mercredi 6 février 2013

Edite et Erik

'Wouhaouuuuuuuu !! You can feel the air !'
 
Une main sur le guidon, l'autre sur son bob, Edite n'a rien perdu de sa capacité d'émerveillement en partant à la retraite... du coup, elle en redemande : nous faisons un tour de piste de plus, arqués sur les pédales du tandem.
 
C'est amusant de la voir ainsi. Elle l'épiait de loin depuis quelques jours déjà, et plus le temps passait, plus l'envie semblait devenir forte : l'envie d'essayer, de découvrir... de s'y frotter. Elle n'avait jamais fait de tandem, et elle ne laisserait sûrement pas passer cette occasion de se lancer.

Et l'après-midi du dernier jour, elle s'est lancée.


 
Relevant le bas de sa robe de lin, de mi mollets jusqu'aux genoux pour enfourcher le siège arrière, bob vissé sur la tête et lunettes plaquées sur le nez, elle cramponne le guidon fixe après avoir enfilé ses sandales bien au fond des cales-pieds : la voici prête, telle une aviatrice parée pour le grand saut...
 
Oui : il y a vraiment de l'Amelia dans Edite... Amelia Earhart, une femme 'qui en avait', comme certains diraient.

Et à la question 'de quoi' que poseraient les plus naïfs, il faudrait répondre : de la rage de vivre, de la volonté, de la force...
 




Edite est une petite pile nucléaire. Depuis qu'elle a quitté sa fonction d'enseignante d'anglais (ce n'est certes pas l'idée que l'on se fait d'un métier à risques, mais il faut parfois remettre dans leur contexte certains actes et certaines décisions pour en saisir le sens plus profond...), elle mène la vie dure à son village... il faut la voir, marchant à côté de son vélo, remonter les rues, rappelant telle chose à celui-ci, demandant l'avancement de telle autre à celui-là...
 
'Il y a deux grands malheurs en Lettonie... l'alcool, et la fainéantise'.
 
Et par l'ordonnancement d'une activité débordante, il semblerait bien qu'Edite se soit promis d'éradiquer ces deux fléaux de son village.




Pour être le compagnon de cette dame de fer, il faut alors soit 'en avoir encore plus' (et dans ce cas, avoir des piles et des piles d'assiettes à démolir durant les nombreux jours de confrontation...), soit répondre à certaines lois de l'univers qui pour toute chose définit son parfait complément pour assurer l'équilibre durable...
 
Et c'est encore ce qui a dû se passer pour ce couple là.

 
Erik n'est pas un aventurier. C'est un homme tout fait de modération, une homme de contact et de proximité. Le genre d'homme à bâtir sa vie durant un cocon douillet, pour s'y sentir en sécurité, pipe aux lèvres, bien à l'abri du monde... quitte même à bâtir un bunker. Il faut bien cela pour contenir une pile nucléaire.
 
Si Edite est femme à appuyer sur la pédale de tout son cœur, lui semble garder les doigts tendus en permanence au dessus de la poignée de freins... et lorsque cette poignée se trouve à l'avant d'un tandem, et lui à l'arrière, il trouvera toujours un moyen pour garder prise sur l'allure d'une manière ou d'une autre...
 

De fait, une fois descendue de selle, presque sautillante, Edite s'est jointe à nous pour insister encore et le décider lui aussi à essayer, à découvrir... et à s'y frotter. Après quelques refus faussement dédaigneux, jouant à merveille celui que cela n'intéressait pas du tout ('que d'enfantillages!'), il a bien dû sentir que même en plantant les talons dans le sol, on ne résistait pas à la poussée d'un bulldozer...
 
Les lèvres pincées de l'homme qui se résout à passer à la casserole malgré tout ont fini par avaler ses dernières protestations, et il s'est approché de la 'bête'...
 
 
Un détail toutefois : Erik ne parle pas anglais... et nous ne parlons ni l'un ni l'autre le letton.
 

Aussi, une fois partis, sommes-nous tout à fait incapables de communiquer : mes 'ça va ?' tout comme mes autres 'on accélère ? On prend le chemin de forêt ? On se couche un peu plus dans les virages ?' passent ainsi au dessus de lui comme certaines branches du sentier, et je n'ai pas non plus forcément bien saisi la nature de ses premiers mots qui ont très vite disparu (après tout, qui ne dit rien consent, non ?)...
 
A un moment donné, seulement, le pédalier s'est littéralement bloqué, et si d'abord, j'ai pensé à un incident mécanique, j'ai vite compris en me retournant quelle était la nature de l'incident... la jambe droite et raide comme pour planter le talon, regard noir et mâchoires aussi blêmes et crispées que ses phalanges sur le cintre, Erik ne peut articuler un mot...
 
Je redescends du tandem, le tiens tandis qu'il redescend et, à sa demande (cette fois-ci, même sans mot, il semblerait que je le comprenne de manière limpide), lui laisse les commandes. Le voilà donc reparti... freins sous ses doigts et sans passager à l'arrière.
 
Il ne faut pas être devin pour savoir qu'il ne sautillera pas lorsqu'il en redescendra...



 
Tout est ainsi résumé...


 

Erik est cardiaque, et Edite diabétique.

Ils ont mis au monde trois enfants. Deux sont partis à l'aventure, en Angleterre et en Suède, le dernier est resté au pays. Et sa maison est distante de quelques mètres de celle de ses parents.
 



Il n'y a pas de hasard dans la vie...



.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Si vous souhaitez réagir, n'hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous ou à nous envoyer un message à l'adresse suivante: petits_carnets_dalsace@yahoo.fr