De l'obeissance civile

Cette 'petite Suisse' est un véritable petit paradis pour les cyclistes... le terrain y est vallonné, ce qui nous change des routes venteuses, droites et plates que nous avons eues depuis Berlin, et surtout, le paysage alterne lacs et forêts, ce qui, par la chaleur qui ne nous quitte pas depuis notre départ, est une vraie délectation... Ces descentes à l'ombre sont un régal, avec un pic de bonheur lorsque nous passons sur des petits ponts au dessus de rivières : de véritables oasis de fraîcheur que l'on savoure lorsqu'ils nous saisissent, de manière vive et fugace.

Aux creux de petites collines boisées, quelques iris sont encore en fleur.

L'après midi, souvent si poussive, se passe sans même l'apercevoir. 60km, c'est le contrat journalier. Même si nous continuerions bien, il faut ménager notre monture... nous dénichons un petit camping perdu, pour une première nuit en tente.

L'endroit est désert. Aucun écriteau, personne à qui s'adresser... juste une place avec le pictogramme habituel et une vieille caravane moussue. Le pré a été nouvellement fauché et est parsemé de petites pommes de pin... nous arrivons un peu tôt par rapport à la saison touristique apparemment.

Les volets du petit bâtiment de réception sont clos. Seul un râteau semble attendre l'éventuel visiteur. Bienvenue : nous t'adoptons pour un petit quart d'heure, le temps de nous préparer une petite place.

Tente posée, réchaud allumé, jambes croisées... un des meilleurs moments de la journée.

Une voiture arrive. Immatriculée à Dresde. Ce sont deux étudiantes, en vadrouille pour quelques jours. L'une de Dresde, l'autre de Zwickau. Elles étudient à Berlin, et profitent de ce long week-end pour respirer un peu d'air frais.

Alors que nous discutons, un homme arrive.

'- Bonsoir, je vois que vous êtes bien installés... vous vous êtes inscrits ?

- bonsoir... non pas encore.

- Comment pas encore ? En principe, on s'inscrit et on s'installe ensuite, non ?

… son ton de professeur d'école a suffi à m'échauffer les oreilles en quelques secondes... Marie intervient...

- oui évidemment, mais on a cherché, on a même demandé aux gens autour, ils nous ont indiqué un bâtiment avec une pancarte, mais on ne l'a pas trouvé. Combien nous devons-nous ?

- Mais ce n'est pas bien difficile, c'est une grande pancarte marquée camping, vous pouvez pas l'avoir manquée !

Toujours ce ton suffisant, je ne me retiens plus : 

- on a tourné 3 fois dans le patelin, et on a dû demander aux gens, on n'a pas vu l'ombre d'une pancarte, on vous dit... si elle était si visible, on l'aurait vue, non ?

L'homme n'est pas content du tout, il marmonne encore une fois que c'est impossible de la rater, nous dit de descendre le pré, prendre à droite le petit chemin en face, descendre la passerelle, traverser une cour, prendre à droite vers la cage des singes, remonter des escaliers, et s'adresser au guichet de la maison à gauche.

Nos deux étudiantes s'exécutent aussitôt, sur les talons de notre très aimable hôte...

Le repas est prêt. Nous l'avalons, commentant cet accueil si particulier. Nous n'avons pas terminé nos assiettes que les deux étudiantes reviennent, en nous apportant les excuses de notre bon monsieur : effectivement, la pancarte est en train d'être repeinte, et a bel et bien été ôtée... mais malgré tout, il faut qu'on aille payer, en descendant le pré, prenant à droite le petit chemin en face, descendant la passerelle, traversant la cour, prenant à droite vers la cage des singes, remontant des escaliers, pour enfin s'adresser au guichet de la maison à gauche, où, paraît-il, notre bonhomme nous attend... information transmise, fin de la transmission, bonne nuit.

Nous les regardons toutes les deux redescendre le pré, avec l'impression du devoir accompli... 'Dis moi puce... si ce bonhomme t'avait demandé d'aller rappeler à des gens que tu ne connais pas de payer, sachant qu'ils le savent déjà, en s'étant pris une engueulade un quart d'heure plus tôt, tu te sentirais comment ?'....

… peut-être qu'après tout, c'est un reste de 'contrôle social' d'ossie qui ne nous est pas familier...