La chasse aux publiphores... 3ème et dernier acte

Je ne sais toujours pas où se cache ce petit bonhomme qui veille tant à ce que je ne m'ennuie pas. Mais j'aimerais à l'occasion le rassurer : il n'a pas besoin de se fatiguer autant à la tâche !

Car à être franc, je le trouve un peu trop zélé, ce bonhomme...

Croit-il, lorsque je lis une page Internet plus de 5', que je me sois endormi, lorsqu'il ouvre une nouvelle fenêtre et m'interrompt ? Je lui ai pourtant déjà dit auparavant 'accéder directement au site', pour lui montrer que j'étais bien éveillé, et que je n'avais pas besoin qu'il veille autant sur moi...

Idem lorsqu'il me jette une pub au visage pour laquelle il me faut quelques secondes de recherche pour trouver la fameuse croix qui devrait me permettre de la faire disparaître, comment lui dire qu'il en fait trop ?... il dispose déjà la plupart du temps d'une partie de la page pour remédier à mes éventuels moments de désœuvrement...

… à force, j'ai même l'impression qu'il déborde un peu sur mon temps actif...

Par exemple, lorsqu'au moment crucial du film il me balance son petit quart d'heure de distractions, croit-il vraiment que je sois sur le point de m'assoupir ?

Il m'appelle au téléphone à n'importe quel moment de la journée (et du soir) pour m'offrir des promotions exceptionnelles pour des installations d'eau chaude, de canapés et d'autres gentillesses. Il envoie même des bonshommes sonner à ma porte à n'importe quelle heure, mais aucun d'eux ne semble me permettre de remonter jusqu'à lui... une sorte de Keyser Söze omniprésent que personne ne connaîtrait... et qui n'a de cesse de veiller sur moi...

Non, vraiment, c'est trop sympa... mais il faut pas !

Il m'envoie également des SMS, et ma boîte aux lettres (réelle ou virtuelle) est régulièrement alimentée, tout comme mon dossier de spams déborde... je n'ai même plus le temps de tout lire !

J'ose pas le lui dire bien sûr, quand je sais le mal qu'il se donne... mais j'en suis réduit à jeter certains des ses messages sans même les lire... si ce n'est pas honteux tout de même...

… non, sans blague, comment lui dire qu'il en fait (un peu) trop ?...

…

Je vois que vous me comprenez... vous êtes bien sympathique...

…

D'ailleurs... puisqu'on y est, je vais vous dire aussi...

… quelque chose a tout de même fini par me déranger... mais ne le dites à personne, cela reste entre nous, hein ?... Promis ?

Vous avez l'air d'une personne en qui je peux avoir confiance...

C'est que je ne voudrais pas qu'il soit froissé... mais entre nous, un petit truc a fini par m'agacer un petit peu... c'est le ton qu'il a peu à peu pris pour s'occuper de moi... j'ai parfois l'impression qu'il me parle comme une vraie mère poule !

Chaque message ou presque qu'il m'adresse est à l'impératif...

'Fais ci, fais ça', 'fais pas ci ou ça'... 'sois comme-ci', 'sois comme ça'... tenez, regardez donc la dernière :

Bon je l'ai retrouvée sur le Net, parce que j'avais pas d'appareil photo sur moi ce jour là... mais c'est intéressant aussi d'ailleurs : non seulement quelqu'un d'autre a pris la photo, mais voyez le commentaire ajouté en noir, ça n'était pas sur l'affiche bien sûr... il semblerait que cela a fini aussi par agacer quelqu'un d'autre!

Vous voyez où on en est tout de même, hein...

Ce p'tit bonhomme, si sympa... il voulait juste que je ne m'ennuie pas en attendant le bus, et voici que petit à petit il nous agace... on est un peu ingrats tout de même, non ?

Mais enfin, c'est vrai aussi : je ne suis plus maître de mes projets et de mon temps... il me dit tout ce que j'ai à faire !

… et franchement, le pire, cela va vous semblez dingue... c'est que je ne sais même plus trop pourquoi !...

… vous riez, mais ce n'est pas drôle dites donc...

… cela me rappelle un peu un sketch célèbre... vous savez, là... le truc, ça faisait :

'- Woh, Manu, tu descends ?

- Mais pour quoi faire ?

- Ben je sais pas moi, tu descends !

- Mais pour quoi faire ?'

Ah, vous connaissez ?

Vous voyez, parfois je me demande quand même moi aussi... 'mais pourquoi faire ?'...

C'est vrai ça, pourquoi faut-il absolument toujours être à l'affût de la moindre super occas' qu'on m'offre ? Et pourquoi m'offre-t-on toujours des super occas' à moi... qu'est ce que j'ai fait pour le mériter ?

'Parce que je le vaux bien' me dit-on... je serais même le client roi... vous vous rendez compte, moi : roi !... toutes ces flatteries m'en feraient facilement perdre mon fromage...

