vendredi 17 juin 2011

Allemagne : 'Ensemble, on est moins seul'...

Un champ de fleur ouvert à tous

Une vingtaine de rubriques en vrac consacrées à l'Allemagne sont actuellement disponibles sur le site, ce qui (nous l'espérons), devrait commencer à esquisser un paysage, un 'quelque chose' d'une réalité d'outre-Rhin que nous continuerons à alimenter au retour de notre voyage.

Mais s’il n’était qu’une seule vertu à citer parmi celles que je puise en Allemagne et qui me semble manquer en France, je parlerais alors sans hésiter de la plus belle d’entre elles : l’esprit de Communauté.

Nous l'avions déjà évoquée dans la rubrique cinéma, à propos du film 'ensemble c'est tout', de Claude Berri, dont le titre équivoque français ('ensemble c'est tout' signifie-t-il 'ensemble, mais pas plus' ou 'ensemble, c'est (le) tout'?) a été traduit pour les salles allemandes par un 'zusammen ist man weniger allein' explicite ('ensemble, on est moins seul'...).


L'esprit de communauté, tout un projet...


J’ai déjà souvent évoqué auprès de mes proches cet exemple : celui du champ de fleurs.

Il existe en de nombreux endroits en Allemagne des champs de fleurs, accessibles à tous et non surveillés, et replantés régulièrement au fil des saisons. Tulipes, iris, tournesols se suivent ainsi tout au long de l'année pour colorer de grands carrés de prairies, et sont ainsi ouverts à chacun pour constituer de jolis bouquets pour des sommes modiques.



Puisque personne n’est là pour ‘garder’ le champ, une caisse est postée sur le bord, avec les tarifs et des couteaux pour couper les tiges sont même mis à disposition. Chacun s’acquitte de la somme correspondante à ce qu’il aura prélevé, et repart avec un joli bouquet pour le ‘plaisir d’offrir’.



Autre exemple : lorsque Gaby me rend visite à Karlsruhe début 2003, nous en profitons pour aller faire un tour à la serre du château. Nous passons le guichet, qui n’est pas occupé. Une petite boîte en carton est juste posée sur le comptoir avec de la monnaie. Gaby attend le caissier qui ne vient pas, tandis que je dépose un billet dans la boîte et me sert directement dans la petite boîte pour récupérer ma monnaie.

Gaby en restera interdit toute la journée : comment c’est possible ??? En France, y’aurait plus de monnaie !

Tout comme en France, il n’y aurait plus de caisse au bord des champs de fleurs, plus de couteau, plus de fleur, et peut-être même n’y aurait-il plus de terre !


De tels exemples ne manquent pas : lorsqu’à la période de récolte, les jardins et vergers ont trop donné, des cagettes sont posées devant les piliers des maisons avec un bout de carton qui indique le prix de ce surplus, et une petite caisse à côté. Des salades, des courgettes, des grappes de raisin, des pommes, des prunes, etc…. sont ainsi en ‘libre achat’ pour le passant, souvent à des prix dérisoires.

Tout le monde est gagnant, et rien ne se perd…



Tout le monde est gagnant, rien ne se perd’, c’est aussi la philosophie du ‘Sperrmüll’. Une fois par mois, les gens vident sur leur trottoir ce dont ils n’ont plus besoin (sorte de vide grenier), et entassent le tout devant chez eux, en libre service à chacun : étagères, matelas, vieux canapés et vieilles TV s’entassent ainsi auprès de vieilles cages à oiseaux, vieux fers à repasser et autres objets divers (vous l'aurez d'ailleurs peut-être remarqué dans le film good bye Lenine). Les étudiants peuplent ainsi de manière fort avantageuse leur première habitation, et procéderont de même le jour de leur déménagement : ils mettront à leur tour dans la rue ce qui ne leur servira plus, sachant qu’ils trouveront dans la prochaine ville de quoi renouveler leur patrimoine, etc.…



Mesure identique face à la crise, réactions et résultats contrastés de part et d’autre du Rhin


Lorsqu’en 2008, la crise frappe, la différence entre France et Allemagne est encore une fois elle aussi frappante (on ne cesse d’être frappé…).

