dimanche 16 décembre 2012

Un restaurant avec Paris Hilton

Les possibilités d'hébergement ne sont pas très nombreuses à Šiauliai.
Nous apprenons même rapidement qu'elles sont insuffisantes.

Nous essuyons les mines désolées de plusieurs auberges, et parmi les plus modestes, tentons sans plus de succès notre chance auprès de dortoirs universitaires vers qui nous sommes envoyés 'au cas où'. Des dortoirs universitaires, venus en aide aux établissements d'hébergements de la ville, tous occupés la majeure partie de l'année. Et malgré les trois lacs qui baignent la ville, aucun camping.

Ayant épuisé les possibilités, nous sommes finalement dirigés vers un grand bâtiment en marge du centre.


Lorsque nous entrons dans le hall de réception, il y a de l'agitation. Un vieillard hurle, toujours dans cette langue incompréhensible, et à voir sa mine rouge, il n'est pas content du tout du tout... dans sa main, un ballon de mousse, qu'il brandit énergiquement. Et en retrait, une demi douzaine de lascars baraqués, baskets, shorts et marcels, mains croisées dans le dos, attendent que les choses se tassent.

Un gradé arrive dans le hall, touche deux mots à la réceptionniste, qui traduit aussitôt. Les hurlements du petit vieux cessent aussitôt. Le ballon de mousse est reposé sur le comptoir, confisqué, l'incident est clos... pour le moment.

Les lascars rompent les rangs, regards fuyants, mêlés de rage et de protestations ravalées.


Il resterait quelques chambres pour la nuit. 'Si nous n'avons rien contre le fait de partager l'établissement avec une garnison de soldats...'. Vu l'heure avancée, cela nous est complètement égal.


La chambre est propre. Les murs s'avèrent toutefois bien minces.
Nous nous écroulons sur les lits, regards plantés au plafond... bientôt bercés de milles bruits.

Des bruits de vie de garnison...


Des rires, des aller-retour dans les couloirs, de la musique... des cris de jeu.

Sur les toits plats des bâtiments en contrebas, une aire de sport a été aménagée. Nous dirions une cage : l'aire en pelouse synthétique est en effet entourée de hauts grillages. Fenêtre entrouverte, nous les entendons vibrer à chaque fois que le ballon de mousse (qui a repris du service) claque dessus.

Cris d'encouragement, rebonds, courses, chocs...

Devant l’hôtel, des enfants se baignent, nus, dans la fontaine aux oiseaux. Ils piaillent joyeusement entre quelques éclaboussures.


Des portes claquent, des murmures à travers les cloisons...

Nos carcasses s'enfoncent tout doucement dans les couvre-lits moelleux...

… des robinets ouverts quelques instants...

… quelques piaillements d'oiseaux... ou d'enfants...

… qui s'éloignent...


… qui s'éloignent.


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En remontant la rue piétonne du centre-ville, nous nous apercevons que Šiauliai n'est pas non plus une bête de soirée... la nuit est tombée, quelques restaurants sont ouverts, et il n'y a pas foule. La carte de l'un d'eux se veut typique : nous tentons notre chance.

Nous descendons dans un sous-sol. Ambiance feutrée, voûtes de briques, chaises et tables de bois, très simple. Des ampoules sont pendues, juste au dessus de chaque table. Des tables rondes, autour desquelles 3 chaises sont resserrées. Au centre de ces tables, une rose blanche diffuse un petit îlot de lumière, rehaussant les traits des visages penchés par dessus.

Il n'y a pas foule.
Trois tables seulement sont occupées.

Ailleurs, les roses scintillent sur des plateaux vides.


Une jeune fille nous accueille, nous invite d'un geste large à choisir parmi les tables non occupées. Nous nous asseyons, dans la pénombre, puis baignons nos visages au dessus du menu resplendissant.

Au fond de la salle, jusqu'alors plongé dans la pénombre, un large rectangle bleu est apparu. D'abord hésitant, puis de plus en plus net. Des chiffres sont apparus au centre... un décompte. A zéro, le vidéo projecteur a inondé l'extrémité de la salle de flashs, d'ombres et de lumières multicolores, se propageant dès lors de table en table et colorant les pétales de vert, de bleu et de jaune délavé.

MTV.

La musique de la salle a continué sur ses airs posés, impassible, comme si les roses étaient restées blanches, et les tables rondes.

Ce n'est pas la première fois que nous voyons ce drôle de rituel... à Vilnius déjà, cela nous avait surpris.
 

