner sa chance à la découverte. Vous poster à un endroit, et rester sur place, pour vous laisser imprégner par le lieu. Cela peut être en pleine nature (grimper à un arbre et y rester une heure, se poster à un bord de rivière…) ou en pleine ville (déambuler sur un quai de gare, s’asseoir à la terrasse d’un café d’une grande place…). Peu importe où, à partir du moment où vous ‘provoquez l’imprévu’, et vous rendez disponibles. Vous pouvez même ‘choisir’ de rater votre correspondance, et déambuler en attendant le train suivant autour de la gare…
Varier les lieux près de chez vous : il y a tout un tas d’endroits autour de chez vous qui vous sont encore inconnus. Laissez-vous surprendre en vous rendant à l’office de tourisme le plus proche : une fois de plus, nul n’est besoin de se rendre à l’autre bout de la planète pour découvrir… cela commence déjà par le petit bout de sentier au coin de la route. Et quand bien même vous connaîtriez tous les sentiers autour de chez vous, il vous restera toujours une ligne droite à tirer entre chez vous et un point pris au hasard et qui vous fera traverser une parcelle non explorée… que ce soit en campagne ou en ville (connaissez-vous les traboules de Lyon ?). Et si vous êtes en ville, avez-vous déjà pensé à l’espace dans sa hauteur ? Etes-vous déjà montés au sommet du clocher de l’Eglise ?...
Au-delà de la multiplicité des lieux, variez également les conditions de découverte d’un même lieu: un même paysage n’est pas le même au printemps, en été ou même en hiver (idem pour l’automne bien sûr)… cela est bien connu, mais pourquoi ne pas continuer à varier les possibilités ? Profiter d’un jour de neige pour découvrir ce même lieu, et puisque le sol est si clair, pourquoi ne pas s’y promener de nuit, par nuit de pleine lune ? Ou contempler l’aube, apprécier le même paysage sous une lumière tamisée, du soir ou du matin, de brume ou de rosée, de gelée pastelle ?…
Vous le voyez, les possibilités sont nombreuses de se laisser surprendre. Le tout bien sûr, est de veiller à ne pas se laisser enfermer dans des réflexes, des routines, des habitudes…
… ou même encore par la nécessité.
Lorsque vous vous rendez en ville, qu’allez-vous y faire précisément ?
La ville est un lieu infini de possibilités dans laquelle il faut apprendre à se perdre.
Pourquoi ne pas se tromper volontairement de bouton lorsque vous vous trouvez dans l’ascenseur d’un bâtiment administratif, ou d’un hôpital, ou tout autre lieu public ? Vous pouvez vous rendre dans une bibliothèque, dans un café, dans un gymnase… le nombre d’endroits ‘publics’ où l’on ne se rend pas est immense. Avez-vous déjà assisté à une séance du tribunal ? Le peuple y est bien sûr chez soi, c’est écrit. Avez-vous déjà assisté à un conseil municipal ? Là aussi, vous y êtes chez vous en tant que citoyen. Autre genre : des salles de musculation vous sont aussi accessibles. Des piscines, en tant que visiteur, sont accessibles gratuitement. Vous pouvez vous rendre aux abords des stades (souvent gratuits hors des villes), ou dans les gymnases pour assister à des compétitions de judo, des galas de danse… après tout, pourquoi ne vous rendre qu’aux endroits qui vous plaisent ? Vous pouvez allier le tournoi national d’échecs à l’élection de miss T-shirt mouillé, l’élection de monsieur muscle univers au concert des petits choristes à la croix de bois ou encore pogoter devant une scène de hardeux survoltés en revenant d’un tour au zoo…
Et vous pouvez même visiter des appartements à louer sans en avoir besoin !...
Vous le voyez : les possibilités sont quasi infinies… et tout ce qu’il faut réussir à surmonter pour s’ouvrir à cette immensité, ce sont ces filets jetés autour de nous, qu’ils soient extérieurs, ou intérieurs.