Tant de gentillesse, je vais même vous le dire franchement (mais surtout, ne le répétez pas, hein) : je trouve que c'est presque un peu stressant tout ça... des fois, j'ai envie de ne pas répondre au téléphone, de ne pas ouvrir ma boîte aux lettres, de ne pas allumer mon poste de radio ou ma TV, ou mon PC... si c'est pas malheureux, hein ? J'ai l'impression de ne plus être tout à fait maître chez moi... je vais même finir par ne plus oser sortir !...

Alors leur bonheur, sincèrement, c'est sûrement très bien... mais que quelqu'un se fatigue autant pour me dire tout ce que je devrais faire et que cela finisse par me stresser à ce point... cela vous paraît pas un peu bizarre tout de même ?

Oh, bien sûr, j'ai déjà demandé moi aussi : 'Mais pourquoi faire ?'

…

Mais là, le petit bonhomme s'est tu...

Cela doit sembler tellement évident que le 'pourquoi' n'est même plus écrit sur les affiches. Ne reste plus que la longue énumération de tout ce que j'ai à faire. Peut-être d'ailleurs faudrait-il éditer de parfaits petits manuels de poche. Ce serait plus pratique que de gâcher à ce point le paysage...

Ce qu'il faut faire, on sait, mais pour le 'pourquoi faire' ?... on sait plus...

Pourtant, j'ai cherché, vous savez...

Quelques bonshommes bien tristes après bien des hésitations ont fini par me parler de drôles de choses... il y avait un mot qui revenait souvent de leur bouche... comment c'était déjà... un truc comme pour les dents là... ah oui, j'y suis : de 'croissance'... c'est bien ça : le petit bonhomme avait tant à cœur de s'occuper à ce que je ne m'ennuie pas pour que la 'croissance' soit bonne.

Et j'ai demandé bien sûr 'mais, la croissance de quoi ?'...

Et là encore, personne n'a plus su...

C'est aussi comme ce vieux dessin animé, vous vous souvenez ?

'Les shadocks pompaient mais personne ne savaient plus pourquoi ils pompaient'... avouez que c'est assez drôle non ?

…

Malgré tout, ce trou de mémoire ne semble pas si problématique, et le petit bonhomme est d'ailleurs toujours aussi âpre à la tâche : il semble retourner ciel et terre pour me dénicher sans cesse des affaires toujours meilleures les unes que les autres... il me gêne ! Car vraiment, il ne faut pas...

N'ayant toujours pas réussi à le rencontrer, j'ai fini en dernier recours par lui écrire une lettre, que voici :

'Petit bonhomme qui veille tant sur moi,

Si tu tiens tant à moi, appelle-moi ! On ira boire une bière ensemble, dans un bistrot du coin, et on discutera du bonheur... ce sera avec joie.

Mais très sincèrement, ne t'en fais pas tant pour moi... je pense avoir ma petite idée sur la question, et j'ai bien envie d'essayer sans avoir besoin que tu me couves autant... sois gentil, laisse-moi tenter ma chance comme je l'entends ! Je pense que je suis assez grand à présent !

Je te propose qu'on fasse un petit break, une pause, pour réfléchir chacun de notre côté, et voir si nous avons tant besoin l'un de l'autre... tu veux bien ?

Tu as déjà fait tant de raffut pour moi... non mais sincèrement, regarde un peu tout ce que t'a déjà semé partout ! Ce n'est plus possible... où veux-tu encore en mettre ? Il n'y a plus de place !

Je crois d'ailleurs qu'il va me falloir veiller à limiter tes entrées à la maison, et sous quelque forme que ce soit....

Tu es gentil, mais je m'y sens bien, moi, à la maison... on se verra en ville, à l'occasion, tu auras même le droit de me passer des spots à la radio du supermarché, faire parler le vendeur à la criée dans son micro les jours de grandes foires, et si tu insistes, j'accepterai peut-être de goûter aux produits de dégustation des nanas déguisées que tu envoies aux coin des rayons...

Tu vois... je suis sympa, je te laisse toutes les grandes surfaces... tout ce que je te demande, c'est de ne plus fureter à la maison. Tu t'en remettras ?

Ne t'en fais surtout pas : je ne m'y ennuie pas... et je crois d'ailleurs qu'au fond, l'ennui et le silence ne sont pas si méchants que cela.......... peut-être parfois devrais-tu leur laisser leur chance...

Ne te fatigue pas tant pour moi...

Cesse de m'envoyer des lettres, des mails, des SMS, de me dédicacer des messages à la radio à la TV, d'afficher partout tous les conseils que tu me donnes... si tu sais ce qui est bon pour moi, ne te cache pas derrière tous ces subterfuges, et viens simplement me voir !

Ce sera plus simple...

Je t'attends'.

...

Je l'ai envoyé, il y a bien longtemps.

Et pour le moment, j'attends toujours...

'Qu'est ce que le bonheur ? Comment le construit-on?'...

Peut-être n'a-t-il pas la réponse...