Les possibilités d'hébergement ne
sont pas très nombreuses à Šiauliai.
Nous apprenons même rapidement
qu'elles sont insuffisantes.
Nous essuyons les mines désolées de
plusieurs auberges, et parmi les plus modestes, tentons sans plus de
succès notre chance auprès de dortoirs universitaires vers qui nous
sommes envoyés 'au cas où'. Des dortoirs universitaires, venus en
aide aux établissements d'hébergements de la ville, tous occupés
la majeure partie de l'année. Et malgré les trois lacs qui baignent la
ville, aucun camping.
Ayant épuisé les possibilités, nous
sommes finalement dirigés vers un grand bâtiment en marge du
centre.
Lorsque nous entrons dans le hall de
réception, il y a de l'agitation. Un vieillard hurle, toujours dans
cette langue incompréhensible, et à voir sa mine rouge, il n'est
pas content du tout du tout... dans sa main, un ballon de mousse,
qu'il brandit énergiquement. Et en retrait, une demi douzaine de
lascars baraqués, baskets, shorts et marcels, mains croisées dans
le dos, attendent que les choses se tassent.
Un gradé arrive dans le hall, touche
deux mots à la réceptionniste, qui traduit aussitôt. Les
hurlements du petit vieux cessent aussitôt. Le ballon de mousse est
reposé sur le comptoir, confisqué, l'incident est clos... pour le
moment.
Les lascars rompent les rangs, regards
fuyants, mêlés de rage et de protestations ravalées.
Il resterait quelques chambres pour la
nuit. 'Si nous n'avons rien contre le fait de partager
l'établissement avec une garnison de soldats...'. Vu l'heure
avancée, cela nous est complètement égal.
La chambre est propre. Les murs
s'avèrent toutefois bien minces.
Nous nous écroulons sur les lits,
regards plantés au plafond... bientôt bercés de milles bruits.
Des bruits de vie de garnison...
Des rires, des aller-retour dans les
couloirs, de la musique... des cris de jeu.
Sur les toits plats des bâtiments en
contrebas, une aire de sport a été aménagée. Nous dirions une
cage : l'aire en pelouse synthétique est en effet entourée de
hauts grillages. Fenêtre entrouverte, nous les entendons vibrer à
chaque fois que le ballon de mousse (qui a repris du service) claque
dessus.
Cris d'encouragement, rebonds, courses,
chocs...
Devant l’hôtel, des enfants se
baignent, nus, dans la fontaine aux oiseaux. Ils piaillent
joyeusement entre quelques éclaboussures.
Des portes claquent, des murmures à
travers les cloisons...
Nos carcasses s'enfoncent tout
doucement dans les couvre-lits moelleux...
… des robinets ouverts quelques
instants...
… quelques piaillements d'oiseaux...
ou d'enfants...
… qui s'éloignent...
…
… qui s'éloignent.
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En
remontant la rue piétonne du centre-ville, nous nous apercevons que
Šiauliai n'est pas non plus une bête de soirée... la nuit
est tombée, quelques restaurants sont ouverts, et il n'y a pas
foule. La carte de l'un d'eux se veut typique : nous tentons
notre chance.
Nous descendons dans un sous-sol.
Ambiance feutrée, voûtes de briques, chaises et tables de bois,
très simple. Des ampoules sont pendues, juste au dessus de chaque
table. Des tables rondes, autour desquelles 3 chaises sont
resserrées. Au centre de ces tables, une rose blanche diffuse un
petit îlot de lumière, rehaussant les traits des visages penchés
par dessus.
Il n'y a pas foule.
Trois tables seulement sont occupées.
Ailleurs, les roses scintillent sur des
plateaux vides.
Une jeune fille nous accueille, nous
invite d'un geste large à choisir parmi les tables non occupées.
Nous nous asseyons, dans la pénombre, puis baignons nos visages au
dessus du menu resplendissant.
Au fond de la salle, jusqu'alors plongé
dans la pénombre, un large rectangle bleu est apparu. D'abord
hésitant, puis de plus en plus net. Des chiffres sont apparus au
centre... un décompte. A zéro, le vidéo projecteur a inondé
l'extrémité de la salle de flashs, d'ombres et de lumières
multicolores, se propageant dès lors de table en table et colorant
les pétales de vert, de bleu et de jaune délavé.
MTV.
La musique de la salle a continué sur
ses airs posés, impassible, comme si les roses étaient restées
blanches, et les tables rondes.
Ce n'est pas la première fois que nous voyons ce drôle de rituel... à Vilnius déjà, cela nous avait surpris.