Le groupe dans lequel je travaille (dont le cœur se situe en Autriche) a de nombreux sites en Allemagne et quelques antennes en France, et tous sont pilotés selon les mêmes ‘chartes’ et principes.

Pour faire face à la crise, le siège fait appel à chacun de ses employés pour faire un effort en commun et sortir au mieux de cette phase critique. Sur base du volontariat, chacun est ainsi libre de décider s’il souhaite contribuer à l’effort collectif en renonçant à une partie de son salaire, selon une grille de pourcentage fixée en fonction des niveaux de revenus.

Tandis qu’en Allemagne, l’adhésion est unanime (100% de oui en une semaine), la décision fait un foin monstre chez nos collègues français qui rusent d’astuces pour se défiler. Certains assument cette position en annonçant tout bonnement de manière fort constructive qu’ ‘ils peuvent se la mettre bien profond, rien à foutre’.




Qui est ce ‘ils’ ?...


Une différence fondamentale entre ‘ils’ et ‘nous’ semble exister d’un côté de l’autre du Rhin…


Aujourd’hui 2011, les voyants de l’économie sont repassés au vert en Allemagne, tandis que la reprise est bien poussive chez ‘eux’ ou ‘chez ‘nous’, on ne sait plus très bien…..



Cet épisode de crise est pour moi symptomatique.

Tandis que d’un côté du Rhin, on se resserre les coudes pour mieux repartir, on pinaille de l’autre, en essayant encore de retirer un peu plus de ce qu’il reste à tirer avant qu’il n’y ait plus rien du tout…

Combien de fois je peux entendre parmi mes compatriotes (et à tous les nouveaux de classe sociale) ‘chacun pour soi, tant pis pour les autres’…

Ce qui me rappelle une blague fort connue :

Deux touristes qui se promènent dans la brousse sans armes voient tout à coup venir à leur rencontre un lion en quête d'un bon repas.
L'un des deux ouvre immédiatement son sac et commence à chausser ses baskets.

- Tu es fou, lui dit l'autre, tu ne penses tout de même pas que tu vas courir plus vite que le lion.
- Bien sûr que non, mais je voudrais courir plus vite que toi.



Une histoire de porte-manteau

Malgré toute la sympathie que j'éprouve pour cet 'esprit de communauté' allemand, je me rends compte qu'il n'est pas si simple de 'changer de culture' aussi radicalement... une expérience vécue il y a peu me montre à quel point ces habitudes sont profondément ancrées et tenaces.

Il y a dans les trains allemands, à côté de chaque rang de sièges, des porte-manteaux. Chacun de ces porte-manteaux est donc prévu pour recevoir… devinez devinez… oui : des manteaux ! Bien deviné…

Chacun de ces porte-manteaux est prévu pour recevoir les manteaux des deux passagers qui seront côte à côte sur les deux sièges correspondant à ce porte-manteau (ouf…).



Évidemment, le passager qui se trouve près de la fenêtre dispose ainsi d’un peu moins de place que son voisin de l’allée, mais il a la fenêtre en contrepartie…

Bref.

Aussi ouvert, aussi amoureux de cet esprit communautaire je sois, j’ai mis les deux pieds dedans.

Au moment de m’asseoir près de la fenêtre, j’ai demandé très sérieusement à ma voisine si elle ne pouvait pas mettre son manteau ailleurs car je n’avais pas de place.

Patatra...

Ma voisine parue vraiment étonnée et mit quelques secondes pour trouver ses mots : ‘euh… comment… cela vous gêne ??’ Et devant mon air entendu de celui qui dit ‘Ben, oui, bien sûr que cela me gêne, c’est mon espace vital quoi !’, elle resta quelques instants perplexe, ne comprenant pas trop comment on pouvait se montrer aussi discourtois…

Un exemple très anecdotique mais qui illustre pour moi à merveille cette différence de ‘prédisposition’ et d’attitude envers l’autre, qui vont bien au-delà des ‘choix’ rationnels et individuels, du ‘chacun pour soi, tant pis pour les autres’ souvent revendiqués chez nous.

