lundi 15 août 2011

Westerplatte, rive historique


L'orage a fini par passer. Il ne reste de lui plus que quelques grosses gouttes encore pendues au bout des branches de tilleuls ou de peupliers, et une épaisse buée sur la face intérieure des vitres des tramways surpeuplés. L'air s'est rafraîchi, et le ciel, toujours gris, s'effiloche petit à petit.

Nous laissons derrière nous la dernière voie de tramway, le dernier feu rouge et bifurquons sur la gauche pour prendre sur Sucharskiego, la route du vieux port, où il n'y a pas un chat...

La route est bordée sur sa gauche par de grands peupliers encore tremblotants, et sur sa droite, par des terrains vagues. Dalles émiettées, parfois de minuscules pans de murs de briques couverts de graffitis, quelques carcasses de voitures désossées font trempette au milieu de grandes mares où surnagent pneus, barres de fer et divers sacs plastiques.

Quelques tessons de verre ont fini leur course en roulant jusqu'au milieu de la chaussée, autre piège en complément d'énormes nids de poule qui se cachent au fond des larges flaques sombres qui parfois rejoignent les deux rives de la chaussée. Le goudron a retrouvé sa forme en w caractéristique, ce qui permet de les canaliser un peu et de rouler un peu plus au sec. Nous roulons d'ailleurs tout à notre aise : pas une voiture, pas un camion, la route est déserte. Tout juste croisons nous 3 individus en grande discussion autour d'une voiture garée sur le bas-côté. Les trois types se sont interrompus et nous regardent passer. Patibulaires (mais presque...). L'un d'eux est blessé au visage et porte le bras en écharpe.

Une longue complainte métallique nous arrache de notre contemplation. Elle semble provenir de l'horizon : quatre gigantesques silhouettes sombres et filiformes s'y découpent sur le ciel gris, bien au dessus du bois de peupliers. Leurs mouvements sont lents et coordonnés, comme absorbés dans un drôle de ballet funèbre. Des câbles sont entortillés autour de bras rachitiques. D'ici, ces grues ressemblent à s'y méprendre à de gigantesques insectes en train de tisser quelque toile funeste. D'autres gémissements, d'autres complaintes de l'acier qui peine, ou qui s'entrechoque, résonances qui meurent en decrescendo...

Des cônes de circulation bloquent la voie et rabattent les éventuels véhicules sur une minuscule ruelle du port. Son revêtement est depuis bien longtemps égrainé, et ne subsistent de l'ancien bitume que quelques raponces noires qui coulent entre des pavés exhumés. Leur surface est par endroit griffée, comme si quelques bennes avaient été traînées à terre. Ces griffures serpentent en se tortillant sous nos roues avant de disparaître dans le ciel gris. Quelques îlots noirs craquelés resurgissent parfois entre de vieux réverbères ou quelques cimes de peupliers...

Un poids lourd nous dépasse, et nous arrose copieusement d'une langue lourde, opaque et généreuse. Nous sommes aussitôt trempés jusqu'à la taille. Seule réaction possible pour desserrer nos mâchoires crispées, exprimer notre colère à pleins poumons... nous réservons à ce XXXX XX XXXX un sort terrible où mille tortures lui sont promises, nous revisitons toute notre bibliothèque d'injures et de malédictions...

Bientôt à court de vocabulaire ou d'imagination, nous gardons le regard plongés sur le décor de ciel qui continue à couler sous nos pieds. Une double ligne de fer oblique nous ébroue, de nouveaux réverbères se dessinent entre quelques atolls noirs et craquelés... quelques marées bleues s'y mêlent peu à peu. Levant le nez de nos guidons, nous constatons effectivement que le ciel se déchire enfin. A travers ses haillons, quelques rayons obliques viennent redorer de trop vieilles citernes d'hydrocarbure, ou réchauffer les vieilles carcasses de wagons rongés par la rouille. Dans ce décor de gris et d'acier, le rouge de la coque du bateau aux arrêts au fond du chenal retrouve peu à peu de sa chaleur.




Dans le spectre doré qui s'élargit, quelques volatiles d'un blanc éclatant tournoient comme à un jour de fête. Mouettes ou colombes, elles nous rappellent le double but de cette escapade : la mer, bien sûr, qui nous attend au bout de l'estuaire, mais aussi le souvenir de la fragilité de la paix... car c'est ici que les heures les plus noires du XXème siècle ont commencé, nous voici à Westerplatte, l'endroit précis où la seconde guerre mondiale a débuté.

Anciens dépôts de l'armement polonais, les bâtiments détruits lors de la bataille éponyme ont été laissés tels quels, tristes ruines de bétons. La forteresse se visite encore tant cet épisode est présent dans l'Histoire du pays, mais aussi dans la mémoire collective.

Dans la lumière renaissante, le monument aux morts dressé bien haut au sommet d'une butte fait échos aux chars russes postés de chaque côté du mémorial soviétique du Tiergarten, à quelques centaines de mètres tout juste de la porte de Brandebourg, point de départ de notre voyage, que nous passions au petit jour, dans une lumière tout aussi dorée... ici, une première page de notre voyage semble se tourner.

Au pied de ce monument, la Vistule, le plus grand fleuve du pays coule ces derniers mètres... au bout de l'estuaire, une petite plage de sable à la chair de poule la borde, comme pour filtrer nos tristes pensées avant d'y baigner nos pieds : nous y voici enfin, devant nous, celle que nous longerons jusque Saint Petersbourg : la Mer Baltique...








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