Il est une erreur que l'on fait souvent à la lecture de cartes, c'est de croire qu'un relief à faible altitude a forcément un profil plat... on entend ainsi souvent des randonneurs partir la fleur au fusil vers la côte et revenir fourbus et surpris d'autant de dénivelé... cumulé ! Car souvent, les côtes concentrent un dédale de vallons au creux desquels toutes les rivières et fleuves du territoire viennent se déverser... et qu'il faut donc sans cesse traverser. Ainsi, même si chaque vallon a un dénivelé de 50m, quand on en passe une vingtaine dans la journée, on a largement fait l'équivalent d'une bonne étape de montagne.
Aussi, si la Pologne, depuis la frontière, avait été relativement plate, apprenons-nous très vite que cette dernière étape avant Gdańsk (qui devait n'être qu'une formalité...) nous réserve bien des surprises. Alors que nous pensions 'nous la couler douce' jusqu'à la ville (après tout, quelques sommets de 250m sont encore indiqués à 20km à peine de la côte, laissant présager une belle descente avant l'arrivée), nous roulons depuis environ 5 kilomètres sur un bon faux plat qui nous prend de court... de souffle.
Nous voici sortis du dernier parc naturel, et un tout nouveau paysage s'ouvre à nous. Nouvelle végétation, nouveau type d'exploitation des sols, nouvelles habitations...
La route est bordée de noisetiers, de fougères odorantes et de millepertuis. Les prairies sont grasses, trèfles et marguerites surplombant un tapis très vert pour un mois de juin... nous pourrions nous croire dans les gras pâturages du Haut Doubs : les bocages sont semblables, tout comme les grands corps de ferme, larges bâtisses aux pignons de bois ouverts sur une butte attenante pour acheminer directement le foin au grenier.
L'air d'ailleurs est plein de parfums tout aussi semblables : des parfums de bois aux environs des scieries que nous passons, odeurs de pin, mais aussi de chêne ou encore de crayons de couleur des jeunes années d'école... odeurs de vaches, que nous découvrons de ci de là en petits troupeaux. Blanches et noires sur le dos... nous les appellerions par chez nous 'des vosgiennes', mais sans doute les appelle-t-on ici des poméraines, du nom de la région que nous traversons à présent, la Poméranie.
Alternant entre ces pâturages, des cultures céréalières ondulent au gré du relief, donnant au décor un 'quelque chose' que nous n'avions pas encore pu sentir depuis la frontière : une 'harmonie', quelque chose qui semble avoir trouvé son équilibre entre la terre et le travail de l'homme sur elle.
De fait, l'étape est agréable. Les routes que nous empruntons sont la plupart du temps bordées de tilleuls qui commencent également à mêler leur parfum à ce nouveau paysage olfactif. Leur feuillage se rejoignent en voûte par dessus les voies, allées princières que nous enfilons avec plaisir.
Certaines voies, pourtant secondaires, sont en train d'être refaites (!). Les ouvriers à la tâche accueillent notre passage avec de chaleureux signe de main ou de casquette. Parfois le conducteur d'un camion benne ou du tractopelle donne-t-il du klaxon qui nous fait bondir de selle... cela marche à chaque fois.
Ils sont loin, ces tristes et hostiles paysages de Gorjow... et ce n'est bien sûr pas qu'une question de kilomètres. Nous avons l'impression que ces centaines de kilomètres parcourus à travers ces interminables forêts de pins marquent comme une frontière, une séparation nette entre deux mondes, deux cultures... oserions-nous même dire 'deux pays' ? Ce concept de frontière est vraiment quelques chose d'étrange... auquel nous aurons d'ailleurs tout le temps de réfléchir d'ici à Saint Saint-Pétersbourg.
Pour l'instant, nous avons déjà bien à faire avec cette drôle de succession de côtes, qui même si peu abruptes, sont souvent longues de plusieurs centaines de mètres, voire de plusieurs kilomètres. Si nous n'avions encore guère eu la possibilité d'apprécier toute l'inertie de notre embarcation, ce relief est parfait pour nous rappeler à quel point nous avons bien fait de limiter tout surplus de poids dans le choix de notre matériel. Chaque côte ou presque se négocie sur petit plateau, nous donnant une allure guère plus rapide que celle d'un bon marcheur... de quoi nous donner tout le temps d'apprécier la fraîcheur des tilleuls et le balancement de marguerites dans la légère brise de cette matinée. La voire caresser quelques champs d'orge est un spectacle tout aussi apaisant...
La pause du midi, passée sous un noyer dans un pré fraîchement fauché est encore plus appréciée. Sous nos pieds (toujours faire la pause au sommet d'une côte...), une pente idéale pour une descente de luge : nette au départ, allant en s'aplanissant sur le bas, avant de butter sur son double en vis à vis. Le paysan n'a pas eu le cœur de faucher le creux de ce vallon, petit oasis dansant où quelques bouquets d'iris luttent encore un peu avant de faner pour de bon.
Le soleil d'après midi durcit peu à peu tandis que nous flânons tranquillement sous les branches. Le vent dans le feuillage et le chant zélé des sauterelles achève de nous abrutir, et nous sombrons sans effort dans le sommeil.
L'ombre du noyer coule doucement, jusqu'à ce que les rayons du soleil n'atteignent nos pieds, nos genoux... Nous nous étirons une dernière fois, puis nous décidons à reprendre la route.
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