Un ballon qui rebondit sur le sable.
Encore quelques rebonds, et le voilà bientôt qui rejoint les
vagues, dans des petits rires.
Dans son maillot de bain écarlate, elle trottine.
Les bras suspendus en l’air, les pieds, nus, tendus entre les
rochers.
Il n’en faut guère plus pour qu’un parfum de vacance ne gagne
cette petite plage.
Les trois jeunes hommes suspendent de bonne grâce la partie
de Volley et la regardent s’engager dans les vagues, baignant la cheville de
petits cris.
Le ballon, ballotté par les flots, continue de dériver, poussé
par la brise, comme indifférent à tout cela.
Si la pluie a fini par se disperser, la brise reste fraîche :
ses petits cris, en s’engageant plus en avant, se sont espacés, son souffle s’est
condensé, sa respiration approfondie… ses jambes bleuissent légèrement.
Malgré le gilet qu’elle porte par-dessus son deux pièces, on
distingue à plusieurs pas d’elle qu’elle a la chair de poule.
Ici, les plages de la Baltique se font discrètes. Intimistes.
On y accède par de petits sentiers à travers la forêt.
Les épines de résineux collent sous la plante des pieds,
bientôt taquinés par les chatons d’aulnes à l’approche du rivage. Le sable
enfin, qui glisse entre les orteils, le bruit des vagues qui clapotent
gentiment, alors que le rivage et le ciel se déploient soudain.
Derrière, le couvert pudique de la forêt. A droite, comme à
gauche, de petites saillies rocheuses qui s’engagent plus en avant, laissant le
baigneur comme lové au creux d’un petit paradis personnel.
Ce parc Lahemaa, aux portes de Tallinn, a effectivement un
petit air de paradis.
On s’y perd avec plaisir, avec un rapide sentiment d’absorption.
Le parc nous avale, sans qu’on n’y résiste.
Parfum de résine, lenteur des vagues, brise dans les cimes et
sur le rivage.
La piste qui le traverse est parcourue lentement.
Une voie de vacance, où les jambes et l’esprit tournent en
roue libre.
Elle longe gentiment le rivage, qui, une fois n’est pas
coutume, se déploie et se recroqueville en une succession de longues péninsules,
tant et si bien qu’il y a toujours une autre rive, en face, là-bas, de l’autre
côté de la baie qui se dessine.
La piste a des allures de promenade de tour de lac.
Un lac qui se renouvèlerait simplement, à l’extrémité de
chaque péninsule, où l’horizon bascule.
A l’extrémité de la péninsule de Jeminda, l’impression d’être
au bout du monde s’accentue : la piste, toujours en sous-bois, s’engage résolument
sur l’avancée rocheuse, tandis que le rivage, de part et d’autre, se rapproche.
Le monde terrestre ne se limite bientôt plus qu’à une bande
de quelques mètres de large, qui se poursuit toujours plus en avant. L’impression
de rouler sur la mer sous un ciel d’épines nous gagne. Seuls au monde,
dominant un continent inhabité, inexploité et qui nous appartiendrait alors en
propre... le lieu, sans forcer, puise naturellement au fond de nous et appelle le
robinson qui sommeille.
Quel meilleur endroit pour poser la tente ?
Un phare domine la péninsule.
C’est ce que nous apercevons, tandis que nous nous promenons
sur le rivage, les orteils baignés de sable.
Juste à côté…
La notion de ‘juste à côté’ sur un rivage est bien souvent
trompeuse, et on devrait s’en méfier. Réfléchir un peu plus avant de s’aventurer,
pour se rendre là-bas, pieds nus… ‘juste à côté’.
Au fur et à mesure que nous nous approchons du phare (une
petite heure de jeux d’équilibre à travers les rochers), celui-ci finit par disparaître pour de bon
derrière les cimes de résineux. Il nous faut bientôt tracer l’itinéraire à vue
de nez, en nous engageant à travers bois.
Quelques traces semblent indiquer un sentier. Trace de
gibier ?
Celles-ci se perdent bientôt, et nous continuons en coupant en
aveugle tout droit à travers bois.
Il paraît qu’en Suède, de grandes fêtes sont données vers la
fin du printemps.
Les gens, comme lors de toute fête traditionnelle qui se
respecte, s’enivreraient bien au-delà des limites du raisonnable, avant de se
dévêtir joyeusement en communauté et s’engager tous ensemble à travers bois. C’est
en tout cas ce que nous avait raconté Anders, rencontré à Druskininkai avec
toute sa petite famille, Ida sa fille et Elvira sa compagne.
On ne saurait guère vraiment ce qu’il s’y passe, puisque
jamais personne n’en est revenu avec des souvenirs bien précis, mais il
paraîtrait que cette tradition est bel et bien ancrée dans les mœurs, car elle
aurait un mérite majeur : celui de faire ronfler pour des mois et des mois
les moustiques assoiffés, laissant ainsi en paix les éventuels amoureux qui s’y
aventureraient à nouveau, plus tard dans la saison, pour s’y confectionner
d'immortels souvenirs…
En ce qui nous concerne, il semblerait que la potion magique
ingurgitée à Tallinn ait malheureusement l’effet inverse : chaque moustique qui se gave d’un
peu de sang semble ravigoté, surexcité, et semble pris d’une danse frénétique qui
se concentrerait autour de nos visages.
Les jambes criblées et le visage cerné, nous sommes bientôt contraints
d’abandonner l’idée du phare, et de fuir le sous-bois, pour regagner le rivage le
plus proche.
Tandis que nous le longeons patiemment en direction de notre tente, nous
découvrons quelques coquilles d’acier. La paroi est bombée, de deux bons
centimètres d’épaisseur… des fragments de tubes.
Redoublant de vigilance pour poser nos orteils, nous découvrons
bientôt d'autres vestiges métalliques qui ne laissent alors plus guère de doute quant à leur nature : il s'agit de queues de roquettes.
Des fragments d’un demi-mètre d’acier
rongé, échoués.
Ou plutôt déposés sur le rivage.
Les fragments de projectiles, à bien y regarder, ne sont pas particulièrement rares, et nous découvrons même quelques pièces intactes.
Il n’en faut guère plus pour que le parfum de vacance ne quitte
cette petite plage.
Remontant plus loin encore, nous apercevons des sphères
hérissées de piques.
Elles sont reliées entre elles par des chaînes.
Des mines marines.
Celles-ci brillent toutefois, et ont été nouvellement
repeintes.
Elles encerclent une stèle, inaugurée dix années plus tôt,
tout juste.
Gravé en son pied, et écrit en estonien, russe, allemand et
finlandais, un hommage aux victimes de la seconde guerre mondiale.
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