vendredi 8 février 2013

De la ressource, de Marx à Dieu...

 
L'Histoire de la Lettonie est très semblable à celle de la Lituanie. Même période de première indépendance, même destin scellé par le pacte Ribentropp-Molotov, mêmes rebondissements durant la seconde guerre mondiale, et même période d'occupation soviétique, pour arriver, la même année, à une indépendance retrouvée.
 
Depuis vingt ans, la Lettonie apprend donc à cultiver son indépendance. Avec plus ou moins de bonheur. La Lettonie est le plus pauvre des trois pays baltes. Le salaire moyen se situe entre 130 et 160 lats, soit entre 90 et 120€ par mois.
 
Selon Edite, la Lettonie n'est pas assez maligne...et bien trop fainéante. Elle n'a pas su tirer son épingle du jeu lors de la bascule de l'indépendance, attirer les investissements européens, développer son économie. Le pays est resté dans une sorte de torpeur... et s'est fait peu à peu ronger par quelques personnes plus malignes que les autres, et surtout, très individualistes...

 
Ce mot – individualiste – semble sortir de la bouche d'Edite comme une condamnation, le dernier degré de dépravation de l'homme.
 
'L'homme n'est grand que s'il contribue au bien être de tous'.
Voici l'un des pôles de la chimie de cette pile nucléaire.


Dans les faits, elle a donc ouvert ce qu'elle appelle 'son petit marché'.
 
Une pièce récupérée dans un vieux bâtiment sur la place publique, reconvertie comme entrepôt de troc. C'est sa manière à elle de lutter contre la fatalité, la misère... et l'inactivité.
 
Après avoir obtenu une autorisation gouvernementale afin d'être exonérée de toute taxe, Edite a rassemblé ce qu'elle pouvait dans la pièce et qui serait susceptible d'intéresser d'autres personnes. Quelques vêtements, des boutons, deux ou trois outils... bien peu de choses au regard de la taille de la pièce.

Le principe était simple : il fallait que cela soit profitable, mais pas aux profiteurs...
 
Si une personne n'a pas d'argent, le marché lui est tout de même ouvert : même sans argent, une personne n'est pas sans ressources... et Edite l'a très bien compris.

 
Après avoir fait des pieds et des mains, et économisé patiemment quelques années, elle a en effet pu acquérir la pièce maîtresse de son 'marché' : un métier à tisser.
 
 Le 'marché' n'est alors plus un lieu où l'on va 'faire ses courses'... le 'marché' sonne chez Edite plutôt comme un deal. Un lieu où l'on se serre la main et où l'on se met d'accord.
 
'D'accord, tu repartiras avec deux livres de pommes de terre... mais si tu ne peux ni payer ni apporter quelque chose d'équivalent, cela te coûtera une demi-heure de métier à tisser'.
 

Ceux qui ont refusé et qui se sont bornés à 'quémander' n'ont alors plus eu droit d'asile... tant qu'ils n'auront pas changé d'avis. La règle est dure, mais semble être respectée.
 
Et à présent, la pièce semble être devenue bien trop petite......

 
Il a fallu bricoler de longues tringles pour y accrocher les vêtements déposés, bientôt rejoints d'anciens uniformes. Aménager un coin vaisselle, un coin mobilier... de vieux téléphones s'y sont accumulés, ainsi que de vieilles plaques chauffantes, des poêles à bois, des marmites, de vieux fers à repasser, etc... des médailles et des galons se sont trouvé une place dans la corbeille à boutons et d'autres outils ont également rejoint le coin de la pièce, où, aux côtés de marteaux et de faucilles rouillés, s'accumulent toujours plus nombreux des haches, des fourches, des seaux, et autres pots à lait, en échange de l’emprunt pour quelques heures d'une tronçonneuse, d'une tondeuse... en contemplant tout ceci, nous ne pouvons nous empêcher de penser que la Lettonie pourrait paradoxalement avoir une bonne longueur d'avance sur nos pays occidentaux pour la course vers une économie de service...
 
Chacun est libre de déposer un objet en vente : l'argent lui sera reversé intégralement si l'objet trouve preneur.
 
Les napperons, tapis et autres ouvrages tissés par les villageois sont également vendus, et les gains distribués proportionnellement au temps passé sur le métier.
 
Comme un symbole de justice, une balance trône aux côtés d'un boulier sur une table récupérée et reconvertie en comptoir.
 
Son second 'chez soi'.
 
A l'image de la maîtresse des lieux, une petite bouilloire reste en permanence en ébullition. Le marché est également un lieu de discussion, qu'un peu de thé ou de camomille sait délier. Edite n'hésite parfois pas à laisser les rennes à telle ou telle autre connaissance pour s'absenter quelques instants. Une promotion.
 
Même sans argent, une personne n'est ainsi pas sans ressource...



Emblématiques, des bouteilles sont exposées sur une table en devanture. Elles sont également en vente. 'Cela laisse toujours une porte ouverte à ceux qui en sont victimes... et dans certains moments de lucidité et de courage, s'ils ont la force de franchir le seuil pour s'en sortir, ils sont les bienvenus'.
 
Ces bouteilles trônent aux côtés de bouquets diversement harmonieux. Les efforts de cueillette champêtre semblent se confondre aux efforts de collecte...



… et c'est au fond le cœur de l'alchimie de ce 'marché/deal' : l'effort.
 
 
La satisfaction d'un besoin bien défini en échange d'un effort... d'un 'travail'.



Quelques théories marxistes nous reviennent évidemment en mémoire... parmi lesquelles une des idées centrales : 'par le travail, l'individu se révèle à lui-même...'.

Il y a de l'être au travail, au delà de l'avoir.
 
Lorsque nous lui faisons part de ces réflexions, Edite a un sourire énigmatique... 'Marx... sûrement... mais aussi et surtout Dieu...'
 

Selon Edite, Dieu est partout... il est la cause de tout. Et si, un jour de juillet 2011, deux étrangers en tandem se sont arrêtés à quelques pas de son marché pour demander où passer la nuit, c'est que Dieu le voulait ainsi.

Pourquoi avait-elle eu besoin de quitter son marché quelques instants auparavant pour sortir et nous rencontrer par hasard ?
 
'Ce n'est pas par hasard : c'est que Dieu le voulait'...
 

A en croire Edite, Dieu voulait qu'après avoir parcouru une petite dizaine de kilomètres depuis la frontière lettone, sur cette improbable piste défoncée, nous tombions sur la seule personne angliciste des lieux pour nous accueillir... et témoigner.

 
Et c'est ainsi que, de bon gré, nous fûmes embarqués dans le vortex suractif de cette pile nucléaire... qui avait tant à cœur de nous accueillir...
 
… et de témoigner...

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