'How many roads must a man walk down, before you call him a man'…
Blowin'in the wind - Bob Dylan
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Blowin'in the wind - Bob Dylan
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Bien sûr, tout cela est bien joli, entend-on déjà, mais tout le monde ne peut pas comme ça, prendre un vélo et partir à l’autre bout de la planète!
Non pas que tout le monde ne sache pas faire de vélo, mais plutôt, nous le comprenons bien : cela demande du temps, ou même de l’argent, et puis il y a des obligations, les enfants, le travail, les factures et le contrôle technique…
Tout cela est vrai, mais n’est en rien antinomique avec la découverte directe du monde.
La liberté, petite sœur de la découverte, se construit.
Et n’a pas besoin d’un voyage à l’autre bout de la terre pour se sentir vivre. Elle peut aussi, avec quelques précautions et de bonnes résolutions, trouver sa place dans nos quotidiens d’hommes pressés.
Bien sûr, il y aura toujours des esprits chagrins qui trouveront de vrais faux arguments pour démontrer qu’ils n’y peuvent rien et sont définitivement prisonniers, qu’ils n’ont pas le temps… ou que tout cela est si inconfortable.
Tout cela n’est au fond qu’un choix de vie, qu’il appartient à chacun de construire avec le temps qu’il lui est imparti, et qui lui appartient en propre (ou sinon peut-être, à la pendule d’argent qui ronronne au salon…).
Et la question ‘dans quel monde vit-on ?’, que l’on entendra parfois, peut en effet aussi bien être suscitée par une réelle et dévorante curiosité, à ce point impérieuse qu’aucun argument ne puisse en venir à bout, que son sentiment presque contraire : une désolation qui se suffise à elle-même, bien aise et confortable, un peu comme sa petite sœur actuellement en vogue, l’indignation.
Entendons-nous bien, désolation et indignation ne sont en rien des sentiments critiquables : ils sont le point de départ d’un élan, d’un mouvement qui vise, au prix d’un travail patient et assidu, à une transformation permettant parfois de retrouver la sérénité. Ils ne sont pernicieux que lorsqu’ils se suffisent à eux-mêmes : la désolation pour le plaisir de se désoler. L’indignation pour le plaisir de s’indigner (à ce propos, consulter l’excellente rubrique de Raphaël Enthoven ci-dessous).
Tout juste sont-ils des points de départ.
En aucun cas des solutions : ils n’apportent de facto aucun remède avec eux.
Aussi nous adressons-nous ici à tous ceux qui, en se demandant dans quel monde nous vivons, ont réellement à cœur de le découvrir.
Et pour le découvrir, rien de plus propice pour cela que de laisser dans nos quotidiens une petite chance à la découverte…
En veillant à rompre les habitudes.
Sans attendre la panne de véhicule ou l’intempérie.
Exposition 'CAR CULTURE - Medien der Mobilität' au ZKM de Karlsruhe
Der 'Käfer' (la coccinnelle) y est assimilée à der 'Käfig' (la cage)
Vous pouvez pour cela consacrer votre temps de transport à un mode ‘ouvert et concret’, qui s’opposerait à la bulle imperméable de votre véhicule personnel bercé d’ondes radio. Vous rendre au travail à pied, ou à vélo. Prendre l’air, se laisser surprendre par toutes les petites transformations du quotidien, de la végétation, des gens que vous croisez.
Si votre travail est trop loin, pourquoi ne pas opter pour le bus ou le train ? Là encore, si vous ne piquez pas aussitôt du nez dans la presse que l’on vous aura remise en main propre, vous constaterez que tout une petite vie se déroule sous vos yeux : la révision ultime de la poésie de l’écolier, récitée à haute voix, le grelot de l’arlequin, jour de Carnaval, la scène du drame du premier amour adolescent, la discussion de gens simples, empreinte d’humour ou d’inquiétude, le bavardage de grand-mères, la lecture de contes pour enfants, le chapeau haut de forme du groupe d’adolescent, jour de St Patrick, la soutane bien repassée d’un évêque, etc., etc… bien sûr, dans ce petit échantillon d’humanité, vous croiserez quelques-uns de ces ‘cas sociaux’ comme on les appelle, personne patibulaire, parfois fortement imbibée et quelque peu incohérente, prétexte parfois (ou plutôt souvent) évoqué pour préférer prendre le véhicule personnel… de nouveau l’eau du bain.
Si cela suffisait pour vous en remettre à la voiture, pourquoi dans ce cas ne pas baisser les fenêtres, juste un peu, et quelques minutes, à un endroit bien choisi ? Peut-être par cette petite ouverture sur le monde, un parfum, un chant d’oiseau ou quoique ce soit qui puisse égayer votre journée vous parviendra…
Puisque nous parlons de transport, et que vous avez préféré prendre votre véhicule, pourquoi ne pas varier votre itinéraire ? Rompre avec l’habitude signifie aussi parfois renoncer à un réflexe d’efficacité : pourquoi ce soir, ne feriez-vous pas un crochet par le bord de rivière ? Etes-vous à 5’ ?
