samedi 23 février 2013

Base militaire aérienne 2/2

Le ciel s'est peu à peu voilé au dessus de nos têtes, et nos ombres, se lassant à leur tour de remonter la piste, se sont volatilisées.

Nous ne sommes pas mécontents lorsqu'enfin nous découvrons ce qu'Edite voulait dire par 'enterrés'... les hangars en question sont en fait des demi cylindres de béton recouverts de végétation.
 
 
 
 
Avant d'arriver suffisamment proche d'eux pour en apercevoir l'entrée, nous n'y avions vu que du feu. Il y en a un peu partout... une véritable petite ville, avec des avenues, des rues secondaires et des ruelles... certains hangars sont plus petits que d'autres.
 
 

'Tous avaient de lourdes portes de fer à double paroi qui étaient remplies de sable et camouflées... elles ont toutes été disloquées et revendues.'

Si les premiers hangars que nous apercevons sont à peu près intacts, nous découvrons rapidement d'autres structures mises à nu, et démantelées. Des dalles au sol ont été prélevées, puis les plaques incurvées de la coiffe ont été retirées. Certains hangars ont été laissés à demi démantelés, tandis que dans d'autres, les rampes d'éclairage sont encore perchées et portent même encore quelques ampoules.

Certains contiennent des carcasses de voitures, des moteurs et diverses pièces désarticulées. Le long de la piste, des pneus ont été disposés comme pour délimiter un circuit.

 
 
Karles est de retour. Sa jante arrière fait un drôle de bruit : le pneu est à plat... il se désole de n'avoir pas pu rejoindre l'horizon.

La piste est effectivement parsemée d'éclats de verre, et de longues traces de gomme trahissent également les fureurs de vivre qui doivent à coup sûr s'exalter devant un espace si grand ouvert...


Nous remontons une 'ruelle', puis une autre...
 
 


 
Nos sandalettes commencent à chauffer... combien de kilomètres avons-nous parcourus ? La foulée d'Edite s'est imperceptiblement raccourcie... elle hésite. Peut-être était-ce la cinquième intersection à partir de l'allée aux trois hangars, ou était-ce l'inverse ?... la troisième allée aux cinq hangars ?...

Nous tournons autour d'un carré, tentons de nous repérer... et nous enfilons sur une autre piste, de taille moindre.

Le soleil tourne toujours... nos ombres nous ont rejoints, probablement encore davantage fatiguées de parcourir l'infini... elles suivent à présent docilement et s'allongent peu à peu.
 
 
Des chiens... une carcasse de camion... des barbelés.
Tous ces éléments soudain si variés semblent nouveaux même pour Edite...

Une femme aux larges épaules nous épie, les mains sur les hanches. Edite s'adresse à elle, à vingt bons mètres. C'est une paysanne, et cette propriété est privée... où allons-nous ?

A son expression, nous comprenons qu'Edite avoue s'être un peu égarée et qu'elle demande son chemin. La femme lui répond d'une voix rauque et un peu brute que nous pouvons passer.


Ne demande jamais ton chemin... tu risquerais de ne pas te perdre...


Devant l'émerveillement d'Edite, ce fameux dicton nous revient en tête, et pour cause..... derrière les sillos, les herses, les bidons, les piles de bois, les tas de gravas, pneus, poteaux, panneaux et autres rangées de piles de bottes de foin, nous découvrons des hangars dont les gueules sont refermées... ces fameuses portes de fer à double paroi n'ont pas toutes disparu... les inscriptions cyrilliques se détachent encore faiblement des couleurs passées du camouflage.
 
 

Malgré les aboiements furieux des chiens, nous ne résistons pas à l'envie de les observer de plus près...

Combien de tonnes peuvent peser de telles portes, une fois remplies de sable ?... de lourds moteurs sont encore arnachés sur la face intérieure de chacune d'entre elles, et entraînent une disque de métal haut d'environ un mètre... l'ensemble est impressionnant... à l'intérieur, plusieurs engins se serrent côte à côte... le hangar est si profond que nous n'en apercevons pas le bout... Les objets, outils et autres engins qui y ont été entassés se perdent dans l'obscurité...
 


Jugeant probablement que nous allons trop loin, notre paysanne nous suggère à sa manière de continuer notre route... et à la façon dont Edite nous traduit cette invitation, nous comprenons qu'il ne vaudrait mieux pas trop tarder...

Nous sommes ainsi 'raccompagnés' jusqu'au grillage suivant sans guère de ménagement... mais au moins sommes-nous maintenant sur la bonne route.


