mardi 12 juillet 2011

Une nuit à Piła


Piła est peut-être grande, mais elle n'est pas plus joyeuse que ses petites sœurs...

De grandes barres d'immeubles décolorés constituent la majeure partie de la ville. Une rivière la traverse. Un bateau y est arrimé, aménagé en restaurant. Il tangue malheureusement à 40 bons degrés... depuis que sa cale a pris l'eau. Le camping que nous avions prévu pour la nuit est devenu un parking surveillé. Cela devient une habitude...

Nous tournons donc en ville pour nous dégoter de quoi passer la nuit.

La majeure partie des axes principaux sont bloqués. Les voies sont en train d'être bitumées, et les trottoirs rénovés. Les quelques kilomètres terminés jurent dans le décor...

Après avoir tourné deux fois jusqu'en périphérie sans succès, nous revenons au centre-ville. En bordure de jolis trottoirs étincelants, nous trouvons un café, avec même une terrasse... et un Mac Donald.

Nous nous installons à la terrasse du café. Une grande table est occupée par un groupe de femmes en robes et lunettes de soleil ancrées dans les cheveux. Les discussions sont animées, certains rires fusent de temps en temps... de la vie. Enfin.

De là où nous sommes, nous pouvons voir le guichet du Mc Drive. Une fille y est assise, regard perdu dans le vide. Pas un seul client. Le gazon commence à lever, petites pousses éparses.

A l'opposé de la terrasse, ce qui semble être la rue principale. Des banques, des agences d'assurance. La poste. Leurs façades ressemblent à des halls d'immeubles, exigus et sombres. Les tilleuls des trottoirs ont soulevé les dalles et donnent à l'ensemble une note chaotique. Un orage a versé quelques fleurs et flaques à leur pied.

Que fait le garçon ? Voilà un petit moment que nous sommes là...

Mais personne ne vient. Peut-être faut-il demander au comptoir...

A l'intérieur, des néons bleus grésillent sous les rayons de bouteilles de toutes formes et de toutes couleurs. Mais derrière le comptoir, personne.

Un type se tient sur le seuil de la porte, clope au bec. Il s'était à peine poussé pour nous laisser passer... il va falloir le déranger à nouveau pour sortir. L'occasion de lui demander s'il sait où est passé le garçon. Notre homme ne parle ni anglais, ni allemand. Mais il semble savoir où se trouve le garçon. Dans un grand soupir, il écrase sa clope, rentre... et passe derrière le comptoir.

Nous passons commande. Elle nous est servie directement au comptoir, nous ressortons.

Au moment de payer, le garçon nous refait le coup : nous entrons, il nous laisse poiroter quelques minutes avant d'éteindre sa clope et venir encaisser...

De retour en terrasse, nous essayons d'interroger le groupe de filles sur les possibilités d'hébergement. Elles se regardent toutes, mais aucune ne semble comprendre. Surtout, aucune ne se donne vraiment la peine de nous répondre...

La chaleur polonaise commence à nous chauffer un peu les oreilles...


Nouvelle chance au Mac do... des enfants s'y déplacent en rollers, casquette vissée sur la tête. Un quelque chose de l'american way of life... mais le jeune homme derrière la caisse ne parle toujours pas un mot d'anglais. Il me dit de patienter : son supérieur en cravate arrive. Mais son anglais n'est pas bien meilleur. Il me dit de patienter de nouveau. Une jeune fille en tablier arrive, cheveux enserrés dans une coiffe hygiénique, et me demande aussitôt, avec un sourire 'Hello, what can I do for you ?'... avec une telle logique de distribution des postes, je me demande si cette jeune fille est douée en cuisine... en tout cas, elle m'indique un hôtel, non loin de là, à un petit kilomètre, dans cette direction. Je la remercie, elle retourne à ses casseroles, et Mr cravate me sert un 'Mac Donald thanks you for your visit' au moment où j'ouvre la porte de sortie.


L’hôtel partage un grand immeuble gris avec des bureaux d'assurance. L'accueil est indiqué au premier étage. Un restaurant s'y trouve également, au sous sol.

Chaque claquement de cales de chaussures sur le carrelage résonne jusque dans la cage d'escalier central. Pas un chat.