L’esprit de communauté, pour les nuls


Bien sûr, tout ceci n’est qu’exemples, et comme toujours, la réalité est beaucoup plus complexe. Le tout est certainement à nuancer : les allemands disent d’ailleurs d’eux-mêmes que cet esprit de communauté s’étiole peu à peu, mais la différence reste encore suffisamment flagrante pour que cela soit un fait en soi : il existe en Allemagne un esprit de communauté ambiant qui pourrait être qualifié en France de beaucoup plus marginal.

A quoi cela tient-il ?

C’est très difficile de l’expliquer. Peut-être y a-t-il des raisons sociologiques, culturelles ou encore historiques qui mériteraient quelques années d’étude et de réflexion… mais certains traits me semblent y contribuer.

La construction du récit national

Pour ce qui est de l’Histoire, je me dis souvent qu’après les temps sombres du IIIème Reich, il a fallu repartir d’une table rase, tant d’un point de vue idéologique que du point de vue social et matériel. Une remise à plat salutaire qui ne s’impose pas aux ‘vainqueurs’...

Une thèse qui fera peut-être bondir certains lecteurs encore tiédis par ces temps noirs, et que je ne puis ni affirmer ni bâtir à 100%.

Disons qu’il ne s’agit que d’une hypothèse... mais le poids de l’héritage est une réalité indéniable.

Nous avions déjà évoqué la prégnance de cet héritage en conclusion de la rubrique consacrée aux lieux de repos, tout comme nous avions pu le vivre en plein à la sortie du film 'les derniers jours de Sophie Scholl' à Münster en 2005 (également évoqué dans la rubrique cinema)...

Un même héritage, une même culpabilité, un même tabou à partager comme 'histoire' nationale. Il aura fallu soixante ans (deux générations) pour dépassionner peu à peu cette histoire et commencer à s'en émanciper : pouvoir enfin retracer le ‘récit national’, entrouvrir ce tabou...

Les discussions partagées en 2002 entre anciens sur la soixantaine et jeunes de la vingtaine/trentaine (déjà évoquées par ailleurs dans l'histoire personnelle) marquent un changement d'attitude, un air d'émancipation.


1989 et la réunification n’est pas si loin.
Depuis environ 20 ans, la reconstruction de l’Est s'opère et n’est aujourd’hui toujours pas terminée (voir exemple de Dresde également cité dans l'histoire personnelle).


Et lorsqu’en 2010, nous nous rendons à Fribourg pour le concert évoqué dans le message précédent, l’expérience est une nouvelle fois marquante : devant ce spectacle qui retrace un siècle d'histoire du pays, le public s’identifie, rie, pleure et participe à l’élan.

Un élan commun qui nous fait découvrir la force d’un sentiment d’appartenance à un pays, à une histoire partagée, bref : à une ‘identité nationale’…

qui n’a pas besoin de débat pour s’exprimer.



L’esprit de communauté n’est-il qu’une question de souffrance partagée ?


Si l’Histoire semble si influente sur ce sentiment d’appartenance, suffit-il pour autant pour avoir un esprit de Communauté, d’avoir un passé récent douloureux ?...

Une vraie question. Souvenez-vous du 'Mitleid' évoqué dans la rubrique de la langue et qui répond à nos 'compassion/sympathie'...


Souffrance

Lorsqu’au printemps 2009 nous nous trouvons à Chaíten (Chili), peu après l’éruption du volcan du même nom, nous assistons à un formidable élan de désobéissance civique : alors que la ville enfouie sous un mètre de cendres est déclarée officiellement 'morte' par le gouvernement (qui refuse ainsi le moindre financement de reconstruction), nous assistons au retour des populations et à la reconstruction de la ville. Étrangement, dans cette ville sinistrée déclarée 'morte', nous vivons une expérience marquante d’optimisme, de solidarité et d’ardeur à la reconstruction.

Une réelle expérience communautaire.

Manquerions-nous en France d’un bon gros malheur ?...

La question est évidemment provocante... mais elle mérite d'être posée.

L'âge de retraite est repoussé ?... on grogne un petit coup, mais le pays ne s'en trouve pas profondément changé. Le taux de précarité augmente ? Bah, tant que j'ai un travail, je ne vais pas trop me plaindre... le moral des ménages serait au plus bas... est-ce suffisant pour se faire entendre ?...