L'instant de prendre la commande.
'- Ce sera une soupe traditionnelle...
une soupe au poivron.
- Bien, c'est noté... et vous ?
- Une soupe également... et puis la
poêlée là... qu'est ce que c'est ?
- Une sorte de goulache...
- C'est nourrissant?
- Oh oui... si vous prenez la soupe
ET la poêlée, vous risquez de ne pas tout manger...
- Alors je ne prendrai que la
poêlée... vous pourriez nous servir en même temps ?
- Bien entendu... encore autre
chose ?
- …. oui... une question... cela
va peut-être vous paraître bizarre comme question, mais on voulait
savoir si vous attendiez encore du monde...
- Non... pourquoi ?
- Nous nous demandions si une soirée
allait commencer ou pas...
- Non... qu'est ce qui vous fait
dire ça ?
- En voyant l'écran allumé et la
piste de danse devant, on se demandait juste si une soirée
particulière allait commencer... c'est tout...
- Ah, ça ? Noooon... c'est
juste pour l'ambiance !
- Pour l'ambiance ?
- Ben... oui !
- C'est votre choix ou vous avez été
encouragés à le faire ?...
- Je ne comprends pas...
- Hé bien, qu'est ce qui a motivé,
un jour, à mettre un écran, comme ça... et pourquoi MTV
d'ailleurs ?
- … je ne sais pas... je ne
travaille pas ici depuis assez longtemps... je sais que les gens
aiment bien... et quand on ne le met pas, ils nous le font souvent
remarquer et le demandent.... c'est juste... juste... comment
dire.... juste comme ça quoi... c'est fun !'
La voyant troublée par nos questions
(et nous la comprenons...), nous n'insistons pas davantage. Allons-y
pour une soupe et une poêlée... et on verra après pour le
dessert !
Son sourire franc est revenu, puis le
menu a disparu.
Les pétales sont à présent rosées.
Au fond de la salle, Paris Hilton est
en effet apparue sur fond de draperies écarlates.
Allongée à la romaine sur une
banquette, appuyée sur un coussin lové sous son coude, elle nous
regarde d'un air suave, buste rehaussé d'un élégant corset.
A ces images, nous comprenons qu'il
s'agit d'une rediffusion d'une pseudo émission de télé-réalité.
Paris reçoit chez elle de jeunes groupies, pour un repas d'un
soir... un soir au nirvana. La table est dressée comme dans un conte
de fées. Les groupies maquillées, manucurées, pomponnées, et
empaquetées dans d'opulentes robes de soirées... Paris semble au
bord de l'orgasme, paupières mis closes, visage renversé et bouche
entrouverte dans un sourire béat... le magnétisme opère : les
groupies attablées n'ont d'yeux que pour elle... Paris articule
quelques mots, les groupies, yeux exorbités, répondent en
balbutiant, rougissantes... et Paris renverse à nouveau la tête,
les yeux un tout petit peu plus clos, brillants de malice et de
plaisir... elle roucoule...
...l'image du bonheur absolu...
La discussion muette continue, mais
l'endurance a ses limites : on perçoit dans les yeux de Paris,
malgré son sourire toujours béat et ses rires si joliment
contenus... de l'ennui. D'autres personnes parmi l'équipe de
tournage ont dû s'en rendre compte : un assistant glisse
discrètement derrière la diva à l'occasion d'un changement de
cadrage, et hop, le tour est joué : Paris arbore dès lors de
très chiques lunettes de soleil... des volets sur les fenêtres de
l'âme... les groupies n'y ont vu que du feu.
La soirée peut se poursuivre dans le
jeu des béatitudes...
Nous nous apercevons que les autres
tables n'ont pas non plus résisté au magnétisme : les visages
sont tous orientés vers le fond de la salle... la musique continue
pourtant de tourner ses airs mélodieux, mais Paris est partout.
L'image seule a suffi.
De retour à l’hôtel, nous
découvrons dans notre chambre un gâteau au chocolat et une bonne
bouteille... le maître d’hôtel a assuré : en voyage aussi,
les anniversaires doivent être fêtés.
Malgré les allers-venus dans les
couloirs, les robinets et les discussions qui nous entourent, nous
penchons nos visages par dessus le gâteau, dans un petit îlot de
lumières...
Un des soldats s'est installé au bord
de la fontaine, guitare à la main... et s'est mis à chanter, avec un accent à couper au couteau, et en français dans le texte...
... 'Moi je n'étais rien et voilà
qu'aujourd'hui...'...
… ça, ce n'était pas
prévu...
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