En haut de l'escalier, un grondement, un bruit sec de déverrouillage, la porte s'ouvre automatiquement. La fille parle anglais. Une chambre pour la nuit. Voici la clef. Petit déj jusque 9h, servi au sous sol.

Le couloir est moquetté et les portes habillées de cuir renfloué. Allée grise bordée de rectangles marrons. Quelques ampoules manquent, accentuant la pénombre entre les chambres 8 et 12.

La chambre 16 est là. Même décor de gris et de marron... Nous y logeons notre monture et sa carriole. Éléments incongrus, nos petits drapeaux nous rappellent l'existence de couleurs.




La TV serait-elle noir et blanc ?

Non, les 4 chaînes sont bien retransmises en couleurs. Trois d'entre elles diffusent des clips américains. Autre incongruité du moment. La dernière met à l'honneur une comédie britannique où des officiers du troisième Reich sont singés entre les rires du public. Une voix monocorde double tous les personnages.

Interruption du programme : de la pub !

Nous ne comprenons bien sûr rien du tout, mais c'en est d'autant plus intéressant : quel langage visuel nous est-il servi ?

Un groupe de filles en robes légères déambulent dans des ruelles ensoleillées. Façon dolce Vita. Elles croisent un groupe de beaux jeunes hommes. La fille du milieu, brune à la robe rouge, remarque le jeune homme du milieu, beau brun mal rasé en jeans. Coup de foudre. La scène est tournée de nouveau, nos deux personnages ont 50 ans de plus, et enfin, ils s'embrassent. L'objet nous reste obscur... nouvelle pub : pub pour un regard éclatant (on suppose), grâce à un récil qui rallonge les cils. Autre pub, pour une lessive. Tiens... dans le coin, un décompte indique le temps restant avant la reprise des programmes... une idée digne d'intérêt !



Nous éteignons.

Le restaurant du sous-sol se trouve aux Enfers. C'est du moins ce qu'il faut croire en lisant la pancarte qui nous l'indique : Restauracja Hades.

Des rideaux sont tirés à l'entrée. Des néons roses fluos marquent les arrêtes de toutes les tables et des murs. Une salle sur le côté loge quelques machines à sous sans éclairage aucun... nous allions remonter au moment où un homme nous a demandé si nous cherchions quelque chose : 'oui, le resto !'.

C'est ici...

Nous prenons place à une table de verre, à la lumière du néon. Au fond de la salle, plusieurs billards apportent une nuance de vert à cette ambiance bonbon. Sur les murs, de grands panoramiques nocturnes dévoilent New York, Las Vegas et la Cathédrale de Cologne. Chercher l'intrus...

Nous passons commande.

Une armée de messieurs déboule soudain d'une pièce adjacente. Ce sont les finalistes d'une manche de la coupe nationale de bridge. Tohu-bohu et chahut, puis un nouveau jeu démarre.

Nous terminons nos repas, et remontons dans notre chambre... pour une bonne nuit réparatrice.


1h10. Alarme à incendie. Aucun bruit dans les couloirs.
1h20. Toujours l'alarme à incendie, et toujours aucun bruit.

Je vais voir à l'accueil. La jeune fille de la veille me dit de ne pas nous inquiéter. Cela arrive. Quelqu'un va venir l'arrêter.

1h40. Toujours l'alarme à incendie, et toujours aucun bruit. Les finalistes de bridge seraient-ils bouchés ?

2h30, l'alarme tourne toujours.
Je retourne à l'accueil. La fille est debout au milieu de son bureau, à la lumière du PC logé derrière le comptoir, mains croisées devant ses cuisses. Elle n'a pas bougé d'un pouce depuis tout à l 'heure...

'Des fois, des jours à attendre devant les magasins... tu verras, l'indolence polonaise à quelque chose d'identitaire...'. Je crois entendre Gerhard à cet instant... la fille ne semble même pas m'avoir vu. Pas la peine de la déranger... il n'y a qu'à attendre...

Vers 3h, l'alarme s'est arrêtée.
Soit environ une demi heure avant que le jour ne passe par les fenêtres...

Autre découverte qui ne nous avait pas marqués jusque là : quelque chose manquait sur les façades de tous les bâtiments croisés depuis Küstrin...

En Pologne, les volets n'existent pas.

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