Petit déjeuner à la polonaise. Nous faisons le plein d'énergie en avalant des œufs mayonnaise, des cornichons doux et de la salade au hareng, et le plein de couleurs toujours grâce aux néons archiroses du sous sol des enfers...
Nous allons en avoir bien besoin, car dehors, le gris a tout enveloppé. Un nouvel orage a fini par éclater vers les 5h.
Le changement de température est saisissant. 17°C.
Notre récolte de pubs n'a pas été trop mauvaise. Dans les campagnes alentours, les produits vantés sont la plupart du temps des matériaux de construction : des tuiles, des grilles forgées, des portes d'entrée. Des éviers inox, des WC à chasse d'eau. Des cocottes minute, des tronçonneuses, des pièces automobiles. Plus rares, des pubs pour des couches et des mouchoirs en papier. Le seul et unique 'luxe' semble se limiter à la robe de mariée.
Construire, soigner l'hygiène du bébé et la mariée pour le jour des noces. Tel est le programme.
Quelques panneaux proposent également des formations pour passer le permis poids lourd.
A déambuler entre ces modestes promesses de 'mieux', on se demande quel chemin il reste encore à parcourir avant de devoir vanter des Bifidus actifs, des soins intimes et du Biactol...
A l'approche des villes, de nouveaux équipements apparaissent sur les affiches : des réfrigérateurs, des machines à laver, des écrans de TV, et même des ordinateurs portables. Et toujours ces fameuses toilettes à chasse d'eau.
Les pubs ne sont pas encore à l'heure du glamour où l'on fait appelle à des jambes de mannequin, femmes de footballers ou de rockeur pour vendre des lunettes, des semelles, des matelas... la plupart des pubs sont en effet sobres. Du texte, peu d'image. Et rien qui ne soit suggestif… décidément, il reste beaucoup à faire : on est très très loin du savant mélange people / 'number one' sous-jacent qui fait tout vendre...
Dans le resto des enfers, de grands écrans plats sont accrochés derrière le comptoir. Le film du soir y est diffusé. Un classique avec Eddy Murphy. Le doublage de tous les personnages est toujours assuré par le même bonhomme au son monotone. Femmes, hommes, enfants, chiens... toujours le même bonhomme. Il fait tout, et toujours sur le même ton. A entendre en double fond les voix originales surexcitées des scènes de bagarres générales, on se demande si le bonhomme à la voix toujours égale ne serait pas en train de lire l'almanach des horoscopes depuis 1972...
Chose marquante : pour les pubs qui interviennent entre deux bagarres, le bonhomme interrompt sa lecture et semble être remplacé par une équipe de jeunes filles et garçons à la voix dynamique et enthousiaste. Sûrement pour que le bonhomme des films puisse aller boire un coup.
Sur le point de quitter pour de bon Piła, nous passons à côté d'une grande usine Philips. Une gigantesque toile est tirée sur l'un des murs du bâtiment, sur laquelle une ampoule à économie d'énergie est représentée... en voilà une idée.
Un gars peu éclairé du staff marketing, sûrement affalé dans une tour de verre par chez nous, aurait-il eu l'idée déplacée de faire un malheureux copier/coller de l'ex usine française qui tombe ici comme un cheveu sur la soupe ou s'agirait-il plutôt de vanter les mérites de la nouvelle usine qui assure ici la fabrication d'un produit hautement technologique ?...
La communication laisse souvent perplexe, et ce n'est pas qu'une affaire de langage...
J'imagine aisément la perplexité des autochtones du coin qui se retournent à notre rencontre s'ils découvraient une sulfureuse blonde aux jambes interminables se promener nue, même suggestivement, avec une paire de lunettes sur le nez en minaudant pleine de malice 'hi hi hi, un rien m'habille'... c'est sûr, il leur faudra encore quelques années de formation pour le supporter.