5’ par jour, c’est une demi-heure par semaine, ou 2 heures par mois.
Vous pouvez bien sûr préférer prendre ces deux heures d’un seul coup. Vous les offrir une fois par mois pour donner sa chance à la découverte. Vous poster à un endroit, et rester sur place, pour vous laisser imprégner par le lieu. Cela peut être en pleine nature (grimper à un arbre et y rester une heure, se poster à un bord de rivière…) ou en pleine ville (déambuler sur un quai de gare, s’asseoir à la terrasse d’un café d’une grande place…). Peu importe où, à partir du moment où vous ‘provoquez l’imprévu’, et vous rendez disponibles. Vous pouvez même ‘choisir’ de rater votre correspondance, et déambuler en attendant le train suivant autour de la gare…
Varier les lieux près de chez vous : il y a tout un tas d’endroits autour de chez vous qui vous sont encore inconnus. Laissez-vous surprendre en vous rendant à l’office de tourisme le plus proche : une fois de plus, nul n’est besoin de se rendre à l’autre bout de la planète pour découvrir… cela commence déjà par le petit bout de sentier au coin de la route. Et quand bien même vous connaîtriez tous les sentiers autour de chez vous, il vous restera toujours une ligne droite à tirer entre chez vous et un point pris au hasard et qui vous fera traverser une parcelle non explorée… que ce soit en campagne ou en ville (connaissez-vous les traboules de Lyon ?). Et si vous êtes en ville, avez-vous déjà pensé à l’espace dans sa hauteur ? Etes-vous déjà montés au sommet du clocher de l’Eglise ?...
Au-delà de la multiplicité des lieux, variez également les conditions de découverte d’un même lieu: un même paysage n’est pas le même au printemps, en été ou même en hiver (idem pour l’automne bien sûr)… cela est bien connu, mais pourquoi ne pas continuer à varier les possibilités ? Profiter d’un jour de neige pour découvrir ce même lieu, et puisque le sol est si clair, pourquoi ne pas s’y promener de nuit, par nuit de pleine lune ? Ou contempler l’aube, apprécier le même paysage sous une lumière tamisée, du soir ou du matin, de brume ou de rosée, de gelée pastelle ?…
Vous le voyez, les possibilités sont nombreuses de se laisser surprendre. Le tout bien sûr, est de veiller à ne pas se laisser enfermer dans des réflexes, des routines, des habitudes…
… ou même encore par la nécessité.
Lorsque vous vous rendez en ville, qu’allez-vous y faire précisément ?
La ville est un lieu infini de possibilités dans laquelle il faut apprendre à se perdre.
Pourquoi ne pas se tromper volontairement de bouton lorsque vous vous trouvez dans l’ascenseur d’un bâtiment administratif, ou d’un hôpital, ou tout autre lieu public ? Vous pouvez vous rendre dans une bibliothèque, dans un café, dans un gymnase… le nombre d’endroits ‘publics’ où l’on ne se rend pas est immense. Avez-vous déjà assisté à une séance du tribunal ? Le peuple y est bien sûr chez soi, c’est écrit. Avez-vous déjà assisté à un conseil municipal ? Là aussi, vous y êtes chez vous en tant que citoyen. Autre genre : des salles de musculation vous sont aussi accessibles. Des piscines, en tant que visiteur, sont accessibles gratuitement. Vous pouvez vous rendre aux abords des stades (souvent gratuits hors des villes), ou dans les gymnases pour assister à des compétitions de judo, des galas de danse… après tout, pourquoi ne vous rendre qu’aux endroits qui vous plaisent ? Vous pouvez allier le tournoi national d’échecs à l’élection de miss T-shirt mouillé, l’élection de monsieur muscle univers au concert des petits choristes à la croix de bois ou encore pogoter devant une scène de hardeux survoltés en revenant d’un tour au zoo…
Et vous pouvez même visiter des appartements à louer sans en avoir besoin !...
Vous le voyez : les possibilités sont quasi infinies… et tout ce qu’il faut réussir à surmonter pour s’ouvrir à cette immensité, ce sont ces filets jetés autour de nous, qu’ils soient extérieurs, ou intérieurs.
Pour qui souhaiterait découvrir ‘dans quel monde nous vivons’ de manière concrète, il lui ‘suffit’ tout d’abord de prendre conscience de tout filet abstrait qui lui est jeté dessus de toute part, et d’apprendre à se méfier de ces incursions, sinon de s’en extraire…
Photo de Helmut Herzfeld, dit John Heartfiled - 1930
(Nous laisserons ici au lecteur le soin de traduire les quelques mots en bas de photographie)
… ainsi que de s’ouvrir à ce qui l’entoure : surmonter pour cela sa ‘peur de l’inconnu’, mot vaste et indéfini, mais qui commence déjà par l’autre. Oser par exemple lui adresser la parole, ou accepter une éventuelle invitation de sa part sans céder au réflexe trop humain de la fuite…
… ou du confort…
… ou de la sécurité.
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