Pour qui souhaiterait découvrir ‘dans quel monde nous vivons’ de manière concrète, il lui ‘suffit’ tout d’abord de prendre conscience de tout filet abstrait qui lui est jeté dessus de toute part, et d’apprendre à se méfier de ces incursions, sinon de s’en extraire…
Photo de Helmut Herzfeld, dit John Heartfiled - 1930
(Nous laisserons ici au lecteur le soin de traduire les quelques mots en bas de photographie)
… ainsi que de s’ouvrir à ce qui l’entoure : surmonter pour cela sa ‘peur de l’inconnu’, mot vaste et indéfini, mais qui commence déjà par l’autre. Oser par exemple lui adresser la parole, ou accepter une éventuelle invitation de sa part sans céder au réflexe trop humain de la fuite…
… ou du confort…
… ou de la sécurité.
mardi 25 octobre 2011
Alors, dans quel monde vit-on ?
"Ne demande jamais ton chemin à quelqu'un qui le connaît, car tu pourrais ne pas t'égarer".
Proverbe yiddish, attribué au Nahman de Bratslav---------------------------------
Dans quel monde vit-on… la bonne question.
Notre monde est une patatoïde d’environ 500 millions de kilomètres carrés, et dont le tour de taille mesuré au nombril équatorial mesure un peu plus de 40 000km. Autant dire, un sacré terrain de jeu, qui n’a rien d’un ‘tout petit monde’ comme on se plaît tant à le dire, même si, c’est vrai, 70% de sa superficie est plongée sous les eaux de l’hydrosphère. Cela laisse tout de même 150 millions de kilomètres carrés pour se dégourdir les pattes.
De fait, il suffit de sortir des grands chemins pour sentir cette immensité.
Et marcher.
La marche est le premier vecteur de la découverte sensible du monde.
Elle nous permet de s’affranchir de la route, du sentier, du chemin. Du plat et du lisse.
Elle nous emmène là où la roue n’a plus droit d’accès.
Elle ouvre alors un champ gigantesque : celui du monde.
Celui des cieux, sur les sommets des montagnes.
Celui de la terre, à travers les prairies des campagnes.
Celui des sables, à travers les plaines de désert.
…
A celui qui souhaite savoir dans quel monde ‘charnel’ nous vivons, qu’il le découvre en sortant des sentiers, en recevant avec joie la solitude et le silence.
Solitude et silence de longues échappées sur les crêtes, tutoyant les vides et les sommets.
Solitude et silence de longues promenades sous la pluie, en forêt, ou à travers les prairies.
Solitude et silence de longues errances au travers de déserts, de roche, de sable ou de terre.
C’est le champ de l’émerveillement. De l’inédit, de l’inattendu, du possible.
C’est également le champ de l’introspection, où vides et pleins se mêlent.
C’est un espace de dialogue.
Un dialogue muet, entre ce qui nous entoure et soi, empreint d’introspection et de contemplation.
Un champ infini.
Et qui nous entoure.
Un homme n’aura pas assez d’une vie pour le découvrir dans son intégralité.
Un fait tout à la fois décourageant (à quoi bon ?) que stimulant (il reste toujours quelque chose à découvrir).
Nous le parcourons avec joie depuis de nombreuses années, godillots aux pieds.
Un rendez-vous que nous ne manquerions pour rien au monde, et qui nourrit, année après année, patiemment, une certaine idée du monde.
…
Pourtant, cette fois-ci, nous avons bel et bien opté pour la roue, nous condamnant de ce fait à rester prisonnier du ‘réseau’.
Un évènement particulier explique ce revirement : Chaitén.
Chaitén est le nom d’une petite bourgade chilienne, perdue au fin fond de la Patagonie, sur un étroit rivage du Pacifique et accolée aux pentes andines.
Ou plutôt ‘était’.
