vendredi 1 juillet 2011

Dimanche matin. Jour du seigneur.

Nous quittons Adam en rigolant... des adieux chaleureux. Pour dédramatiser la fin de 'bons moments passés ensemble', nous préférons bien sûr rire...et pour rire, Adam n'a donc pas hésité à se laisser aller : depuis la veille, il louchait dessus, alors au moment ultime du départ, il s'est lancé : 'pouet, pouet !', notre klaxon à poire était trop tentant... être adulte ne signifie pas devenir étranger à son enfance : nous sommes heureux de voir que notre hôte partage aussi cette maxime.

Nous passons le portail, accrochons nos casques. Adam nous accompagne.
Le départ sur la rue pavée est à un doigt de se finir par-terre, la roue avant coincée dans une saignée... un bon coup de guidon de travers et nous évitons la chute in extremis... Adam pousse un 'hola !' mêlé de crainte et d'encouragement, nous lui répondons par 2 pouet pouet, et ne reste bientôt de lui plus qu'un rire.

Direction Gdansk.


Sur la route de Gdansk, Gorzów est notre prochaine destination.
Au bord de la départementale, une jolie piste cyclable nous attend... cette journée est semblable à toutes celles que nous avons depuis que nous sommes partis : il est à peine 9:00, et il fait 28°. Les allées de tilleuls sont donc d'autant plus appréciées, tout comme le blanc de nos maillots.

Le voyage commence toujours par le détail. 

La petite chose, invisible, qui à un moment donné trahit une 'autre' réalité... il ne nous a pas fallu bien longtemps pour découvrir la ferveur catholique polonaise. Bien sûr, le prénom de notre hôte était un premier signe, les crucifix au dessus de lits séparés en était un autre (lits dont la taille nous apprend également que le polonais moyen est un tout petit bonhomme...), mais les croix fleuries qui jalonnent le bord des routes ne peuvent plus être qualifiées de 'détail'...





La départementale contourne le premier bourg que nous croisons, Witnica. Nous quittons donc la petite piste cyclable, et prenons à gauche... pour une première et joyeuse expérience des voies pavées...

Witnica est un petit bourg charmant (il le serait plus s'il ne nous faisait pas autant claquer des dents...). Les maisons ont un certain cachet : fenêtres et balcons sont ornées de liserons sculptés, et surlignés de motifs travaillés. Les rues sont assez larges, quelques petites places soignées abritent quelques âmes en quête d'ombre et de quiétude... la ville est comme endormie.



C'est que les âmes en quête de quiétude se sont réunies en une autre place : celle de l'église... Les portes, bordées de rameaux de bouleau, en sont grandes ouvertes. Depuis la place, nous apercevons la coiffe de l'homme qui officie, richement paré... 'l'homme qui officie'... est-ce un curé, un évêque, un prêtre ?... ce manque de vocabulaire révèle bien notre ignorance... il a sur la tête cette drôle de coiffe qui ressemble à celle d'un bon cuistot, en bien plus joli... non vraiment, notre ignorance en cet instant nous emplit de honte...

Les places assises sont grandement occupées. Devant l'entrée, des jeunes endimanchés se tiennent à l'écart pour laisser un peu de vue aux mamans restées dehors avec leur poussette. Certaines nous regardent, un court instant, avant de se retourner : c'est le moment de chanter... mamans, jeunes endimanchés, et tous les gens de l'intérieur qui se sont levés se réunissent sur les mêmes mots, sur une même mélodie...

La force du chant nous enfonce encore plus profond sous terre... que faisons-nous là ?...

De tout là-haut, ce drôle de bonhomme de marbre semble nous regarder avec bienveillance, et même un brin de compassion... bras levé, comme pour nous absoudre de notre ignorance. Il a aussi cette drôle de coiffe de cuistot... mais celle-ci, nous la reconnaissons grâce à sa bouille qui nous dit bien sûr quelque chose : il s'agit de la mitre, portée par Karol Józef Wojtyła, également connu ici sous le nom de Jan Paweł II, l'autre enfant sacré de la Pologne.

Les croix que nous avons pu voir sont d'ailleurs le plus souvent décorées de 4 couleurs : le blanc et le rouge, les couleurs du pays, et le bleu et le jaune : celles du Vatican.

Un nouveau chant est entamé... nouvel instant de malaise, comme une profanation, un sentiment désagréable d'être de trop, ou de violer une intimité : nous poussons notre embarcation à l'écart, regrettant chaque cliquetis de roue libre, et reprenons aussitôt la route.


Nous traversons le reste du bourg avec cette drôle d'impression de traverser une maison quand tout le monde est sur la terrasse... tout est à sa place : bancs, tables de terrasse, balançoires et autres jeux pour enfants... les lieux respirent la quiétude, sans que personne n'y soit.


Les retrouvailles avec le goudron sont un réel plaisir. En bord de la départementale, la piste cyclable continue son bout de chemin.

Le vent comme chaque jour finit par se lever : nous aurions apprécié qu'il fasse un peu grasse mat' en ce dimanche matin, mais lui aussi semble faire preuve de ferveur... comme d'habitude, nous nous posons sur lui pour tenir l'équilibre. Nous apercevons quelques cigognes, pas plus gâtées par les vents... elles se sont douillettement installées au dessus de poteaux électriques.

