dimanche 10 juillet 2011

Destination suivante : Piła

Nouvelle étape. Même chaleur, tant du ciel que sur terre...

La zone frontalière semble toutefois être derrière nous : les villas pologrecques ont fini par disparaître tout à fait, tandis que les ruines se multiplient.

De vieux bâtiments d'usines désaffectés, de grandes bâtisses au toit absent, parfois, des clochers d'église ouverts sur les cieux.


Les pierres tombales semées au hasard de la forêt tout autour, à demi ensevelies par la végétation, semblent dater du temps où la région était encore allemande.

Ces 'Heimturisten' devaient certainement avoir à cœur de leur rendre parfois visite avant qu'ils ne disparaissent à leur tour et que ces lieux ne soient tout à fait oubliés.

Dans les hameaux que nous traversons, tristes juxtapositions de baraquements en bord de route, certaines constructions endossent l'état de ruine avant même d'être terminées... on ne sait guère parfois s'il s'agit d'une maison en cours de construction ou d'un projet avorté.

Les tas de gravas se multiplient un peu partout : déblais, ou remblai, tas de sable ou de briques, amoncellement de parpaings décelés. La nature n'aime pas le vide, et cela semble ici être une règle fondatrice: pas une place sans amoncellement de matériaux, pas un bord de route sans pneus
abandonnés, carcasses de poussettes, de vélos, sacs de vêtements éventrés...

L'odeur de plastique fondu est devenu une seconde atmosphère plus ou moins concentrée, préférable encore à celle qui émane de décharges à ciel ouvert.

On comprend aisément que la plupart des gens préfèrent s'économiser les 50sl mensuels de collecte... 'la région la plus pauvre de Pologne' avait dit Gerhard. Nous n'en doutons pas.

En roulant, nous surveillons les bords de route, les petits chemins, d'éventuels parkings, peut-être même un carré d'herbe rase, bref, tout ce qui pourrait se présenter pour faire une pause : aucun endroit 'agréable' ne s'offre à nous.

Nous cassons la croûte le plus souvent debout, sur une petite placette de terre battue, en compagnie d'enjoliveur de voiture, de garde-boue de tracteur ou de tôle ondulées laissées sur quelque tas de palettes...


C'est exactement cela en fait... depuis ces quelques jours que nous traversons ce triste décor, cela ne nous avait pas encore sauté aux yeux, mais c'est cela : la notion d'agréable semble avoir disparu.

Une taille d'arbuste, une pelouse soignée, un aménagement d'espace ouvert, clair... des plantations, des fleurs... le 'joli', le 'gratuit', ce quelque chose qui ne naît pas de l'utile...

C'est aussi cela, la pauvreté.



'Qu'est ce que le bonheur ?'... cette question, par moments, nous semble indécente...



Comme pour nous laisser ressasser ces nouvelles réflexions, la route se perd peu à peu à travers de vastes forêts de pins. Les hameaux, indiqués par quelques pancartes en bord de pistes de sable, sont devenus très rares, et peu à peu, nous nous laissons absorber par la monotonie.

La route est une succession de plaques de béton. Cela ne fond pas lorsque de gigantesques incendies les traversent. Tacloum, tacloum, tacloum... tous les dix mètres, nos trois roues sonnent un petit coup... tacloum, tacloum, tacloum... le vent gronde en sourdine, uniformément... tacloum, tacloum, tacloum... nous pédalons machinalement, pas une voiture, pas un camion, rien à l'horizon : juste une ligne de plaques de béton entre deux colonnes de pins, et le tout qui se noie en s'évaporant tout au bout.

Le sous-bois est quasiment nu. Un tapis uniforme d'aiguilles et de pommes, parfois un peu de mousse, quelques chouquets d'herbe sèche... une saignée longeant une ligne électrique nous apporte un fugace parfum de bruyère...

… tacloum, tacloum, tacloum...

Quelques arrêts de bus plantés au milieu de nulle part nous rappellent une présence humaine. A côté de l'un d'eux, une croix, chichement décorée.

Et puis sans prévenir, une ville : Trzcianka.



