vendredi 11 novembre 2011

Qu’est ce qu’un pays ?

Tandis que nous nous approchons peu à peu de la Lituanie, un drôle de sentiment nous gagne : nous ‘sentons’ que le pays, cette Pologne, s’éloigne peu à peu de nous, bien que nous n’ayons pas encore franchi la frontière.

Un sentiment semblable à celui d’un jour de fête, lorsque l’on se promène dans les quartiers alentours de la ville, en entendant toujours, decrescendo, la musique et les rires qui émanent de la grande place.

Les rires et la quiétude se font en effet depuis quelques jours de plus en plus rares.

Les villages, déjà épars, ont pris encore plus de distance les uns par rapport aux autres.




De fait, les routes ont adopté à nouveau le pavage plus ou moins rigoureux. Les quelques minuscules hameaux qui les bordent, arborent quant à eux de nouveau  grillage et chiens de garde. Le nombre de personnes croisées, déjà faible, s’est encore considérablement réduit. Et les visages, peu à peu fermés, se font de nouveau peu amènes.

Un air de déjà vécu se fait progressivement sentir : comme si le film se rejouait à reculons, et que nous étions revenus quelques semaines en arrière, au moment où nous passions le pont au-dessus de l’Oder, cette ‘frontière’ germano-polonaise.

Une ‘terre du bord’, qui se différencierait de la ‘Terre du Milieu’, et qui ne serait déjà plus en Pologne, sans pour autant être en Lituanie. La Biélorussie n’est d’ailleurs pas très loin non plus… tout comme l’enclave de Kaliningrad.

… nous voici en fait dans une espèce de zone intermédiaire qui ne saurait pas très bien dans quelle case cocher à la question ‘nationalité’, et qui comme conséquence directe, ne voit guère d’un bon œil arriver tout individu tombé du ciel, qui plus est, lorsque celui-ci arpente le relief à bord d’une d’embarcation aussi incongrue qu’une machine tractée par la force humaine...

Car ici aussi, le vélo n’est plus un objet de rêve, de performance ou d’évasion, et encore moins un sympathomètre, un réceptomètre ou autre bizarrerie de tordus du neurone. Il a retrouvé sa fonction première : celle de se déplacer, à peine plus rapidement qu’à pied.

Pour rejoindre la ferme, le bar, l’étang…


...


De fait, les deux seuls représentants du grand règne vélocipèdique que nous croisons arborent avec grand peine tantôt un panier au cliquetis caractéristique (qui expliquerait d’ailleurs sûrement la trajectoire par trop oscillatoire de son embarcation… mais méfions-nous des raccourcis trop rapides), tantôt un sac à dos de toile usée d’où dépassent les 4 pieds d’un tabouret ainsi que quelques vergillons de vieilles cannes.

Dans les deux cas, le salut que nous tentons entre frères de monture et de souffrance (la dure épreuve du pavé…) se solde par un franc camouflet.

Devant tant de sympathie, nous préférons dès lors trouver notre bonheur chez le batracien suicidaire. Cette petite bête, pour notre plus grand amusement, semble en effet avoir inventé une nouvelle forme du jeu à risque bien connu : la roulette russe.

Il ne s’agit pas là de faire tourner le barillet du revolver avec un certain nombre de balles, mais la logique est la même : la route est faite de pavés entre lesquels se trouve parfois un petit creux où le batracien peut se réfugier lors de sa traversée.

Au bout de chaque bond, le suspens : certains gagnent… et certains perdent.

Ce petit jeu morbide est certes puérile, mais suffit à notre bonheur lorsque nul signe de sympathie ne semble être escomptable de la part des autochtones… toujours veiller à trouver une source de réjouissance en toute circonstance… fût-elle inavouable.

Les perdants ne sont pas perdus pour tout le monde : de vieilles personnes toutes voûtées se penchent parfois sur le bord de route et amassent ces malheureux dans de petits sauts. De belles coquilles baveuses les y rejoignent. Des protéines pour le souper.

Ce sont les mêmes protéines qui craquent parfois sous nos roues lorsque nous préférons rouler sur le bord de chaussée, quand le sol, de plus en plus sableux, le permet.

… nous devrions certainement au moins essayer de les éviter….. c’est vrai.



Un chien aboie.
Nulle caravane ne passe, mais cela nous permet d’anticiper : il doit se trouver non loin de là une ferme, peut-être même un groupe de maisons.

Et effectivement, quelques plumes apparaissent en bord de talus, picorant avec une vivacité zélée quelque brin d’herbe avant qu’il ne s’échappe.

De vieux squelettes d’engins agricoles en finissent de dépérir, quelques tas de pneus, de gravas, de bois : voici le corps de ferme. Le chien est fou, et se promène la gueule en l’air debout sur ses pattes arrières en dessinant au sol un arc de cercle parfait. D’un rayon rigoureusement égal à la longueur de chaîne qui lui entoure le cou, et qui, fort heureusement pour nous, à en croire son tintement si grave, semblerait pouvoir contenir un buffle.

