samedi 2 mai 2015

Evacuation de Tallin

Nuit du 27 au 28 août 1941.
22h.
 
L'heure est venue d'évacuer.
 
Près de 200 navires de guerre et de transport quittent le port de Tallinn en pleine nuit, pour se replier vers la forteresse de Kronstadt, à l'extrémité du Golfe de Finlande.
 
Les pays baltes, investis deux ans auparavant à peine par l'armée rouge, ont en effet été repris par la Wehrmacht de manière fulgurante, comme à son habitude. L'opération Barbarossa, lancée un mois et demi plus tôt à peine malgré le traité de non agression, surprend l'armée rouge sur tout le front est.
 
Tallinn est encerclée. Son port, où se concentrait jusqu'à présent la majeure partie de la flotte soviétique de la Baltique, est cueilli à froid et doit être évacué de toute urgence.
 
A bord de ces 200 navires, autant de personnes à évacuer qu'il est matériellement possible au vu des conditions : aux militaires marins se mêlent bien sûr des unités de l'Armée rouge, mais également, des civils en fuite et des prisonniers.


En tout, plusieurs dizaines de milliers de personnes.
 
 
Les conditions d'évacuation, sans préparation préalable, sont évidemment particulièrement défavorables. La flotte aérienne soviétique, prise de court elle aussi, a été quasiment décimée dès les premiers jours des attaques allemandes : aucune couverture aérienne n'est donc à attendre.
 
Le convoi doit alors s'en remettre à la discrétion de la nuit pour s'éclipser... et, le jour, quand il sera au large, multiplier les écrans de fumée pour masquer ses pièces maîtresses et confondre autant que possible l'ennemi... soit tout de même une bien maigre défense.
 
 
Durant la nuit, les navires remontent lentement le golfe, en longeant discrètement les côtes estoniennes.
 
Au cours de la matinée, une première rencontre avec l'ennemi a lieu : une unité de l'aviation allemande surprend en effet le convoi et, sans résistance en vis à vis, ouvre le feu, sans pour autant réussir à lui infliger de perte considérable.


Car il s'agit avant tout d'un leurre...
 
Le convoi, qui s'étire sur plusieurs kilomètres, continue durant la journée à remonter la côte, sans accroche particulière, et arrive bientôt à proximité de la péninsule de Juminda.
 
Sous la protection d'un croiseur Kirov, ce seraient ainsi pas moins de 12 sous-marins, 9 destroyers, 13 patrouilleurs, 3 torpilleurs, une bonne vingtaine de chasseurs de sous-marins, autant de chasseurs et dragueurs de mines, 11 MTB et autres navires plus légers qui approchent de la péninsule (notre compagnon de Gierłioz raffolerait d'autant de chiffres...)...  et qui pénètrent sans s'en douter dans les filets d'un implacable piège.
 
 
C'est le milieu de l'après-midi, et jusque-là, tout se passe finalement étonnamment bien.
 
 
Une déflagration soudaine, vers l'avant du convoi.

La coque d'un navire est ouverte.
Ella est en difficulté : rapidement, elle prend l'eau et sombre.
 
Une mine.
 
D'autres déflagrations suivent bientôt... autant de coques qui se fendent, de navires qui prennent l'eau.

Les conditions météo des derniers jours n'ont pas permis aux chasseurs et dragueurs de mines d'ouvrir correctement la voie, et la flotte soviétique se retrouve empêtrée dans une zone lourdement piégée. Le signal est donné de faire halte, le temps qu'une voie sure puisse être tracée.
 
Les navires sont stoppés, les chasseurs et dragueurs de mines déployés en ordre de marche... mais alors que la manœuvre de déminage commence tout juste, l'étau déployé conjointement par les troupes finlandaises et allemandes se resserre, redoutable.
 
Cette fois-ci, les Ju88 allemands ne se contentent plus de survoler gentiment les eaux en faisant des ronds dans le ciel : déterminés, ils multiplient les salves en ratissant le convoi empêtré, tandis que l'artillerie postée sur la côte de la péninsule, après des heures d'attente aux aguets, ouvre le feu.
 
 
La grande débâcle commence...
 

 
Zone minée ou non, le commandement du convoi comprend qu'il n'y a pas maintes options pour survivre : il faut sortir de ce guêpier, sortir à tout prix des mailles du filet, sans quoi le destin de quelques dizaines de milliers de personnes sera tout bonnement scellé ici.
 
Les navires repartent, en ordre de marche, en forçant tant bien que mal le passage à travers les mailles du filet...


Une fuite en avant à la roulette russe.

Avec un barillet lourdement chargé.
 
 
Une fois le convoi sorti de la zone piégée et quelques heures supplémentaires écoulées, un rapide décompte confirmera que les pertes sont considérables...
 
5 des 9 destroyers manquent à l'appel, deux autres sont endommagés, deux des trois torpilleurs ont été mis hors d'état de nuire, et les rangs des différents corps de navires plus légers ont été considérablement éclaircis. Une quinzaine de navires de transport ne sont enfin pas parvenus à traverser la zone minée.
 
Une véritable hécatombe.
 
 
 
Au moment où les chasseurs et dragueurs de mines rescapés sont remis en ordre de marche pour tenter de sauver ce qui peut encore l'être avec un semblant de méthode, le convoi subit une nouvelle attaque.

Cette fois-ci, le danger vient des tirs de torpilles de navires finlandais et allemands.

Les ripostes des navires rescapés n'empêcheront pas de subir de nouvelles pertes, qui éclaircissent une fois de plus les rangs.


La nuit tombée, le déminage, complètement désorganisé, n'a pu être effectué.

Le convoi est alors contraint de poser l'ancre, dans l'obscurité.

Vulnérable à souhait.
 
 
Le lendemain matin, à peu près à mi-chemin, une nouvelle attaque aérienne près de l'île de Gogland détruira deux bâtiments de transport... ce seront les dernières pertes.

Dès lors, les navires rescapés du convoi, en ordre dispersé, rejoindront Cronstadt, bien à l'abri des batteries de défense de Kotline.
 

 
Au final, à peine plus de la moitié des personnes évacuées arriveront au terme de cette retraite.
 
On estimerait ainsi à environ 28 000 le nombre de personnes qui auraient rejoint Cronstadt. 12 000 personnes environ auraient été secourues dans les jours suivants, par des navires affrétés depuis l'île de Gogland.



Autant n'auraient enfin pu être repêchées, soit l'équivalent de 8 naufrages du Titanic... 
 
 
Cet épisode de la seconde guerre mondiale, longtemps tenu secret par l'ex URSS, reste assez méconnu, et les chiffres avancés restent bien sûrs estimatifs.
 
Néanmoins, bon nombre d'épaves ont pu être repérées depuis, et les estimations tendraient à corroborer les déclarations selon lesquelles l'évacuation de Tallinn pourrait bien avoir été l'une des catastrophes navales les plus importantes de l'Histoire.
 
 
Dans les mois qui suivirent cette évacuation, la flotte soviétique sera confinée aux abords de Kronstadt. Un réseau de mines particulièrement dense sera en effet déployé sur le golfe de Finlande, ne permettant plus guère qu'aux sous-marins d'accéder encore provisoirement à la Baltique, au-delà de ces filets... jusqu'à ce qu'un double filet anti sous-marin ne soit à son tour déployé durant l'année 1942 (opération Walross), efficace cette fois-ci à 100%.
 
Le Golfe de Finlande aurait ainsi été, et de loin, l'endroit le plus densément miné de l'Histoire.
 
 
 
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