Rouler hors des grands chemins peut parfois donner mal a cul... cette 'petite Suisse' est jolie, mais pour la traverser de manière longitudinale, cap vers l'Est, les voies se font rares... alors nous empruntons les chemins de traverse... ce qui n'est pas toujours triste.
De fait, nous voici déjà depuis quelques kilomètres sur une drôle de 'route', espèce de voie cabossable pavées de gros bossages de grès rose... nous roulons à 10 km/h à peine, en veillant à ne pas coincer la roue entre deux de ces gros cailloux. Leur surface est lisse, poncée par le sable environnant, ce qui les rend encore plus redoutables... nous roulons donc tout sens à l'affût, équilibre précaire et muscles crispés. Difficile dans ces conditions d'être bien réceptifs à quoique ce soit...
Fort heureusement, la Commission Européenne a eu la bonne idée de débloquer quelques fonds pour aménager sur le bord de ces tord-boyaux des petites bandes d'autobloquants larges d'environ 60cm. De grands panneaux flanqués du fanion bleu à étoiles nous le rappellent régulièrement.
Malheureusement, les rares véhicules que nous croisons en profitent pour ménager leur pneumatiques droits, et certains pavés sont déjà déchaussés...
Après une dizaine de kilomètres de tape-cul, un nouveau panneau nous apprend que la Commission a financé cette toute nouvelle piste cyclable tracée à travers bois, véritable petit tapis que nous dévalons avec grande joie... c'est un nouvel itinéraire de randonnée grande distance.
Les investissements européens dans la région sont nombreux... si tout le monde sait que l'ex Allemagne de l'Est est plus pauvre que l'ex Allemagne de l'Ouest, la différence Nord/Sud en revanche est beaucoup moins connue : le Nord est en effet également plus pauvre que le Sud, où l'on trouve les régions économiques phares de l'Allemagne (Baden Württemberg et Bavière en particulier). Le fameux 'C'est le noooooord' lugubre d'un certain Galabru prend également tout son sens outre-Rhin.
Alors quand on se trouve au Nord-Est, on a vraiment fait une mauvaise pioche...
Les projets autoroutiers pour désenclaver certaines régions, financés par les Länder de l'ouest ou par des fonds européens, sont donc nombreux, et les infrastructures énergétiques type énergies renouvelables se multiplient : éoliennes, panneaux solaires...
Tandis que nous quittons cette jolie petite suisse, cette réalité économique se dévoile peu à peu.
Les fermes, pour la plupart de vieux bâtiments de briques, sont en grande partie vétustes. Le matériel agricole accumulé de toute part a bien vieilli et est laissé à l'abandon.
Dans certains hameaux, les anciennes maisons qui bordent l'unique rue principale sont presque toutes à vendre. De vieux rideaux grisés derrières des vitres sales ou parfois brisées semblent témoigner d'un temps très ancien, depuis lequel ils n'ont plus été tirés... dans les campagnes alentours, de nombreuses éoliennes tournicotent au dessus de champs de blé ou d'orge plus ou moins clairsemés...
Les sols sont presque partout plats, mi ensablés, mi marécageux. Et lorsqu'ils sont légèrement vallonnés, les pluies orageuses les ravinent pour accumuler en leur creux d'épaisses couches de sable qui recouvrent peu à peu les quelques épis qui avaient déjà eu bien du mal à pousser...
Creuser les talus, encore et sans cesse relève d'un travail de Sisyphe.
Nous arrivons à un carrefour. Nous quittons l'itinéraire de grande randonnée, pour nous engager sur un petit bout de nationale. L'explosion soudaine de ces bolides qui déboulent devant nous à toute vitesse est une vraie incongruité...
Un groupe de supers motards pétaradants défile dans un grondement de tous les diables... l'un deux nous klaxonne, et une crinière rose/blonde postée à l'arrière se retourne pour lever en notre direction un poing ganté de cuir... la colonne est passée... le vent souffle à nouveau dans les boulots... étrange vision. Dans cette petite suisse, nous nous étions déjà habitués à la lenteur...
Belle ligne droite de 3km à travers bois... chose étrange, cette voie est bordée de bâtiments désaffectés. Nous trouvons une ouverture dans le grillage qui les entoure... alors forcément, nous allons y jeter un petit coup d’œil.