Tandis que sur les chaînes, toutes les catastrophes du monde nous sont servies comme plat de résistance à table, chacun se dit qu'après tout, on n'est pas les plus malheureux... et termine donc son assiette gentiment devant sa TV.

j'entends déjà quelques dents grincer... évidemment, je grossis le trait... mais à quel point ?...

Encore une fois, 'qu'est ce que le Bonheur ?'...


Partage

L'esprit communautaire allemand encore si vivant tient-il finalement tant à cette 'identité nationale', ou alors serait-il également à mettre en relief par rapport à ses structures communautaires ?

Peut-être pourrions-nous de nouveau trouver quelques objets de comparaison en considérant les structures communautaires de part et d’autre du Rhin, revisitant ainsi les structures traditionnelles que sont l’Etat, l’Eglise, les Syndicats, mais aussi celles de proximité (telles que tissu associatif, liens sociaux...) et enfin celles qui relèvent de sphères plus intimes (amitiés).

Un état fédéral

Tandis que bon nombre de français rient de la ‘pagaille parisienne’ de l’hiver dernier (cet épisode neigeux qui bloqua la capitale et qui conduit le gouvernement à interdire quelque temps la circulation aux poids lourds dans tout le territoire), des kilomètres de camions s’accumulent aux frontières, semant une autre ‘pagaille’ sur les axes périphériques, notamment allemands. L’exemple peut sembler anecdotique, mais il illustre bien comment une décision ‘centrale’ peut sembler idiote (ou plutôt inadéquate) quand elle est prise de manière globale et indistincte.

Cette inadéquation entre réalité et décision collective est peut-être déjà un premier pas vers le ‘ils’…

Le 'ils' d'un pays traditionnellement centralisé d’un côté, qui s'oppose structurellement au 'nous' de son voisin fédéral.

De fait, les ‘Länder’ allemands (chacun des seize états fédéraux) sont grandement autonomes dans leur politique : Constitution propre, Parlement propre et Gouvernement propre (par ‘propre’, on entend bien sûr ici ‘particulier’…).

Cela facilite grandement l’adéquation entre la politique menée et les citoyens concernés (et donc le sentiment d’être ‘écouté / concerné’).

L’inconvénient, puisque rien n’est évidemment parfait, est relevé par de nombreux allemands : il est très difficile de converger vers des décisions nationales quand le besoin s’en fait sentir…

Un état non laïc

Après ces considérations de structures d'Etat, voyons voir du côté de l’Eglise.

Une transition qui pourrait paraître surprenante pour le pays laïc qui est le nôtre, et où Église et État sont bien distincts depuis plus d'un siècle et où la déchristianisation est bien avancée. Mais chez nos voisins, pays non laïc (si vous ne le saviez pas ?), l’Église a toujours sa part d’influence.

La religion s’enseigne à l’école. Non pas comme morale, mais comme matière, et les diverses religions sont passées en revue, illustrant ainsi les diverses attitudes vis à vis de certaines thématiques. Pas besoin donc de se déchirer pour savoir si une robe est un signe religieux ostentatoire ou si une écharpe ou un foulard est un voile ou une burka ou autre. La religion a sa place dans l’enseignement et dans la formation de chacun et apporte tout à la fois des bases d’histoire de pensées traditionnelles et quelques bases de valeurs avec lesquelles chacun est ensuite libre de choisir...

Un impôt sur le revenu (d’environ 10%) est d’ailleurs prélevé et reversé à l’Église pour tous ceux qui se déclarent ‘chrétiens’, et sert ainsi aux offices, aux baptêmes et aux mariages. Renoncer à l’impôt est bien sûr permis, mais il faut alors officiellement se déclarer athée, ce qui par la suite interdit tout baptême, mariage, etc…

Les jours de fêtes religieuses sont ainsi souvent fériés (exemple du Vendredi Saint, travaillé en France), et la trêve du dimanche respectée (les magasins ferment pour la plupart dès samedi midi), donnant ainsi un vrai rythme à la semaine. Se promener en ville un samedi après midi en Allemagne est d’ailleurs une vraie expérience pour un français, pour qui le calme ambiant contraste avec l’agitation des grandes surfaces ou centres commerciaux auxquels il est habitué. En Allemagne, on ne parle pas d’ouverture des magasins le dimanche (même si cela existe de manière très ciblée à l’occasion de grands événements ou de fêtes religieuses…) : on marque la pause...