Les pavés ont relayé les plaques de béton. Ce n'est pas qu'une mauvaise nouvelle : certes, il nous faut serrer un peu les dents par moment, mais nous avons ainsi la chance en fin de journée de découvrir du sucre glace dans nos tupperwares de sucres en morceaux. Toujours positiver dans la vie...




Trzcianka est la seconde plus grande ville que nous traversons en Pologne. Ses abords ne sont pas plus gâtés que tous les hameaux que nous avons pu apercevoir. Il y a toutefois à l'angle de la place principale une boutique à glace...

Nous cherchons à tout hasard un petit bistrot, quelque chose où manger une salade ou quelques frites. Nous tournons plusieurs fois autour de la place, au centre de laquelle se trouve la gare routière et où de nombreuses personnes patientent.

Les gens nous regardent cette fois-ci, mais toujours sans aucun sourire. Un homme nous crie même après, nous faisant de grands signes : nous le regardons, il répète en semblant s'énerver. Nous ne comprenons qu'un peu plus loin... nous avons fait le tour de la place en sens inverse.

Aucun bistrot, aucun resto, rien...

Nous repartons.

Pas très loin de là, nous repérons un garage. Une marque au losange qui ne nous est pas inconnue... un grand panneau sur la devanture de boutique attire toute notre attention : une pu-bli-ci-té...

...


Cela nous semble tomber du ciel. Une publicité... ce truc, ce paysage, ce fond de décor omniprésent, tellement présent chez nous qu'il en est presque invisible, nous n'avions pas vu jusque là qu'il n'existait pas...

Nous faisons demi tour pour mieux regarder... peut-être n'était-ce qu'une vision, avec ce cagnard...

Mais non, il s'agit bel et bien d'une grande affiche de pub, ventant les mérites d'une voiture.


Une affiche prévue à capter l'attention d'un futur acquéreur... un truc qui nous paraît après ces quelques jours d'immersion bizarrement saugrenu...

Ce panneau serait-il tombé d'une station géostationnaire qui aurait perdu son orbite ?...

A y regarder de plus près, cela semble assez peu probable... l'affiche semble même s'être efforcée à trouver un nouveau langage pour refourguer sa quincaillerie : l'objet promis n'est ni le sexe (souvenez-vous du number one du bonheur: le but de tout être (et donc par logique, de tout objet qu'il acquière)), ni l'évasion, ni les vacances en famille... de même la cible (la personne visée si vous préférez...) n'est pas ce beau trentenaire dynamique à la barbe de trois jours que nous voyons habituellement... peut-être finalement ne s'agit-il pas d'un hasard... oui... finalement, il n'y a pas d'erreur.

Et cette affiche est tout à fait emblématique...




… nous scrutons dès lors chaque bord de route, chaque mur de rue, à l'affût de la moindre nouvelle pub, la moindre affiche de promesse... une nouvelle attraction pour avaler les kilomètres.


Malheureusement, vingt cinq bornes de forêt de pin viennent briser cette excitation.

… tacloum, tacloum, tacloum… tacloum, tacloum, tacloum... et encore … tacloum, tacloum, tacloum... quelques boulots se sont peu à peu mêlés aux pins. Un semblant de végétation, tapis ras d'herbe sèche... parfois, de petites collines apportent un brin de fantaisie... l'endroit en deviendrait même douillet : parfait pour une petite pause...



L'air embaume la sève... le feuillage des bouleaux bruisse gentiment... tandis que nous nous détendons, nous sentons peu à peu la fatigue des nuits courtes qui se suivent... nous hésitons à rester là pour la nuit : le camping sauvage est en effet interdit par ici... la moindre allumette suffirait à lancer un joli barbecue... à regret, nous finissons par repartir.

Déposées en bord de route, nous découvrons un peu plus loin des lanternes. Elles abritent justement des petites bougies allumées (!)...




Probablement quelques lieux de mémoire pour disparus de la route...


… tacloum, tacloum, tacloum… arrêts de bus… tacloum, tacloum, tacloum… et nouveaux pavés : voici Piła, une ville encore plus grande que la précédente...


… certainement de quoi remplir notre besace à pubs !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Si vous souhaitez réagir, n'hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous ou à nous envoyer un message à l'adresse suivante: petits_carnets_dalsace@yahoo.fr