mercredi 13 mai 2015

Kunda, ville grise

Vainupea marque la sortie de parc naturel.
Avec elle, un changement sensible dans le paysage.
Les propriétés privées se succèdent le long du rivage, rivage que nous longeons à présent à quelques dizaines de mètres de distance. La côte a considérablement perdu de sa fantaisie. Elle s’étend uniformément, front brut tendu sur des dizaines et des dizaines de kilomètres. Des parcelles de résineux sont grignotées, déboisées sur quelques hectomètres. Les souches arrachées sont laissées pêle-mêle, tandis que quelques sapins dégarnis et avachis persistent, seuls et isolés, penchant dangereusement sans support alentour. Par-delà, le sable a laissé place à de gros blocs granitiques rebondis, qui s’avancent de manière pataude dans la Baltique, devenue simple ligne d’horizon. Du bleu brut qui englouti de gros hippopotames de granit au fur et à mesure qu’ils s’éloignent du rivage.
La transition est rude.
Bientôt le goudron supplante à nouveau le velours de la piste que nous quittons à regret, et nous voilà échoués à Kunda.
 
Kunda est une ville grise.
Ses toits, ses façades, ses portes. Tout y est gris.
Ses cheminées, ses citernes, ses murs.
Gris.
Même les tubes qui relient les différents corps industriels des lieux sont… gris.
Kunda abrite une cimenterie, depuis près de 140 ans, à en croire l’antique panneau planté dès les abords de ses rues. Une cimenterie qui possède même son musée. C’est dire si on en est fier.
Alors, par tradition, par culture, par fierté sûrement… tout est gris.
Un buste, une statue, un monument en hommage aux pères industriels: ciment et gris.
Si Kunda abrite environ 4000 âmes, il faut chercher un peu pour trouver son ‘centre-ville’ tant est omniprésente cette cimenterie. C’est simple : la cimenterie EST le cœur de Kunda.
Les rues grises la longent de toute part, ses cheminées grises et vertigineuses dominent les toits de tôle ondulée grise des maisonnettes alentours, aux parois grises… mais de bois.
De fait, nous retrouvons ces constructions de bois que nous avions vues pour la dernière fois en Lettonie, maisonnettes uniformes de gris, au faîte avachi et délavé.
En continuant, le long des murs de l’antique cimenterie, nous percevons le bruit de moteurs à la peine. Camions-bennes et tractopelles sont à l’œuvre : de nouveaux bâtiments de tôle (grises toutefois) sont érigés, financés, comme nous l’apprennent d’ostentatoires panneaux d’information par les fonds de la BERD (Banque européenne pour la reconstruction et le développement).
En prolongation de la cimenterie, des routes neuves, des ponts, des ronds-points sur lesquels s’enroulent de rutilants poids-lourds : une zone industrielle où nous retrouvons quelques groupes industriels allemands, suisses… la juxtaposition de ces usines corporate copier-coller  avec les maisonnettes de bois est un mélange encore inédit.
Le sentiment d’être ‘revenus chez soi’, que nous ressentons depuis notre arrivée sur le sol estonien, se fragmente soudain : il y a ici à nouveau quelque chose de… ‘baltique’.

 
En laissant Kunda derrière nous, l’impression ne décroît pas au fur et à mesure des kilomètres parcourus à travers la campagne.
Les fermes désertées s’y multiplient, ainsi que, dispersés, les hameaux de maisonnettes de bois.
Déjà réaccoutumés à la bonne vieille ‘west european way of life’, nous nous surprenons à être ‘surpris’ de découvrir que la campagne estonienne revête ici un visage en tout point semblable à celle de ses consœurs baltes… en dehors des villes, un visage commun.
Un visage buriné, insensible aux décennies, aux influences extérieures.

Une coquille recroquevillée… et aux jardins soignés.

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