L’Église a donc sa place, et fait partie du quotidien, même si, bien sûr, l’Allemagne connaît aussi sa vague de déchristianisation (il y de moins en moins de monde à l’office du dimanche), l’influence de l’Église n’est pas aussi découpée des institutions collectives institutionnelles qu’elle l’est en France.

Des syndicaux consensuels

Enfin, avant de passer aux structures de proximité, un mot sur l’influence syndicale en Allemagne. Tandis que nos syndicats français semblent réfractaires à toute question de progrès ou (pire) de dialogue, et connaissent des taux d’adhésion ridicules (à peine 5% dans le secteur privé, soit paraît-il le plus mauvais taux d’Europe), l’adhésion outre Rhin, même si elle s’est grandement réduite cette dernière décennie, reste environ huit fois supérieure… je n’ai d’ailleurs vraiment ressenti le rôle syndical qu’une fois en Allemagne : une attitude consensuelle, d’ouverture et de dialogue, de responsabilité, qui contraste avec l’immobilisme de quelques ‘intouchables’ que l’on connaît chez nous.

Mes collègues n’en croyaient d’ailleurs pas leurs oreilles lorsqu’à la radio, en 2008, ils entendaient les cas de prise d’otage de patron et de menace d’explosion d’usine… cela leur semble tout simplement inimaginable.

D’un côté de la frontière, on réduit les salaires sur base de volontariat, de l’autre, on kidnappe les patrons… la phrase est bien sûr simpliste, mais les extrêmes mettent tout de même une réalité en relief.

Malgré tout, ces mêmes collègues ressentent également une certaine admiration lorsque les français ‘manifestent’ en nombre dans la rue (comme pour la réforme des retraites), chose rarissime outre-Rhin (les dernières en date, qui par leur rareté marquent les esprits, concernent les manifestations contre le projet Stuttgart 21, ou encore contre le moratoire du retrait du nucléaire (rubriques correspondantes à venir sur le site après le voyage)).

Autrement dit, culturellement, on ne descend dans la rue en Allemagne que lorsqu'on n'a pas réussi à se mettre d'accord : le consensus prime, le conflit n'est pas une solution... exactement le contraire de chez nous, non ?...


Bref, après ce rapide passage en revue des structures communautaires traditionnelles, il en ressort quelque chose d'assez flagrant : tout ce qui pourrait contribuer à nourrir un sentiment de 'nous' en France semble plus ou moins moribond ('L'Etat, c'est moi !', églises peu à peu désertées (sauf pour les jours de mariage, parce que c'est joli), et syndicats sclérosés), tandis qu'elles continuent de 'jouer leur rôle' outre-Rhin...

et quand on a dit ça, cela nous avance à quoi ?


Vous avez raison, voyons voir à l'échelle individuelle comment cela se passe...


Une histoire de parking et d''éducation civique'


Vous souvenez-vous de la rubrique consacrée à l'ICE et l'anecdote concernant l'interdiction des portables dans certains wagons?

Dans le même ordre d'idées, voici un petit exemple intéressant qui concerne les parkings...

Prenons les parkings de supermarchés. Tout le monde connaît chez nous les places pour handicapés. L'esprit de communauté commence déjà par là...

Petit sondage d'opinion : qui jure de ne jamais s'être garé sur une place pour handicapés ? Qui avoue le faire 'parfois' ? Qui enfin avoue s'en ficher ?

Évidemment, cela doit également se faire en Allemagne... mais quand je pose la question autour de moi, les collègues outre Rhin sont toujours catégoriques sur la question : 'cela ne se fait pas'. Pas de 'mouais, des fois, j'avoue que...'. 'Cela ne se fait pas, point'. Un véritable échos à la rubrique 'discipline' que vous aurez peut-être déjà lue.