Car Chaitén est aussi le nom du volcan situé à quelques kilomètres au nord de cette petite bourgade. Un volcan qui, en 2008, entra en éruption, peu de temps avant que nous n’arrivions dans la région pour découvrir l’une des merveilles du monde, l’alerce, un arbre rarissime dont la durée de vie avoisine la bagatelle de deux milliers d’années…
Nous n’avons finalement jamais pu découvrir ce vénérable ancêtre végétal : toute la région était sinistrée, recouverte sous un bon mètre de cendres. Les rivières et torrents engorgés s’étaient frayé un chemin au hasard du relief, retenus par un amoncellement de cendres, de troncs, et de toutes sortes de résidus, jusqu’à ce que ces barrages provisoires ne cèdent, laissant de gigantesques masses dévaler sur le fond de la vallée : à la confluence de Chaitén, ville.
A notre arrivée, Chaitén ville et ses alentours n’étaient plus qu’un paysage chaotique de ruines et de gris.
C’est pourtant dans ce décor qu’aurait lieu cet évènement particulier que nous évoquions plus haut : l’expérience directe de ce que nous appellerions ‘la rage de vivre’.
Nous entendons souvent parler, lorsqu’il s’agit de psychologie, d’un terme à la mode : celui de ‘résilience’. Il s’agit de la capacité de l’individu à se reconstruire après un traumatisme.
A travers ces rues engorgées de Chaitén, aux réverbères renversés, aux ponts affaissés, aux lignes électriques pendantes, aux façades éventrées, nous avons rencontré des êtres vivants.
Des hommes, des femmes, manches relevées, cheveux en bataille et visages sales.
Aux yeux ardents.
Devant l’amplitude du sinistre et l’envergure de la reconstruction, le gouvernement décréta la ville ‘sinistrée’, abandonnant ainsi tout financement. La ville serait morte.
La ville, évacuée pendant l’irruption, vit cependant revenir ses habitants : une à une, ses âmes provisoirement réfugiées sur l’île de Chiloé située non loin de là, revinrent par le Ferry, apportant avec soi cartons, valises, mais aussi brouettes, groupes électrogènes, et tout ce qu’il faudrait d’outils et d’énergie pour rebâtir ce ‘chez soi’.
La tâche serait longue et douloureuse, en plus d’être ‘illégale’.
Rien toutefois qui ne puisse ébranler cette détermination qui brillait dans leur regard.
Cet élan de désobéissance civile et de solidarité fut pour nous un choc.
Une leçon de force. De détermination. De souffrance.
De Foi.
Et de solidarité.
Et là où nous n’aurions jamais pensé la trouver, nous la découvrions, pure et nue:
L’expression de la joie.
Le retour vers notre vieille Europe (ou plutôt, notre ‘vieille France’) allait être fort en contrastes.
Chaque individu y est en effet exhorté à être heureux. Le bonheur y est un devoir.
Qu’il appartient à chacun de construire. Il est en effet libre, et en ce sens, responsable.
De sa réussite… ou de son échec.
Mais ce qui, à Chaitén, semblait être l’essence même de cette expérience de joie, ou tout du moins, qui semblait grandement y contribuer, ce mélange de Foi et Solidarité, s’avérait ici d’une pâleur fantomatique.
Comment alors satisfaire à cette ‘pression du bonheur’, lorsque ce qui semble y contribuer manque cruellement ?
De fait, la plupart de ceux que nous rencontrions à notre retour semblaient, sur fond de crise mondiale, habités par une profonde morosité, empreint de désenchantement et de fatalisme.
Où est donc passée cette fameuse ‘résilience’ ?
…
Pourtant, ce modèle occidental de réussite continue à faire des émules, parmi lesquels en premier lieu les nouveaux pays européens, ex pays du bloc communiste, qui depuis vingt ans, aspirent plus que jamais à devenir ‘comme nous’. Aussi riches, aussi sexy. Aussi heureux.
L’idée est alors tout naturellement venue d’aller voir par soi-même.
Voir comment les gens vivent dans ces pays, découvrir ce à quoi ils aspirent.
Et voir, pourquoi et comment cette image du bonheur à l’occidentale, qui nous semble si bancale, a pu, peu à peu, séduire un si grand nombre.
Et comprendre, peut-être… comment elle a pu nous séduire.
Ne restait alors qu’à réfléchir au moyen de s’y prendre.