Edite, qui a retrouvé de l'allure, s'émerveille encore de cette surprise lorsque nous attirons son attention sur une petite stèle posée en bord de chemin, sur laquelle il nous semble reconnaître parmi les mots probablement lettons des signes hébraïques...

'J'en avais entendu parler... il s'agit d'une stèle commémorative. Il y est écrit que 130 personnes juives ont été abattues ici... c'était en 1941.'

Des chiffres au bas de la stèle indiquent que celle-ci a été déposée en 2001... soixantes années plus tard.


Le chemin que nous suivons s'enfonce dans la forêt. Nous y découvrons de nombreux baraquements de brique, tous effondrés. Parfois, une cheminée trône encore au dessus du dernier pan de mur qui ne s'est pas affaissé. Certaines zones sont sous l'eau. Étrange promenade...
 

 
 
Lorsque nous arrivons à un carrefour, nous entendons des coups métalliques. Il s'agit d'un homme. Il est occupé à desceller des pierres de taille des restes d'un monument qui un jour devait se trouver au milieu de cette placette.

Edite nous apprend qu'un avion se trouvait sur ce socle, mais qu'il a été vendu... une pièce de plus qui aurait dû rejoindre les musées et qui s'est volatilisée au nom de l'individualisme... de jolies voitures en l'échange de cette pièce emblématique de l'histoire... Edite regarde quelques instants l'homme toujours occupé à s'acharner sur le socle. Les lèvres serrées, elle secoue la tête avant de reprendre sa marche.


… des ampoules commencent à s'affirmer aux jointures de nos sandales...


Depuis quand sommes-nous partis ?...


Edite sait où nous allons... et avoue que ce n'est pas le chemin le plus court.
Karles avance dans tous les cas sans l'ombre d'une plainte, en poussant toujours son vélo...


Nous passons un portail sur lequel un soleil étincelant se mêle à une étoile rouge flanquée d'un marteau et d'une faucille. Deux avions de chasse élancés flottent sur le décor astronomique aux contours grignottés... les briques s'émancipent une à une de la fresque héroïque...

Non loin de là, d'autres gravas. Edite attire notre attention sur une ruine plus importante que les autres... ce bâtiment aurait été un bâtiment d'officiers. Il est aux trois quarts détruit, les pans de béton ont été abattus puis réutilisés pour bâtir une digue. Ce qui mérite notre attention, c'est que ce bâtiment est encore habité....
 
 

Edite nous raconte ainsi qu'un ancien officier ne s'est jamais résolu à quitter les lieux. Il habite donc cette ruine, à l'écart de tout, dans un parfait état de pauvreté... son devoir comme il le répète... mais l'homme est devenu un peu fou. Si certaines personnes lui ont apporté de l'aide par un temps, les gens ont vite compris qu'ils faisaient fausse route. Le soldat mène sa vie fantomatique seul, et la terminera certainement ainsi...


Drôles de destins....

 
 
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Nos visages se sont peu à peu éteints. La fatigue a même fini par gommer ce réflexe de politesse ou de séduction qui veut qu'en présence de personnes inconnues, nous nous affichions sous notre plus beau jour, notre plus belle humeur...
 
Karles pousse toujours son biclou crevé, toujours sans aucune plainte... il nous épate ce Karles...


Une voiture aux veilleuses allumées ne tarde pas à nous croiser. Edite fait signe, l'homme s'arrête. Edite nous présente, nous les 'heroes' venus de l'autre bout du monde, et demande dans la foulée s'il est possible de nous conduire au village...

Karles charge son vélo, monte dans le véhicule. Nous le suivons, pas mécontents malgré notre statut de super héros de nous asseoir enfin, bientôt rejoints pas Edite, qui a retrouvé son sourire...

Tandis qu'elle échange quelques mots avec l'homme qui conduit, elle semble devenir de plus en plus volubile... notre pile nucléaire semble se recharger, et effectivement, elle ne tarde pas à faire un bond sur son siège dans un petit cri d'excitation...

Lorsqu'elle se retourne pour nous donner la traduction, Edite nous apprend que l'homme est un ancien employé de la base militaire et qu'il est d'accord pour nous y conduire dès demain....


'Mais.... on ne vient pas de la faire la base ?'


Edite irradie de plaisir....


'La base aérienne si..... mais pas encore la base de tir !'....


Et dire qu'elle jurait quelques heures auparavant n'en n'avoir jamais entendu parler.......
 
 

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