Fatigués.
Pourtant, cette fois-ci, sauf pépin majeur, c’est sûr, nous
devrions y arriver.
Ce soir, nous serons ‘de l’autre côté’. Et 2 jours encore,
puis nous y serons.
Saint Pétersbourg !
Bizarrement, alors que nous roulons depuis des semaines avec
cet objectif en tête, cela nous laisse sans réaction. Ni excitation, ni joie
profonde.
Nous avons revissé nos casques, sommes remontés sur notre
embarcation et appuyons sur nos pédales, mécaniquement.
Autour de nous, les blés craquent.
34°C.
Fatigués.
La torpeur est encore le meilleur moyen de se recroqueviller
au fond de soi pour se blinder contre ce qui nous entoure. Et pourtant non :
une vigilance est à l’œuvre. Une vigilance toutefois en mode automatique.
Une crevasse sur le bord de chaussée, à l’extrémité de
laquelle nous roulons, du bout de nos pneus, c’est une brève descente en dehors
de la route. Entre les pointillés blancs du bord de chaussée et le bas-côté,
une ligne de quarante centimètres tout au plus. L’espace de sécurité… enfin, l’espace
que nous nous fixons. De l’autre côté des pointillés, un autre monde.
Complexe, agité. Assourdissant.
De l’autre côté du pointillé.
Nous ne parlons pas.
Les kilomètres s’avalent, dans un parfait état d’hébétude.
L’orge est cuit. Les fleurs de chardon sont devenues cotonneuses,
et les régulières rafales de vent envoient au travers de la voie quelques bouquets
d’aigrettes qui s’agglomèrent sur les bas-côtés.
Les pales des éoliennes vrombissent.
36°C.
Des langues de feu au creux de nos ventres.
Le goudron colle et claque. Nous roulons sur un papier
bulle.
Il y a là une esquisse de plaisir.
Lorsque de rares bosquets bordent la route, nous sentons
aussitôt le lisse, le dur. Les claquements se suspendent… quelques dixièmes de
secondes, quelques secondes tout au plus.
Le l’autre côté des pointillés, toujours plus de mouvement.
Des tambours dans nos crânes.
Une pause à l’ombre. Une tentative de repas.
Sans plus d’insistance.
La tête dans le coton, nous mâchons sans appétit, à quelques
pas de ce flot de décibels et d’acier.
Un coup d’œil au compteur nous indique que nous avons
parcouru les deux tiers de la distance séparant Jõhvi de Narva.
A 8km de Narva, la situation se complique encore un peu
plus.
Les poids-lourds se sont rangés sur le bas-côté, en file d’attente.
La circulation a ralenti. Les klaxons à notre encontre se multiplient.
Et systématiquement, un petit sursaut.
Les panneaux publicitaires se multiplient. Une station
balnéaire, des hôtels. Un camping.
Narva n’est plus très loin. Nous sortons peu à peu de notre
torpeur, revenons à ce qui nous entoure.
Nos jambes, chauffées à l'étuve, tournent, fidèles et dociles.
Sur la droite, un chemin caillouteux sur lequel s’engage un
4x4.
Certains chauffeurs ont installé une table pliante et grignotent
un morceau en patientant.
La circulation a encore ralenti, tant et si bien que nous
roulons à présent à peu près à la même allure.
Des panneaux de circulation apparaissent peu à peu, masqués
par les bâches de poids lourds.
Des bâtiments de briques apparaissent enfin.
Des carrefours, des trottoirs et des rues.
Le bout de l’entonnoir.
Un joyeux bordel.
Narva.
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