La Mazurie est réputée pour être le poumon de la Pologne. Région frontalière avec la Biélorussie, la Lituanie, mais aussi la Russie (enclave de Kaliningrad), ses grands espaces invitent à l'évasion, à s'oublier à travers ses généreuses campagnes et ses amples forêts sauvages au sein desquelles de précieuses espèces animales chez nous disparues coulent encore de beaux jours.
En Mazurie, pas de 'grande ville' (sa capitale (Olstyn), que nous quittons, ne compte pas plus de 160 000 habitants), pas de tumulte : juste une kyrielle de petits rassemblements de maisons et de fermes éparses dispersées à travers le territoire... et la quiétude.
Cette étape est de loin la plus agréable que nous ayons faite depuis le début du voyage.
Peut-être tout d'abord est-ce dû au relief : les petites routes au bon vieux bitume lissé par les années flânent tranquillement de droite de gauche, tantôt enfilant le creux de petites collines, tantôt enjambant l'une d'elle par sa cime. Succession de petits virages, de petits coups de cul et de petites descentes en précipitation, la Mazurie est un véritable terrain de jeu pour l'amoureux du deux roues...
Peut-être encore parce que la Mazurie est pleine de parfums. Le parfum du troupeau que l'on ramène à l'étable, mené par un bâton le long de la route. Le parfum des foins en train d'être fauchés, quand le soleil de l'après midi s'adoucit. On reconnaît d'ailleurs à cette odeur si le pré est plus ou moins sec, s'il est mêlé de reines des prés ou d'orchis qui sentent le chocolat... les tilleuls qui bordent encore et toujours la voie embaument de manière éhontée cet air que l'on pourrait même mâcher... au travers des bois, ce sont les essences que l'on respire. Les sempiternelles forêts de pins que nous traversions depuis des centaines de kilomètres ont laissé ici place aux seigneurs des feuillus, charmes, hêtres et chênes au pied desquels bon nombre de variétés de champignons ont trouvé à s'épanouir.
Et puis sûrement parce que la quiétude est communicative...
De petits villages en minuscules hameaux, c'est tout une vie 'dehors' qui défile devant nous... de jeunes filles qui rient aux éclats la tête en bas et la culotte à l'air en jouant à chat perché. Des cris de jeunes garçons qui courent dans les jambes des ados pour leur chiper le ballon, faisant pour cela de grands pas pour sauter par dessus les trop hautes touffes d'herbe. Des papotages de bonnes femmes alignées de front sur la route derrière leurs poussettes, s'écartant (très mollement) pour laisser passer de rares voitures ou de drôles d'embarcation... des discussions entre mères et grands-mères tantôt penchée au dessus d'une table de terrasse pour s'échanger des modèles de crochet, tantôt accroupies au dessus de jeunes pousses de potager en échangeant probablement de bons vieux trucs d'anciens... les hommes attroupées au cœur des hameaux boivent ensemble sur une table improvisée à côté de la fontaine. Ils rient, mariant les éclats de leurs grosses voix.
Les derniers d'entre eux arrivent par tracteur : le fils (une quinzaine d'année environ) est au volant. L'ancêtre, tout ratatiné, béret sur le crâne et veste épaisse, est bien calé derrière le siège. Et le père se tient sur le marche pied, à cheval sur le bord de la cabine, une main en l'air pour faire signe qu'ils arrivent à leur tour à cette joyeuse table. Derrière eux, la remorque sème ses brins de foins qui s'échappent de petites bottes carrées.
Des hordes de cigognes picorent à travers les champs fraîchement fauchés. Chaque petit hameau (ou presque) a son nid, perché tout au dessus d'un vieux poteau électrique, d'un vieux tronc squelettique ou du faîte d'anciennes bâtisses. Des petites têtes en dépassent, attendant la béquée. Les petits commencent à perdre le gris de leur bec, qui vire progressivement vers un orangé bien net.
Au fur et à mesure que les ombres s'allongent, les chants de tout le royaume des piafs s'ajoutent peu à peu les uns aux autres jusque peupler l'espace d'un joyeux tintamarre auquel se mêle l'ode d'amour de quelques batraciens... Quelques pêcheurs rejoignent d'ailleurs les villages dans la pénombre naissante, marchant à pas précautionneux au milieu de la chaussée, canne dans une main, seau dans l'autre, qu'ils alternent régulièrement.
Dernier coup de sabot de cheval sur le bitume, dernière bribe de discussion d'adolescentes assises sur un rocher, et puis ça y est : la vie 'humaine' s'est peu à peu éteinte. Nous trouvons un champ odorant et moelleux à souhait qui ne semble qu'attendre que nous y posions notre tente et notre réchaud.
De manière surprenante, tout ce gentil décor défile à nos côtés sans que nous y suscitions la moindre réaction. Le sympathomètre semble inerte. Pas le moindre sursaut de surprise, pas plus d'exclamation d'enthousiasme, ni non plus de grimace ou de regard menaçant... comme si nous avions traversé une scène où chacun connaît le rôle qui lui est imparti, et s'en trouverait si satisfait que tout événement saugrenu ne pourrait perturber la marche du monde.
De fait, nous avons traversé toute cette petite vie dans une parfaite indifférence. Surprenante. Mais non désagréable.
Une vie de nonchalance. Une vie qui se suffirait à elle même.
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