Au milieu de nulle part, un nom de rue : Karl Marx Allee. Il y a même un arrêt de bus. Des cages de foot sur un terrain en friche, des entrepôts, un château d'eau. D'anciennes routes de béton à moitié ensevelies sous des napperons de liserons. Des panneaux de circulation rongés par la rouille marquent encore certains carrefours. Un peu plus loin, un hangar, toujours debout. Il abrite des piles de poutres métalliques, de traverses de bétons, de plaques d’égout entassées pêle-mêle... de vieux câbles relient encore tout un réseau de tourelles métalliques sur lesquelles quelques cigognes ont élu domicile.
Un peu plus loin, un complexe de bâtiments de béton, tout aussi déserts, se découpe en formes cubiques sur la végétation environnante. En leur centre, une petite place, devenue joyeux bosquet. Quelques variétés d'arbustes décoratifs se sont épanouies, oubliant le temps lointain de la taille d'entretien : ils débordent allègrement sur les voies, où quelques racines de peuplier ont finit par crever le béton. Certaines plaques sont même déchaussées...
Tandis que nous avançons dans ces drôles de rues, un boucan de tous les diables surgit juste à côté de nous : nous avons juste eu le temps de nous retourner qu'il a déjà bondi par dessus l'encadrement de la fenêtre... le voilà qui s'enfuit à toutes jambes... ou plutôt, à toutes pattes.
Ce pauvre chevreuil semble bien plus effrayé que nous ne le sommes, paniqué qu'il a dû être en glissant tristement sur le sol carrelé du bâtiment où il se nichait... le voilà déjà loin, réfugié quelque part entre boulots et pins... il n'en reste d'ailleurs plus grand chose de ce bâtiment: ni vitre, ni fenêtre, ni porte... la plupart des plaques de carrelage du seuil se sont décollées, les rambardes de la cage d'escalier ont été arrachées... les tapisseries, presque partout identiques, sont décolorées. Elles semblent toutefois connaître une nouvelle vie, accueillant quelques œuvres rupestres très explicites de coïtus d'homo sapiens sapiens. De la fenêtre d'un appartement du dernier étage, nous apercevons d'un coup d’œil l'ensemble du complexe. L'endroit a dû abriter au moins 1000 personnes. Au fond, dans un coin, un mirador, tour blanche à côté d'une cheminée de brique rouge. Deux véhicules viennent de quitter la nationale et de se garer devant le portail grillagé... il va être temps d'y aller.
Deux kilomètres plus loin, Neuhardenberg, drôle de bourg dont l'allée principale est large de cent bons mètres. La route n'en occupe qu'une maigre partie : un large champ bordé de hauts châtaigniers sépare les rives de cette longue avenue rectiligne... De chaque côté, des maisons grises se suivent, toutes semblables et décrépies. Au beau milieu des champs alentours, des rangées de hauts lampadaires surplombent bizarrement les cultures.
Le soleil plombe de nouveau... la fraîcheur salvatrice des forêts de saules, de frênes et d'aulnes de cette jolie petite suisse nous semble déjà un lointain souvenir... les quelques troncs qui bordent encore la route projettent de maigres îlots d'ombre à leur pied, bien insuffisants pour nous soulager... nous voici arrivés sur la grande plaine de l'Oder, uniformément plate et balayée par le vent... si les hélices hautes perchées s'en donnent à cœur joie, nos trois roues ont bien du mal à tourner... il est grand temps de faire la pause du midi.
Nous nous dénichons une toute petite placette au milieu d'un bled appelé Letschin.
De nombreuses banderoles sont accrochées sur les portails ou sur les façades de maisons, dénonçant un projet de stockage de CO2... éoliennes et panneaux solaires ne semblent pas être venus seuls...
Tandis que nous déballons popotes et bouteilles, plusieurs voitures passent à notre hauteur en klaxonnant. Sympa. Nous espérons seulement que nous arriverons à faire une petite sieste... une grand-mère non loin de là ne semble pas être dérangée le moins du monde. A l'ombre des saules, elle pousse un joli roupillon, bien calée sur son banc public...
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