Cour carrée, dans la continuité du bâtiment principal. Au dessus des marches de pierre, voutées par les années, la porte principale, très large, et grande ouverte. Une silhouette occupe l’embrasure: celle du maître des lieux. Pouces rentrés dans le pantalon de chaque côté du bassin et bretelles tendues, il garde la pose, raide comme un bâton, regard fixé en notre direction. Aiguisés comme une lame de faux, deux petits points brillants qui nous guettent sous la visière du béret. La langue du chien commence à pendre, et quelques traits de bave se tendent à chaque saut. La tête du maître pivote.  Lentement... telle un périscope.

A la troisième grenouille zigouillée (environ 2 kilomètres plus loin), nous entendons encore le chien s’étrangler, et sentons toujours le poids de ce regard sur nos nuques.

Sûrs que le maître n’a toujours pas bougé d’un pouce… bretelles toujours tendues.



D’instinct, il nous semble judicieux d’attendre encore un peu pour demander où passer la nuit…



Sur la carte, un camping est indiqué dans un village en bord de lac, à une quinzaine de bornes de là…

Le village en question s’avère pour ainsi dire quasi désert. Les poules se promènent en travers de la rue principale, une drôle d’allée cabossée, piste de galets tassée en demi dévers…

Au fur et à mesure que la ola canine ‘trahit’ notre présence, quelques rideaux bougent à notre passage. En particulier lorsque nous retraversons la rue en sens inverse, puis de nouveau dans l’autre sens.

Rien à faire, le village est en cul de sac, et aucune trace de ce fameux camping.

Tandis que nous nous apprêtions à traverser le village une quatrième fois pour repartir, un homme s’est posté en travers de la route. Multipliant les politesses et bredouillant le peu de vocabulaire que nous avons pu cumuler ces derniers temps, nous essayons de lui faire comprendre que nous ne sommes pas animés de mauvaises intentions... L’homme après quelques grommellements finit par nous indiquer un petit chemin non loin de là, visiblement satisfait de se débarrasser de nous.

Le chemin pourrait être caractérisé de sentier à vache, et se perd entre les joncs, tout en s’approchant du lac. C’est une voie sans issue, qui nous mène toutefois après quelques kilomètres à une propriété bien gardée.

Une femme apparaît dans l’embrasure de la porte, à vingt bons mètres de nous, mains cachées dans les manches. Sourcils froncés, elle s’efforce visiblement de parler. La niche se trouve à mi-distance du chemin qui nous sépare...

Un pas en avant ne fait que redoubler la rage du molosse.
Sa maîtresse n’avance toujours pas.

Nous enlevons casque et lunettes, sourions, et tentons un pas de plus. Ces derniers jours de camping sauvage suffisent, et la perspective d’une bonne douche aide à recouvrer un extra d’audace. Le molosse ne semble pas plus amadoué.

Un homme nous surprend par la droite : bourriche dans une main, canne dans l’autre, il ne semble pas non plus ravi de nous voir. La femme décide enfin de nous rejoindre.

Il n’y a jamais eu de camping. Ou alors c’était il y a longtemps… ou ils ont oublié… enfin, ils ne veulent pas. Nous sommes invités à rebrousser chemin pour faire le tour du lac et aller voir de l’autre côté. Une quinzaine de kilomètres par la route proposée. Peut-être deux ou trois par le chemin que nous montrons sur la carte… si nous réussissons à traverser l’écluse un peu plus loin.

Cette écluse est gardée, et verrouillée. Et la clef n’est pas ici. Et puis, paraît-il, notre embarcation ne passera jamais. Ou alors si… ou peut-être que non. Difficile de suivre une discussion entre un homme et une femme qui s’engueulent plus qu’ils ne parlent à travers les aboiements du molosse, et le tout en polonais… mais a priori, c’est en gros la teneur du discours.

Toujours est-il qu’en mimant fatigue et découragement, le tout avec un zest de supplication dans le regard, nous vîmes devant nous une clef se matérialiser, et fûmes enfin invités à suivre ce drôle de couple en direction de l’écluse. Une autre femme entre temps est sortie à son tour, et nous suit à quelques pas en retrait. Nous voici bien escortés.

L’écluse : le temps de désolidariser la remorque du tandem, de passer l’une puis l’autre, la voici franchie en moins de deux minutes. L’occasion pour madame de montrer à son mari combien il est idiot : il voit bien que ça passait !...



De l’autre côté de l’écluse, une petite pelouse, parfaite pour poser la tente… à peine avons-nous pensé poser la question que la réponse arrive : ‘non, non, non…. C’est privé ici, suivez la route dans le bois sur 3 kilomètres’.

Nous franchissons la grille, qui se referme aussitôt dans un claquement explicite. La clef tourne à double tour, et nos charmants hôtes s’en retournent vers leur chaumière.


La route forestière est en fait une piste de sable ; il nous faut pousser…

… que de souvenirs.

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