2 degrés de moins. Nous roulons depuis une demi heure, et nous avons encore semé deux degrés. 15°C, sous une espèce de crachin tristounet, c'est à nous faire regretter d'avoir osé râler qu'il faisait trop chaud depuis le départ... les poids lourds enveloppés d'une généreuse aura d'écume nous doublent sans pitié aucune, et nous sommes heureux de retrouver une bonne vieille départementale bien moins fréquentée, ne serait-ce que pour nous égoutter en toute tranquillité.
Nouvelles allées de pins, avec leurs petites croix commémoratives semées régulièrement. Certains lieux en comptent plusieurs. Ici, il y en a même 4. -1 degré au thermomètre, tous ces chiffres nous font froid dans le dos... nous roulons le dos rond, en mode automatique, réceptivité minimale.
Złotow. Nouvelle ville.
Une nouvelle ruine d'église en briques au milieu d'un petit bois parsemé de tombes sens dessus dessous. Accès interdit. Juste à côté, une pelouse rase borde un monument commémoratif pour les membres de l'armée rouge tombés au front en 45. Une petite étoile rouge à cinq branches coiffe chaque stèle de marbre blanc. Pour certains les honneurs, pour d'autres, l'oubli. Manichéisme de la guerre.
De l'autre côté de la route, une piste cyclable. Un peu plus loin, un terrain de foot et un cours de tennis. Les filets sont absents, mais les accès soignés.
Nous arrivons au centre ville.
De grands bacs en forme d'écrou contiennent des massifs floraux aux couleurs diverses. La rue pavée est éventrée en divers endroits : intervention lourde sur les canalisations. Pendant que nous faisons quelques courses, différentes personnes passent à côté de notre monture et s'arrêtent pour y jeter un œil.
La mamie qui le décortique des yeux ne fuit pas lorsque nous ressortons. Au contraire, elle semble ravie de rencontrer les pilotes de cet engin. Elle parle, parle... en nous souriant.
Un papi nous rejoint, lui aussi tout sourire... il baragouine quelques mots d'allemand, nous racontons. Il est ravi. Un papa passe avec sa fille sur ses épaules. Il lui fait répéter 'great bike !'.
Mon dieu : de la sympathie...
De l'eau servie à des passagers du désert.
Un peu plus loin, quelques hauts parleurs en bord de terrasse de café diffusent une mélodie dans les rues environnantes. Les gens y déambulent, et semblent détendus. Un retour à petits pas de l'agréable...
Nous sortons du centre-ville. Les axes principaux ont été nouvellement goudronnés. Les trottoirs sont en train d'être faits. Les cubes gris de béton qui peuplent les villes depuis Gorzow se parent de couleurs. Certains arborent même des toits triangulaires couverts de tuiles brillantes.
La route est un véritable petit tapis de velours. Pas un trou, pas un tressautement. Nos trois roues vrombissent doucement d'aise, tandis que nous avançons entre des allées... de bouleaux.
Tiens, c'est vrai : les pins ont laissé la place aux bouleaux. Tout comme le paysage est devenu plus vert d'ailleurs. Des champs de pomme de terre apparaissent. Nous rejoignons bientôt une charrette de foin, si humide qu'il embaume l'air. Le tracteur avance ni trop lentement pour que nous puissions le doubler, ni trop vite pour qu'il puisse nous épargner le foin qu'il sème en petites touffes... il finit par prendre à droite, tandis que les bouleaux laissent place à des chênes à l'écorce noire. Il pleut plus dru, et nous avons de nouveau perdu 1 degré... 13°C, cela commence à faire un peu juste pour un mois de juin...
Cela ne semble pas perturber l'armée de petits bras qui repiquent des poireaux dans les champs tout fraîchement retournés. La terre est devenue très meuble et très sombre. Apparemment riche. De vastes plantations de groseilliers alternent avec des allées de fraisiers et de rhubarbes.
La végétation évolue également : le bleu de pieds de sauge sauvage borde la route, les marguerites surnagent dans les prairies, et les bois se raréfient. De grands érables ont fini peu à peu par remplacer les pins, avec le renfort de quelques hêtres et de rares sapins.
