vendredi 24 avril 2015

Un air de vacance au Parc Lahemaa

 
Un ballon qui rebondit sur le sable.
 
Encore quelques rebonds, et le voilà bientôt qui rejoint les vagues, dans des petits rires.
 
Dans son maillot de bain écarlate, elle trottine.
Les bras suspendus en l’air, les pieds, nus, tendus entre les rochers.
 
Il n’en faut guère plus pour qu’un parfum de vacance ne gagne cette petite plage.
 
Les trois jeunes hommes suspendent de bonne grâce la partie de Volley et la regardent s’engager dans les vagues, baignant la cheville de petits cris.
 
Le ballon, ballotté par les flots, continue de dériver, poussé par la brise, comme indifférent à tout cela.
 
Si la pluie a fini par se disperser, la brise reste fraîche : ses petits cris, en s’engageant plus en avant, se sont espacés, son souffle s’est condensé, sa respiration approfondie… ses jambes bleuissent légèrement.
 
Malgré le gilet qu’elle porte par-dessus son deux pièces, on distingue à plusieurs pas d’elle qu’elle a la chair de poule.
 
 
Ici, les plages de la Baltique se font discrètes. Intimistes.
On y accède par de petits sentiers à travers la forêt.
 
Les épines de résineux collent sous la plante des pieds, bientôt taquinés par les chatons d’aulnes à l’approche du rivage. Le sable enfin, qui glisse entre les orteils, le bruit des vagues qui clapotent gentiment, alors que le rivage et le ciel se déploient soudain.
 
Derrière, le couvert pudique de la forêt. A droite, comme à gauche, de petites saillies rocheuses qui s’engagent plus en avant, laissant le baigneur comme lové au creux d’un petit paradis personnel.
 
Ce parc Lahemaa, aux portes de Tallinn, a effectivement un petit air de paradis.
On s’y perd avec plaisir, avec un rapide sentiment d’absorption.
 
Le parc nous avale, sans qu’on n’y résiste.
 
Parfum de résine, lenteur des vagues, brise dans les cimes et sur le rivage.
 
La piste qui le traverse est parcourue lentement.
Une voie de vacance, où les jambes et l’esprit tournent en roue libre.
 
Elle longe gentiment le rivage, qui, une fois n’est pas coutume, se déploie et se recroqueville en une succession de longues péninsules, tant et si bien qu’il y a toujours une autre rive, en face, là-bas, de l’autre côté de la baie qui se dessine.
 
La piste a des allures de promenade de tour de lac.
Un lac qui se renouvèlerait simplement, à l’extrémité de chaque péninsule, où l’horizon bascule.
 
 
A l’extrémité de la péninsule de Jeminda, l’impression d’être au bout du monde s’accentue : la piste, toujours en sous-bois, s’engage résolument sur l’avancée rocheuse, tandis que le rivage, de part et d’autre, se rapproche.
 
Le monde terrestre ne se limite bientôt plus qu’à une bande de quelques mètres de large, qui se poursuit toujours plus en avant. L’impression de rouler sur la mer sous un ciel d’épines nous gagne. Seuls au monde, dominant un continent inhabité, inexploité et qui nous appartiendrait alors en propre... le lieu, sans forcer, puise naturellement au fond de nous et appelle le robinson qui sommeille.
 
Quel meilleur endroit pour poser la tente ?
 
 
Un phare domine la péninsule.
C’est ce que nous apercevons, tandis que nous nous promenons sur le rivage, les orteils baignés de sable.
 
Juste à côté
 
 
La notion de ‘juste à côté’ sur un rivage est bien souvent trompeuse, et on devrait s’en méfier. Réfléchir un peu plus avant de s’aventurer, pour se rendre là-bas, pieds nus… ‘juste à côté’.
 
Au fur et à mesure que nous nous approchons du phare (une petite heure de jeux d’équilibre à travers les rochers), celui-ci finit par disparaître pour de bon derrière les cimes de résineux. Il nous faut bientôt tracer l’itinéraire à vue de nez, en nous engageant à travers bois.
 
Quelques traces semblent indiquer un sentier. Trace de gibier ?
Celles-ci se perdent bientôt, et nous continuons en coupant en aveugle tout droit à travers bois.
 
Il paraît qu’en Suède, de grandes fêtes sont données vers la fin du printemps.
Les gens, comme lors de toute fête traditionnelle qui se respecte, s’enivreraient bien au-delà des limites du raisonnable, avant de se dévêtir joyeusement en communauté et s’engager tous ensemble à travers bois. C’est en tout cas ce que nous avait raconté Anders, rencontré à Druskininkai avec toute sa petite famille, Ida sa fille et Elvira sa compagne.
 
On ne saurait guère vraiment ce qu’il s’y passe, puisque jamais personne n’en est revenu avec des souvenirs bien précis, mais il paraîtrait que cette tradition est bel et bien ancrée dans les mœurs, car elle aurait un mérite majeur : celui de faire ronfler pour des mois et des mois les moustiques assoiffés, laissant ainsi en paix les éventuels amoureux qui s’y aventureraient à nouveau, plus tard dans la saison, pour s’y confectionner d'immortels souvenirs…
 
En ce qui nous concerne, il semblerait que la potion magique ingurgitée à Tallinn ait malheureusement l’effet inverse : chaque moustique qui se gave d’un peu de sang semble ravigoté, surexcité, et semble pris d’une danse frénétique qui se concentrerait autour de nos visages.
 
Les jambes criblées et le visage cerné, nous sommes bientôt contraints d’abandonner l’idée du phare, et de fuir le sous-bois, pour regagner le rivage le plus proche.
 
 
Tandis que nous le longeons patiemment en direction de notre tente, nous découvrons quelques coquilles d’acier. La paroi est bombée, de deux bons centimètres d’épaisseur… des fragments de tubes.
 
Redoublant de vigilance pour poser nos orteils, nous découvrons bientôt d'autres vestiges métalliques qui ne laissent alors plus guère de doute quant à leur nature : il s'agit de queues de roquettes.
 
Des fragments d’un demi-mètre d’acier rongé, échoués.
 
Ou plutôt déposés sur le rivage.
 
Les fragments de projectiles, à bien y regarder, ne sont pas particulièrement rares, et nous découvrons même quelques pièces intactes.
 
Il n’en faut guère plus pour que le parfum de vacance ne quitte cette petite plage.
 
Remontant plus loin encore, nous apercevons des sphères hérissées de piques.
Elles sont reliées entre elles par des chaînes.
 
Des mines marines.
 
Celles-ci brillent toutefois, et ont été nouvellement repeintes.
 
Elles encerclent une stèle, inaugurée dix années plus tôt, tout juste.
 
Gravé en son pied, et écrit en estonien, russe, allemand et finlandais, un hommage aux victimes de la seconde guerre mondiale.
 
 
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