Pour découvrir l’aspiration des hommes, il semble évident de parcourir le monde des hommes : il nous faudrait dès lors revenir sur le réseau synaptique des axes routiers, et arpenter à nouveau le macadam.
L’arpenter sur une distance suffisante pour pouvoir multiplier les expériences, avoir une idée globale, sans pour autant s’enfermer dans un moyen de transport ‘bulle’ : la marche, trop lente, est écartée, la voiture, trop rapide et trop fermée, l’est de même.
Le vélo semble alors la solution idéale :
- Elle permet de couvrir une distance raisonnable chaque jour (multiplication des expériences), sans que sa vitesse ne soit trop grande pour ne plus être ‘dans le présent’ (inertie déjà évoquée).
- Elle permet également d’être réceptif (voir article ‘réceptomobile’)
- Elle laisse une place à l’imprévu : exposition aux intempéries, ou possibilité de défaillance physique qui force à se confronter à l’environnement direct, ne serait-ce que pour s’abriter, se loger et se nourrir
- et encourage également les personnes de cet environnement à se montrer clémente : une personne ‘en détresse’ à vélo semble toujours plus humaine / abordable qu’une personne en panne de voiture.
C’est ce que nous appelons le ‘capital sympathie’, autre avantage non négligeable du voyageur à vélo :
- Souvenez-vous de ce que nous disions à propos de la sympathie : ‘souffrir avec’. Le sentiment de sympathie peut s’expliquer par le sentiment de souffrance partagée. Tout le monde (ou presque) a déjà fait du vélo : tout le monde (ou presque) a donc déjà eu mal aux cuisses, suffisamment en tout cas pour se mettre à la place du fou qui débarque devant chez lui à vélo et imaginer sa douleur/fatigue, et le plaindre. D’emblée, le voyageur à vélo est déjà davantage le ‘bienvenu’ que le voyageur motorisé (motard, automobiliste, voyageur camping-car, etc…).
- Par ailleurs, la douleur est également une ‘valeur’ dans certains milieux dits ‘modestes’ ou ‘défavorisés’, tout comme la force physique: la valeur d’une personne peut être mise en parallèle de ces capacité, que ce soit pour accomplir un effort particulier ou encaisser une certaine douleur (exemples de tatouages ou de scarifications), les deux étant plus ou moins liés. Et dans ce cas, le fait de voyager à vélo peut également ouvrir certaines portes (souvenez-vous de cette hôtelière qui souhaitait nous affronter au bras de fer !).
- L’effet ‘tandem’ renforce enfin davantage cet effet ‘sympathie’, par ce qu’il représente (voir article ‘réceptomètre’), mais aussi par ce qu’il bouscule les habitudes (par exemple, il force à réfléchir à des solutions de transport (voiture, avion ou train) et de rangement (souvenez-vous de la nuit en discothèque)), et, par ce qu’il désarçonne momentanément la personne rencontrée, crée une petite aventure partagée, suffisamment pour sortir du cadre relationnel ‘neutre’ et rééquilibrer la relation (nous ne sommes plus des ‘extraterrestres tombés du ciel’).
Pour que la découverte reste encore plus ‘neutre’, il reste encore à se rendre disponible, et donc à s’affranchir de contraintes habituelles :
- celle du ‘choix’ : l’itinéraire se construit dès lors ‘au hasard des rencontres’, et ce sont les personnes rencontrées elles-mêmes qui nous indiquent la route à suivre (on ne sait jamais où nous passerons la nuit suivante)
- celle du ‘planning’ : pour ne pas passer à côté d’une expérience enrichissante, l’impératif du temps est alors levé. Il suffit par exemple pour cela de ne pas s’enfermer inutilement dans un cadre habituel du ‘voyage performance’, où le voyageur met un point d’honneur à rallier le départ à l’arrivée exclusivement à vélo dans un temps record.
