Varena, vers la frontière biélorusse. Les quartiers
périphériques de Vilnius. Ceux de Tallin. Les faubourgs de Klaipeda. Quelques
coins de la campagne lettonne. La région frontalière à l’Ouest de la Pologne,
du côté de Gorgow.
A présent Jõhvi et ses rondes nocturnes.
Puis Narva. Ses gyrophares. Et ses files d’attentes.
A chacun de ces endroits, un même sentiment : quelque
chose de l’indécence.
Un malaise profond, comme une forme de honte, au fond,
d’avoir traversé ces zones de tension et de misère avec une cape immature de
philosophe gâté, absorbé dans ses considérations illusoires.
'Il n'y a qu'un problème
vraiment sérieux : c'est la construction du bonheur'
Ainsi débutait ce voyage.
Comment imaginer s’asseoir tranquillement alors, dans
chacune de ces zones, et discourir le plus bourgeoisement du monde avec le
premier venu, alors que pour l’un, la question relèverait presque d’un ‘confort
moral’, tandis que pour l’autre, la question se poserait en des termes
autrement plus critiques et fondamentaux ?
L’autre…
La question de l’autre
est incontournable.
Pourtant, les premières conclusions sur le bonheur laissaient
entrevoir une réponse plutôt simple. Après tout, Bouddha lui-même ne nous
apprenait-il pas que ‘Le bonheur n’est
pas chose aisée. Il est très difficile de le trouver en soi, il est impossible
de le trouver ailleurs’ ?
Somme toute, il suffirait de se pencher davantage sur soi,
se scruter bien à fond, apprendre à se connaître, et hop, le tour serait joué.
Au fond, en quoi aurions-nous besoin des autres pour être heureux ?
Après tout, cette conquête du bonheur n’avait-elle pas
précisément commencé par la réappropriation de cette construction (‘le bonheur
est une chose trop précieuse pour être confié à autrui’) ? Autrement
formulé, le rapport à l’autre n’avait-il pas déjà commencé de manière
biaisée ?
S’en remettre à l’autre pour être heureux, premier danger,
auquel on ne nous reprendra plus.
Mais une fois cette réappropriation en œuvre, en est-on pour
autant quitte ?
Suffit-il alors, pour être heureux, de se prendre soi-même sous
le bras comme matériau d’investigation, repartir au fond d’une caverne et s’isoler
définitivement du monde et parvenir, par une lente construction, à vivre
heureux, seul ?
…
Seul.
Se couper définitivement du monde. Des autres.
De l’autre.
Après tout, qu’avons-nous besoin des autres ?...
De ces sept milliards d’étrangers qui sur-peuplent la
terre et n’apportent que confusion ?
De ces cultures incohérentes, ces peuples variés aux
langues obscures ?
De ces histoires tragiques qui se répètent
indéfiniment ?
De ces jeux d’influence et de pouvoir ?
Des grandes idéologies ?
Des grandes ‘politiques’ ?
De l’esprit de communauté ?
De l’esprit de camaraderie ?
Du sentiment de famille ?
De fraternité ?
…
Il paraît qu’ensemble, nous serions moins seuls… cela
signifierait-il pour autant que nous nous éloignerions de ‘soi’ ?
Qu’avons-nous besoin des autres ?...
…
Au fond de soi, le noir.
Un funambule, dans l’obscurité, qui avance sur un fil.
Autour de lui, les profondeurs de la solitude.
Glacées et mortifères.
Qu’avons-nous besoin des autres ?...
…
Au cœur du funambule, quelque chose qui le guide.
Qui lui indique si le pied posé est suffisamment ferme pour
y porter son poids.
Et avancer.
Quel est ce ‘quelque chose’ ?
…
Du Choix.
Entre une possibilité, et une autre.
Une autre.
Comment choisir sans expérience de l’autre ?
…
L’autre nous instruit.
Par son vécu.
Par sa différence.
Par son expérience confrontée, il nous révèle à nous-même.
A l’échelle d’un frère. Parfois trop semblable.
A l’échelle d’un ami… parfois trop vite choisi.
A l’échelle d’un quartier. Des voisins, sur lesquels courent
les commérages.
A l’échelle d’un village, d’une ville… où le paysage semble
paradoxalement déjà si extrêmement multiple et uniforme.
A l’échelle d’un pays, d’un continent, abstractions
géographiques où l’individualité se fond et les destins se distordent.
Comment avancer seul au fond de soi, sans s’être ouvert à ce
Grand Livre qu’est le monde ?
Un livre aux pages scintillantes, et qui derrière les mots,
nous renvoie parfois, alors que l’on s’y attend le moins, à nous-même, tel un miroir…
S’ouvrir au monde.
A un frère. A un ami.
A la vie d’un quartier, d’un village…
Sortir de sa ville, parcourir un pays, un continent.
Y être réceptif.
A chaque confrontation, saisir cette chance.
S’en nourrir, s’en abreuver comme à une fontaine (de larmes
divines ?).
Et au bout de la rencontre, ramener dans nos filets ces précieux
trésors d’humanité.
Edite. Dorota. Ywonne, Gerhard, Reiner et Albert. Erik,
à Tacheles.
Et tant d’autres.
Des témoignages, des doutes. Des interrogations et des
sentiments.
Des choses qui nous relient, et qui s’imbriquent.
Toujours perché au creux de nous, dans l’obscurité, le pas
du funambule semble alors gagner en assurance.
Comme si la barre à laquelle il s’agrippe pour avancer,
auparavant si ténue, grandissait toujours davantage au fur et à mesure de ces
rencontres…
Comme si elle se nourrissait de ces pépites.
Des pépites patiemment ‘gagnées’.
Offertes précisément par tous ces ‘autres’.
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