Promenade du soir. Gerhard a tenu à nous montrer les rives de la rivière.
Un vrai gruyère. 'Des castors', me dit-il. Une chienlit. Presque tous les saules ont été abattus, et les rives sont creusées par dessous... il arrive même de passer à travers !
Tiens, quelqu'un a laissé sa pagaie...
Eva nous a rejoints.
Elle a enfilé un jogging, cheveux attachés en chignon. La sport attitude. Elle ramasse la pagaie et tournicote des bras. Les 3 chiens se prennent au jeu et lui tournent autour en aboyant d'excitation. Eva rie... elle descend un grand canyon, le Nil, puis l'Amazone. Nouveau voyage...
Gerhard rie et s'allume une clope. Il sort un appareil photo de sa poche et la prend : tac, il se prend le flash en pleine poire... il s'est encore planté de côté : joli gros pif de Gerhard sur l'écran.
Il se marre.
Quelqu'un a dit un jour 'Depuis que j'ai appris à rire de moi-même, je ne me suis plus jamais ennuyé'...
Peut-être une voie de plus vers le bonheur... d'ailleurs, à cet instant, cette question me semble tomber à point.
'Dis-moi, Gerhard... toi qui a vu tant de choses, tu dois certainement savoir ce que c'est, le bonheur ?
- Le bonheur ?
- Oui, tu sais bien...'
Gerhard se marre... il arrête sa déambulation, regarde Eva pagailler au milieu de l'Anapurna en compagnie de ses 3 molosses... nouvelle taffe, un soupir...
'… le bonheur... tu en as des questions toi... pourquoi tu veux le savoir ?
- C'est intéressant de savoir comment les gens que l'on rencontre se le représentent... on est partis de France, on a posé la question en Allemagne... on la posera un peu tout le long du voyage. Je ne sais pas si on en tirera quelque chose, mais cela nous semble important...'
Gerhard me regarde dans les yeux, tire encore un coup sur sa clope, l'écrase par-terre avant de reprendre sa marche en remontant la rivière. Sur la rive d'en face, un gars remonte la ligne de son lancé. La nuit tombe peu à peu.
'C'est pas une question idiote... mais j'ai pas réponse.'
Nous marchons encore quelques mètres, en silence.
'J'ai vu beaucoup de gens qui auraient pu le croiser, mais qui se sont perdus en cours de route... tu sais, on croit souvent courir après le bonheur, mais c'est souvent lui qui nous trouve et pas l'inverse... et souvent là où on ne l'attendait pas...'
Il tire presque machinalement son paquet de la poche de sa chemise.
'L'argent ne fait pas le bonheur'.
Il s'arrête, sort une clope de son paquet, remet le paquet à sa place et regarde par dessus la rivière...
'Non... il soulage, mais il ne fait pas le bonheur'...
Il tripote sa clope, la fait tourner dans ses doigts engourdis, et reprend sa marche.
'Ça, pour le coup, je peux te le dire : le grand malheur, c'est de croire que l'argent fait le bonheur...'
Son visage s'éclaire à la lueur de son briquet... deux aspirations. Il crache aussitôt, et regarde sa clope : apparemment, il l'a allumée du mauvais côté.
Il se moque de nouveau de lui-même... c'est un soir de grande forme !
Il rigole encore quelques instants et se tait à nouveau.
Eva est rentrée, les chiens se sont tus.
Ne reste plus que le silence et quelques clapotements de rivière.
'Tu sais, j'ai eu de l'argent... mais je n'avais pas de temps. Maintenant, je n'ai plus un radis, et j'ai beaucoup de temps... je sais pas si c'est mieux...'
…
'Tu vois, la vie, c'est mal foutu... et si tu attends de tout avoir pour être heureux, alors t'es mal barré...'
Nous reprenons la marche.
'J'ai longtemps rêvé d'aller en France. Faire toute la Côte Atlantique... j'ai les cartes, tu sais !... Saint Malo, Concarneau, la Rochelle, la dune de Pyla...'
Je vois bien...
'... hé bien tu vois, je n'y suis jamais allé. Peut-être que j'irai à 105 ans, quand j'aurai tout fini ici !'...
Nous nous marrons tous les deux...
'Malgré tout, je l'ai fait souvent ce voyage... et je suis sûr d'y avoir trouvé de grands moments de bonheur'...
…
'- Et tu sais quoi ?...
Il me regarde d'un air malicieux.
'C'est une très bonne chose que je ne l'aie jamais fait ce voyage... du bonheur sans dépenser un rond c'est déjà pas si mal... et surtout, je ne suis pas sûr que j'aurais aimé... il m'aurait fallu bouffer des grenouilles !'
Nous nous marrons de nouveau, comme des gamins.
… des gamins, cet état fugace et précieux de l'homme où l'Anapurna est une rivière et St Malo un port de l'Atlantique...
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