Nous imaginons bien l’absurdité de la démarche : à une invitation de personnes que nous rencontrions au hasard, il nous faudrait répondre ‘non, désolé, mais je ne peux rester, sinon ma moyenne va baisser’, ou encore ‘non, désolé, je n’irai pas là où tu me le conseilles, car cela rallongerait de vingt bornes’… Nous avons déjà naturellement bien des raisons pour décliner des invitations (souvent bêtement, par réflexe trop bien ancré (souvenez-vous du groupe de jeunes joueurs de tour viking rencontrés en Allemagne de l’Est)) sans avoir encore à nous rajouter de vrais faux arguments.
La solution dans ce cas est simple : si d’aventure l’avancée s’avérait trop lente parce que nous avons jugé que l’expérience était suffisamment riche pour s’y attarder, il existe toujours (ou presque) un moyen de faire un saut géographique si nécessaire (par exemple en prenant le train).
A mi-chemin du voyage, cette stratégie s’avère plutôt payante : nous avons rencontré en quelques semaines bien plus de gens qu’il nous est donné d’en rencontrer au cours d’une année ‘normale’, et avons arpenté une diversité de décors qui va bien au-delà de celui du quotidien.
Du dôme du Reichstag aux couloirs de Tacheles, des décombres de Wolfschanze à celles de Westerplatte, du port historique de Gdansk à son chantier naval, sans oublier sa fastueuse place du marché, qui contraste tant avec les centres de Gorgow, Pila et autres villes de l’ouest de Pologne. Des campagnes de Poméranie à celles de Mazurie, aux forêts de pin de Człuchów et celles de la Petite Suisse, le parcours est déjà riche en diversité, en constrastes… et en rencontres.
De fait, des baigneurs du jeu de tour viking à Albert passionné de cyclisme, de Gerhard à Dorota, en passant par Ywonne et Adam, ou encore Erik ou d’autres personnes rencontrées à un coin de rue, à l’ombre d’un saule, sur un banc de la place de village, et tant d’autres encore, qui nous ont invité pour un café, un verre d’eau, un mot, la quantité et la diversité de personnes rencontrées nous rappelle à quel point, avec un peu de disponibilité, il est facile de rencontrer des gens qui, qui plus est, ne demandent en plus qu’à discuter, raconter leur histoire, et parler du monde, autrement.
Il est frappant, d’ailleurs, qu’à presque chacune de nos rencontres, ces personnes nous remercient de tout cœur de ce petit quart ou de cette petite heure, bref, de ce petit laps de temps partagé. Alors que nous nous sentions nous même si reconnaissants…
Une expérience une fois de plus bien différente de ce qui nous était pourtant promis de toute part lorsque ce monde nous promettait, à s’exposer ainsi dehors, à toutes sortes de risques et périls, de bandits et brigands malveillants, de ‘gangs, roms et voleurs’, qui plus est – paraît-il – lorsqu’on se trouve en Pologne (‘tsactsalap’ !)…
Bien sûr, c’est vrai, nous nous sommes exposés.
Nous fûmes perdus sous un tsunami gluant et opaque soulevé par les roues du poids lourd que nous croisions au vieux port de Gdansk. Nous fûmes parfois trempés jusqu’à l’os, nous eûmes froid, ou chaud. Nous eûmes quelques rencontres peu amènes dans les premières régions de Pologne traversées, et d’autres encore nous attendraient. De même, nous avons eu à traverser quelques zones hautement nauséabondes, croisé quelques lieux infestés de charognes abandonnées, de décharges à ciel ouvert, à l’atmosphère lourde de plastique fondu, traversé des campagnes peuplées de basse-cours, de porcheries, suivi des camions de lait cru, d’équarrissage, parfois même avons-nous croisé quelques camions benne transportant du sable qui nous ponça douloureusement et en quelques fragments de secondes les moindres pores du visage… sans parler des insectes qui ne tarderaient pas à nous mener encore un peu plus la vie dure.
… mais cela justifie-t-il que nous jetions le bébé avec l’eau du bain ? …
Le monde est le monde.
Et à n’en exiger que la douceur et le confort, le risque est grand, un jour, de finir par n’en avoir qu’une idée… ‘abstraite’.
‘Abstraite et sécuritaire’.
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