Quelques maisons bordent la route, cossues, de style 'pologrec' : deux colonnes massives soutiennent en effet un fronton triangulaire au dessus de l'entrée, donnant un air très antique à ces habitations. Si cela nous amuse au début, un autre sentiment nous gagne au fur et à mesure des kilomètres... car petit à petit, ces petites villas pologrecques finissent par jurer dans le décor qui se propage...



Au cœur des hameaux que nous traversons, les maisons qui avaient tant de cachet à Witnica semblent fatiguées... couleurs pastels, façades partiellement décrépies... chaque kilomètre semble une avance accélérée d'un irréversible vieillissement... peintures cloquées, barrières progressivement rouillées, puis déchaussées... quelques marches de seuil finissent par être fendues, puis par manquer. Les allées qui y mènent disparaissent peu à peu sous le lierre.



Ces jolies bâtisses se décomposent inexorablement : leurs coins moussus sont effrités, laissant apparaître la brique... certains habitants ont même fini par en déchausser les ornements pour les vendre au plus offrant.

D'autres habitations plus modestes se multiplient, presque mécaniquement : petits cubes gris de béton, sans volets ni toiture.

Des cabanes naissent comme des champignons, pour abriter tout 'ce qui pourrait servir' : des tôles, des briques, des palettes, des casiers... des bâches trop courtes sont tirées sur des tas de bois trop vieux, ou étendues sur des carcasses de véhicule.

Certains jardins finissent par devenir des parkings, où les épaves des routes s'accumulent. Des grillages de fortune défendent peu à peu ces territoires, avec l'aide de gueules non muselées...

Les jolies villas pologrecques qui leur font fassent finissent par être franchement trop blanches...


Un couple de cyclistes vient de nous dépasser. Pas un regard. Photo de villa prise, nous repartons. Nous retrouvons bientôt notre couple de cyclistes, c'est assez drôle de les revoir, nous leur faisons un petit coucou : pas plus de réponse... à la photo suivante, nous les regardons arriver : cette fois-ci, l'un comme l'autre tournent la tête. Le jeune homme ne doit pas avoir plus de vingt ans. Environ cinquante ans de moins que sa monture : la roue arrière frotte fortement sur le cadre à chaque demi tour de roue. La demoiselle qui l'accompagne chevauche un joli VTT coloré.

Nous les laissons passer, et veillons à ne pas les dépasser à nouveau...


Gorzów finit enfin par nous rejoindre. Il était temps d'ailleurs : son état de délabrement est si avancé qu'il n'aurait pas fallu attendre plus... ses voies pavées ont grand peine à se dérouler sous nos roues, et ses trottoirs ne nous apportent aucune alternative... ses rues s'affaissent sur leurs bords, semant de véritables cratères au fur et à mesure que le nombre de pavés consécutifs manquants augmente.

Nous sommes parfois obligés de nous déporter loin au milieu de la chaussée pour pouvoir simplement avancer, espérant que les automobilistes fassent preuve de compréhension : 200kg sur un champ de bataille, cela ne se manœuvre pas si facilement que cela... ceux-ci nous chassent sans pitié aucune sur les trottoirs, que nous quittons au bout de cinquante mètres à peine. Les piétons ne sont effectivement pas plus aimables : ils nous ignorent le plus formidablement du monde, où se détournent même carrément. Un bambin en poussette nous pousse de jolis petits cris de joie, secouant la main en notre direction : ses parents font demi tour, 180° pour le bambin...

Nous finissons par sentir que nos maillots aussi sont trop blancs, tout comme notre monture, tout comme notre carriole... alors que nous longeons de vieux rails, un bruit terrible venant de derrière nous fait sursauter : c'est un tramway dont le dessous vient de racler le sol... nous le regardons nous dépasser en se balançant de bas en haut, tout en nous demandant par quel miracle il parvient à rester sur ses rails...



Nous voilà en plein centre ville... un joyeux chaos de banderoles et d'enseignes branlantes fichées de petits drapeaux nationaux et d'autres rouges, blancs et verts. Nous nous arrêtons à hauteur de deux jeunes filles pour demander où dormir : elles continuent leur chemin sans même faire mine d'avoir entendu notre 'excuse me, do you speak english' ?... tout juste l'une des deux a-t-elle rehaussé la lanière de son sac à main sur son épaule...

Aucune trace du camping pourtant indiqué sur la carte... nous abandonnons : nous continuons jusqu'à la sortie de la ville.

Quelques courses en périphérie, en zone commerciale (aussi fervents les polonais soient-ils, les magasins restent ouverts le dimanche), là où nous captivons si facilement les petits vieux... rien à faire : notre tandem n'a décidément pas la cote depuis un certain temps......


… quoique...


Derrière la vitre opaque du couloir du supermarché, nous apercevons différentes personnes qui s'arrêtent à notre hauteur : elles contemplent cette drôle d'embarcation de l'intérieur, pensant sûrement que ce vitrage opaque nous les rend invisibles de l'extérieur... peut-être ce vitrage rend-il également nos maillots moins blancs...

Un jeune homme finit enfin par mordre... c'était inespéré. Il parle même anglais. Alleluja... il nous indique un camping, niché entre deux lacs, 'non loin de là'. Un coup d’œil sur la carte nous indique qu'il se trouve tout de même à 40 bornes... soit 2h30 de route. Toujours se méfier du 'non loin de là'...

Il est désolé, mais n'en voit pas d'autre : il y bien un arrêt en bord de route où il y a des caravanes, à quinze kilomètres, mais c'est au bord d'une nationale... nous le remercions.

Nous chevauchons notre cheval blanc, devant le public du couloir, et reprenons la route.

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