Étrangeté du décor : ces 'villages HLM'. Quelques barres sont alignées en pleine campagne, bordées de tout un amoncellement de vieux matériel agricole. Pas de commerce, pas de 'cœur' de village... Des habitations sans âmes, à l'état brut. Peut-être s'agit-il de baraquements pour loger l'armée de petits bras de saisonniers.
La pluie durcit encore. Plus que nous ne sommes d'humeur à supporter. Nous nous abritons sous un abri-bus en pleine campagne le temps que le plus gros ne passe... nous demandant par moments ce que nous faisons là.
Un bus scolaire s'arrête. Un soupir de piston, la porte s'ouvre. Une adolescente en descend. Pas un regard, elle traverse la route et repart dans l'autre sens.
Au dessus de nos têtes, une main repliée s'est frayé un petit disque sur le vitrage embué. Un visage y apparaît. Un sourire. Un coucou. D'autres petits disques se dessinent comme une petite onde qui se diffuse de chaque côté, avec d'autres visages, souvent des sourires... et le bus repart avant que la vague n'ait fini de se propager.
… la pluie nous semble déjà moins drue...
A Człuchów (toujours cette tragique pénurie de voyelles...), les pistes cyclables rutilantes nous accueillent quelques kilomètres avant le panneau de la ville. Les trottoirs sont terminés et bordés de fleurs et de pelouses soignées. Les abords du lac sont agréables. Une odeur alléchante de soupe nous affûte les papilles tandis que nous approchons du centre-ville. Une jolie place de tilleuls. Des bancs, une statue. L'école de musique se trouve juste à côté de la bibliothèque, en face de l’auberge où nous nous réfugions avec joie.
La maîtresse de maison est une petite bonne femme de cinquante ans environ, mais qui a à cœur de nous montrer qu'elle a encore de la poigne. Nous lui disons que la remorque est lourde et qu'il vaudrait mieux que nous nous occupions de la monter à l'étage. Elle nous montre ses biceps bandés nous signifiant qu'elle en a vu d'autres... et me défie même au bras de fer. Devant tant d'énergie, nous n'osons plus douter. Elle saisit le dessus de la roue tandis que je tiens la béquille et nous prenons les escaliers. Notre dame est toute contente, même si tout de même bien essoufflée quand nous arrivons sur le palier du premier... elle nous montre ses biceps en tirant la langue : elle rigole.
Pas besoin de beaucoup de mots pour se faire comprendre quand on reste un peu enfant...
Bien. Combien de nuits ?
Nous dessinons un soleil, une lune, avec un Ok. Puis un autre soleil et une autre lune, avec un point d'interrogation. Un nuit mini, peut-être deux. Le message est passé.
Et qu'allons-nous faire du tandem ?... Ah... un garage ? Non. Une cave ? Non...
L'escalier est trop serré, et il n'y a pas de place au rez de chaussée...
Discussions entre collègues, réunion de crise improvisée à laquelle nous sommes conviés.
Nous ne comprenons bien sûr pas un seul mot, mais apparemment, une des femmes a une idée.
Nous patientons, et puis après dix minutes, une autre femme arrive. Nouveaux palabres, nous nous présentons, et reblabla... et puis nous sommes invités à la suivre. Nous faisons le tour du pâté de maisons. Il pleut à verse à présent... nous grelottons.
La femme nous ouvre une porte : le tandem est invité à passer la nuit sous les lumières de Manhattan, à côté du bar non loin de la boule à facettes et de banquettes de cuir. La discothèque est fermée le jeudi soir et lui est toute offerte...
Nous l'y laissons en lui rappelant d'être en forme le lendemain à 8h pétantes, et nous nous réfugions sans plus tarder là où nous rêvions d'être depuis une bonne partie de la journée...
Non pas à Manhattan, mais un endroit qui nous donne en cet instant un bonheur mille fois supérieur : un endroit encore plus chaud et rien que pour nous... la douche !
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