vendredi 26 juin 2015

Bonheur : et les autres ?... bordel ! (partie 2)

La construction du bonheur serait donc un travail solitaire, pour laquelle nous aurions toutefois besoins des autres, auprès desquels nous nourrir.
Des Edite. Des Dorota. Des Ywonne, Gerhard, Reiner, Albert, Erik...
... et tant d’autres.
L’isolement solitaire ne serait donc pas une solution : nul salut ne serait à attendre sans s’ouvrir au monde.
Mais quelle relation entretenir alors avec Varena, les quartiers périphériques de Vilnius ou de Tallin, les faubourgs de Klaipeda, ou encore de Gorgow, Jõhvi et les sans-patrie de Narva, où la relation n’est au premier abord faite que de défiance et de confrontation ?
Les ignorer et faire ‘comme si’ elles n’existaient pas, continuer à se faire plaisir en se plantant droits dans ses bottes et devant leur nez, en construisant par exemple une maison ‘polo-grecque’ entre deux maisons de bois ?
Ou bien faire le dos rond, passer son chemin, s’en éloigner et ne jamais plus y revenir, en se disant que tout est bien?
Ou encore, à l’inverse, enfiler son costume de missionnaire et s’interdire d’être heureux tant qu’il restera sur terre un être nécessiteux ?
 
 
La question de la solidarité est très ancienne.
Et pourtant, il semble bien que nous n’ayons toujours rien retenu.
 
Dans les quartiers périphériques de Tallin, ou de Vilnius, les générations nouvelles des ‘immigrés’ russes se concentrent toujours davantage, ainsi qu’à Jõhvi, ou encore Narva.
Des sans-patrie.
Si des mesures fortes ont été prises en Estonie (possibilité de réaliser un parcours scolaire et universitaire en langue russe, journaux, chaînes de télévision ainsi que radios libres, en langue russe, nationalisation libre des enfants nés en Estonie de quelques parents qu’ils soient, possibilité offerte à tous les étrangers munis d’un permis de séjour permanent de se présenter aux élections municipales, etc.…), sans pour autant que le problème ne soit réglé tout à fait, quelle peut alors être la situation dans des pays où bien moins de soin a été prêtée à la question de la solidarité, telle la Lettonie, la Lituanie ou d’autres états frontière où la question de l’héritage de la russification se pose ?
...
 
D’ailleurs, cette question ne se pose-t-elle que sous cet angle ?
 
...
 
 
Il y a vingt ans, alors que l’Allemagne se réunifiait, la question s’est évidemment posée.
Les ‘pactes de solidarité’ déployés depuis vingt ans au sein du pays, afin de garantir la réunification sans confrontation de deux ‘demi pays’ (que ce soit par l’investissement dans les infrastructures, les financements de nouveaux centres de recherche dans les grandes villes de l’Est, le développement de nouvelles universités, la mise en valeur du patrimoine urbain, géographique, historique, etc...), semblent avoir porté leurs fruits : malgré ce sentiment d’ostalgie naissant, la majorité des allemands de l’Est jugeraient toujours que l’unification a eu davantage d’effets positifs que d’effets négatifs, les plus enthousiastes étant les jeunes chez qui la proportion à juger les effets positifs prépondérants avoisinerait les 100%.
Un paysage urbain entièrement rénové, un environnement dépollué, un réseau de transport moderne déployé… l’Allemagne de l’Est aurait en effet gagné en qualité de vie, en infrastructures, aurait une économie plus performante : un PIB qui a simplement doublé en l'espace de vingt ans, tandis que son taux de chômage a considérablement diminué depuis les années quatre-vingt dix.
Bien sûr, le PIB des régions de l’Est reste toujours inférieur au PIB des régions de l’ouest, de même que leur taux de chômage moyen reste toujours supérieur. Le rythme d’uniformisation économique du pays ralentirait même peu à peu, alimentant les discours ostalgiques.
Mais les faits tout de même sont là : vingt années plus tard, la réunification continue à s’opérer et les inégalités entre Länder continue à s'estomper.
Le pacte de solidarité (qui porte jusque 2019) a d'ores et déjà porté ses fruits.
 
Et plus à l’ouest, quelle est alors la situation ?
 
Plus à l’ouest, la France, notre pays.
Un pays bien loin de l’Est.
Un pays où l’on est ‘ensemble, et c’est tout’.
 
Un pays recroquevillé.
Atrophié.
Replié sur soi.
 
Encore debout, sur un fil, mais les jambes tremblantes, la barre si courte.
 
Un pays qui tremble et qui reste immobile.
 
Immobile.
 
Pourtant, le pays a aussi son Narva et ses sans-patrie.
Ses faubourgs de Tallin et de Vilnius.
Ses campagnes de Lettonie.
Ses zones de défiance et de confrontation.
 
Mais il reste immobile.
Le dos rond.
 
S’illusionnant encore sur sa gloire passée, martelant son rôle suranné de locomotive de l’Europe, en tirant sur la manche de l’Allemagne (tout en lui faisant quelques croque en jambe bien sentis), cette Allemagne qui avance et qui galope à l’heure de la mondialisation…
 
… n’est-elle pas parfois pathétique, notre ‘Grande nation’ pleine de rides ?
 
Pathétique assurément... mais aussi un rien moisie.
 
Bizarrement, c’est en franchissant ce pont de la Narva à la lumière des gyrophares, au moment même où nous sortons de l’Europe, si loin de notre pays, que ce déclic a lieu.
Un déclic inéluctable, comme un accouchement après tous ces kilomètres parcourus depuis la porte de Brandebourg.
Un déclic irrémédiable qui nous rendrait soudainement si terriblement ‘lucides’.
Lucides pour la première fois sur l’état de notre pauvre pays.
 
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