L'instant de prendre la commande.


'- Ce sera une soupe traditionnelle... une soupe au poivron.
- Bien, c'est noté... et vous ?
- Une soupe également... et puis la poêlée là... qu'est ce que c'est ?
- Une sorte de goulache...
- C'est nourrissant?
- Oh oui... si vous prenez la soupe ET la poêlée, vous risquez de ne pas tout manger...
- Alors je ne prendrai que la poêlée... vous pourriez nous servir en même temps ?
- Bien entendu... encore autre chose ?
- …. oui... une question... cela va peut-être vous paraître bizarre comme question, mais on voulait savoir si vous attendiez encore du monde...
- Non... pourquoi ?
- Nous nous demandions si une soirée allait commencer ou pas...
- Non... qu'est ce qui vous fait dire ça ?
- En voyant l'écran allumé et la piste de danse devant, on se demandait juste si une soirée particulière allait commencer... c'est tout...
- Ah, ça ? Noooon... c'est juste pour l'ambiance !
- Pour l'ambiance ?
- Ben... oui !
- C'est votre choix ou vous avez été encouragés à le faire ?...
- Je ne comprends pas...
- Hé bien, qu'est ce qui a motivé, un jour, à mettre un écran, comme ça... et pourquoi MTV d'ailleurs ?
- … je ne sais pas... je ne travaille pas ici depuis assez longtemps... je sais que les gens aiment bien... et quand on ne le met pas, ils nous le font souvent remarquer et le demandent.... c'est juste... juste... comment dire.... juste comme ça quoi... c'est fun !'
 

La voyant troublée par nos questions (et nous la comprenons...), nous n'insistons pas davantage. Allons-y pour une soupe et une poêlée... et on verra après pour le dessert !

Son sourire franc est revenu, puis le menu a disparu.


Les pétales sont à présent rosées.
Au fond de la salle, Paris Hilton est en effet apparue sur fond de draperies écarlates.

Allongée à la romaine sur une banquette, appuyée sur un coussin lové sous son coude, elle nous regarde d'un air suave, buste rehaussé d'un élégant corset.

A ces images, nous comprenons qu'il s'agit d'une rediffusion d'une pseudo émission de télé-réalité. Paris reçoit chez elle de jeunes groupies, pour un repas d'un soir... un soir au nirvana. La table est dressée comme dans un conte de fées. Les groupies maquillées, manucurées, pomponnées, et empaquetées dans d'opulentes robes de soirées... Paris semble au bord de l'orgasme, paupières mis closes, visage renversé et bouche entrouverte dans un sourire béat... le magnétisme opère : les groupies attablées n'ont d'yeux que pour elle... Paris articule quelques mots, les groupies, yeux exorbités, répondent en balbutiant, rougissantes... et Paris renverse à nouveau la tête, les yeux un tout petit peu plus clos, brillants de malice et de plaisir... elle roucoule...

...l'image du bonheur absolu...

La discussion muette continue, mais l'endurance a ses limites : on perçoit dans les yeux de Paris, malgré son sourire toujours béat et ses rires si joliment contenus... de l'ennui. D'autres personnes parmi l'équipe de tournage ont dû s'en rendre compte : un assistant glisse discrètement derrière la diva à l'occasion d'un changement de cadrage, et hop, le tour est joué : Paris arbore dès lors de très chiques lunettes de soleil... des volets sur les fenêtres de l'âme... les groupies n'y ont vu que du feu.

La soirée peut se poursuivre dans le jeu des béatitudes...


Nous nous apercevons que les autres tables n'ont pas non plus résisté au magnétisme : les visages sont tous orientés vers le fond de la salle... la musique continue pourtant de tourner ses airs mélodieux, mais Paris est partout.

L'image seule a suffi.



De retour à l’hôtel, nous découvrons dans notre chambre un gâteau au chocolat et une bonne bouteille... le maître d’hôtel a assuré : en voyage aussi, les anniversaires doivent être fêtés.

Malgré les allers-venus dans les couloirs, les robinets et les discussions qui nous entourent, nous penchons nos visages par dessus le gâteau, dans un petit îlot de lumières...

Un des soldats s'est installé au bord de la fontaine, guitare à la main... et s'est mis à chanter, avec un accent à couper au couteau, et en français dans le texte...


... 'Moi je n'étais rien et voilà qu'aujourd'hui...'...


ça, ce n'était pas prévu...

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