Et tout comme pour l'ICE, les 'minorités' ne sont pas non plus sacrifiées lorsqu'on parle de parkings : en plus des places pour handicapés, vous trouverez également des places pour familles avec enfant (situées de sorte à ce qu'il n'y ait pas de passage de véhicule à traverser), et même, sur certains parkings de magasins de bricolage, des places prévues pour véhicules avec remorque pour faciliter le transport des marchandises et les manœuvres pour se garer...






A mettre en parallèle, peut-être aurez-vous remarqué chez nous, cette nouvelle mode : les places auto-décrétées. En fait, il s'agit d'une astuce de margoulin qui consiste à se garer entre les places pour handicapés et l'entrée du magasin : le passage est assez souvent assez large pour y garer un véhicule, sans bloquer le passage...



Ce sont bien sûr des exemples anecdotiques, comme toujours, mais ils sont comme toujours aussi révélateurs du 'sens civique' ambiant.

Mais qu'est-ce que le sens civique au juste ? Comment l'acquière-t-on ?

Je me souviens très vaguement des cours d''éducation civique' reçus dès le primaire : il y était question de structures d'Etat et de rouages électoraux, où tout l'enjeu était au final de savoir si le siège de conseiller général était valable 4 ou 5 ans, élu par le peuple au suffrage direct ou indirect, renouvelable en partie ou non, pour le département, ou la région, etc., etc.... bref, ce n'est toujours pas très clair aujourd'hui.

Des concours étaient d'ailleurs organisés dans le canton, et des récompenses 'civiques' remises aux meilleurs 'réciteurs' de structures électorales... cela ressemble un peu à ce que nous disions dans la rubrique suivante : nos écoles forment d'excellents réciteurs, mais je ne suis pas sûr que mon sens civique en ait été profondément chamboulé...

Il existe en Allemagne une étape fondamentale dans le parcours de tout citoyen (hé oui, c'est propre aux messieurs) : le Zivildienst (traduire 'service civil'). Là encore, cela fait toute la différence.

Le Zivildienst est une alternative au service militaire : après l'école, chacun est appelé, et est libre de renoncer au service militaire... à condition de faire un service civil, dont la durée sera plus longue. Et c'est largement répandu !

Ce service civil consiste à intégrer des structures le plus souvent publiques dont la vocation est l'assistance aux personnes nécessitantes : orphelinats, hôpitaux, instituts pour personnes handicapées, maisons de retraite, etc.... les durées sont variables et revues régulièrement à la baisse, mais cela pouvait durer jusque 20 mois (la règle serait aujourd'hui plus aux alentours de 10 mois).

Dans le parcours de chaque citoyen, en sortie du cursus scolaire, une expérience de l'entraide est donc vécue. Cela peut être un poste d'ambulancier, ou d'accompagnateur de personne handicapée, ou d'animateur en établissement de retraite ou d'orphelinat : organisation de voyages, d'ateliers, etc...

Chose notable : toutes les personnes qui m'ont raconté cette expérience l'ont fait avec un réel enthousiasme, avec le sourire, racontant volontiers de nombreuses anecdotes drôles et formatrices : l'expérience – tous le disent – est d'ailleurs fondatrice.

Chacun apprend ainsi adolescent : qu'on est tous vulnérable, qu'on peut être source d'aide pour l'autre et en tirer de la joie, et 'qu'ensemble, on est moins seul'...

… ou que de se garer sur une place pour handicapés, 'cela ne se fait pas, point'...


WG

Allez, on va encore plus loin dans la proximité et l'intime : on va chez 'nous'. Je vous invite à venir faire un petit tour chez 'nous', Mathias et moi. Nous sommes bel et bien hétéro, et nous vivons ensemble dans notre 'WG' (WohnGemeinschaft - communauté d'habitation), bref : une collocation. Nous sommes bien sûr étudiants, mais rappelez-vous que les étudiants allemands étudient aussi longtemps. Aussi Mathias a-t-il 28 ans, et moi 23.

Il ne faudrait toutefois pas s'y tromper : le WG n'est pas qu'une mode d'étudiants (comme la colloc l'est en France). C'est UN mode de vie répandu qui allie ainsi des personnes seules qui décident de vivre ensemble et, comme le dit le titre du film, d'être un peu moins seul. Collocation de célibataires, de retraités... ce mode de vie est souvent l'occasion de partager le quotidien tout simplement, en plus (fort appréciable) des charges et du loyer.

A l'ambiance festive et débridée de la colloc française presque exclusivement étudiante, répond une réalité allemande de la cohabitation sereine et 'adulte', faite de respect mutuel et de longues soirées de discussions autour de bières ou de Weinschorle...

Bien sûr, dès qu'il y a des enfants, le WG devient un mode de vie délicat et la maison familiale est presque toujours privilégiée. Être en couple n'est par contre pas forcément un problème pour vivre en WG avec d'autres personnes.

Bref, comme dans le film 'ensemble c'est tout' où 4 personnes finiront par cohabiter sous un même toit par la force des choses, le WG est déjà un début d'apprentissage de la communauté, où certaines règles de cohabitation sont certes nécessaires, mais où tout de même, on apprend là aussi qu''ensemble, on est moins seul'...

Une histoire de placard à présent


Autre petite histoire anecdotique et symptomatique : une histoire de placard... quelqu'un devrait ici se reconnaître...

Nous avions par le passé une location dans une ferme rénovée. L'accès à l'appartement se faisait par un escalier d'accès au premier étage, partagé par 2 appartements.

Sur le palier, entre les 2 portes, il devait y avoir une dizaine de m². D'un accord tacite, nous avions décidé de mettre à contribution cet espace : nous avions donc installé un petit placard pour y ranger les paires de chaussures et d'autres choses quelconques. Le voisin, qui avait un enfant en bas âge, y rangeait sa poussette et d'autres affaires.

Une amie 'de la ville' en visite chez nous n'en revenait pas 'Vous êtes gonflés vous de vous installer comme ça !!'...

Chacun chez soi et les poules seront bien gardées... vous avez certainement déjà entendu ça quelque part, non ?...

Là encore, l'exemple est marquant et illustre bien notre tendance culturelle dès qu'il s'agit de problématiques de 'cohabitation' (comme pour le porte manteau) ou de trouver des solutions profitables à tous, autres que le strict 'chacun chez soi'...



Chacun chez soi, c'est au final bel et bien ce qu'il reste quand toutes les occasions de 'cohabiter' ont été évitées ou cadenassées.

De fait, quels sont les lieux de rencontre habituels restants ?

Les 'cafés de quartier' sont chez nous souvent assimilés à des lieux de rencontre de piliers de bar, le temps des 'cafés littéraires' du siècle des Lumières est bien bien loin, tandis que, de l'autre côté du Rhin, les Weinstube (cafés de quartier) restent encore le lieu de rencontre du 'quartier' où s'échangent des avis ou des projets de vie concernant précisément... 'le quartier', bien vu madame.

Et tout commence par là... si l'on ne sait pas comment cohabiter pour le partage d'un palier ou s'investir dans un projet de quartier, comment arriver à un sentiment de communauté plus global ?

Voici peut-être comment se crée d'un côté du Rhin le 'nous', autrement plus enthousiasmant que le 'ils' empreint de rancœur qui domine de l'autre...

De fait, chacun y reste chez soi, enfermé dans son placard, à ruminer son insatisfaction...


Qu'est ce que le Bonheur ?...

Vaste sujet, mais il me semble déjà que cette question d'esprit communautaire (et par inversement, de la solitude) n'y est pas totalement étrangère.

Qui aura vécu en Allemagne et goûté à cet 'esprit communautaire' reviendra en France avec un drôle de sentiment...

Tout le monde s'y fait la bise (souvenez-vous de cette rubrique sur le baiser), mais nous semblons dans l'ensemble incapables de construire une 'cohabitation' enthousiaste, un projet de vie communautaire... un rapport à l'autre tout à fait défiant (ou déficient) qui mène peu à peu à multiplier les caméras de surveillance et les forums virtuels de rencontre...

Tout le monde s'embrasse, ok, mais on est 'Ensemble, c'est tout'...

Serions-nous revenus une nouvelle forme de 'guerre froide' civile?......



Réflexion à poursuivre... vers l'est, d'ailleurs : en ex-RDA.

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