mercredi 19 décembre 2012

Le pays aux croix

Quel effet cela ferait-il d'après vous si la grotte de Massabielle était rasée au bulldozer ?...

 
... ah, je vois que cela ne vous évoque rien... peut-être qu'en vous précisant que la grotte de Massabielle est la grotte sanctuaire de Lourdes, cela vous aiderait à mieux appréhender l'effet que cela pourrait avoir...

Je reformule donc : quel effet cela ferait-il d'après vous si la grotte de Lourdes était rasée au bulldozer ?

Ah oui... je vois que cela vous parle déjà plus... et pourtant, je sens que la comparaison n'est pas encore à la hauteur... la religion et vous, vous dites.... entendu.

Peut-être alors pourrions-nous sortir du domaine religieux et en appeler à un autre monument identitaire.... tiens, voilà : quel effet cela ferait d'après vous si le Panthéon de Paris était rasée au bulldozer ?

… oui, c'est bien ça... ça devrait le faire...


Voilà... imaginez : 'Le Panthéon de Paris brûle-t-il ?'...


Alors ?



 
 

Pas si simple de trouver un équivalent national à ce que peut représenter la colline aux croix pour les lituaniens... plus qu'un lieu de religion, de pèlerinage, c'est un lieu hautement identitaire, qui a cristallisé tous les espoirs, les luttes et les prières à travers l'histoire et les occupations successives du pays, notamment la période d'occupation soviétique déjà évoquée...

C'est bien simple, si les avis divergeaient au fil de nos rencontres sur les destinations incontournables du pays, la quasi totalité se mettait d'accord au moins sur un point, que tous connaissaient : la colline aux croix.

Ugnė, Lina et d'autres encore n'avaient aucun doute à ce sujet : nous devrions nous y rendre... plus qu'un lieu identitaire, un lieu de reconnaissance.



Cette même colline aux croix donc, qui fut à plusieurs reprises rasée au bulldozer, afin bien sûr de 'mater' la conscience nationale...

L'histoire raconte qu'à l'aube du jour suivant chaque destruction, de nouvelles croix réapparaissaient sur le lieu... les abords de la colline furent même noyés sous les eaux par les autorités russes pour en bloquer l'accès, mais des ponts de fortune étaient alors construits, et de nouvelles croix ajoutées...


Les origines de l'attachement du peuple lituanien à ce lieu sont floues... certains ouvrages parlent du XIVème, d'autres du XVIème, et d'autres encore ne le mentionnent qu'un siècle plus tard encore... ils semblent toutefois s'accorder sur le fait que la colline ait été un lieu de commémoration dès le milieu du XIXème siècle (à peu près comme la grotte de Lourdes finalement...), voué au souvenir des victimes du soulèvement de Šiauliai, alors sous l'oppression de la Russie (l'histoire est un éternel recommencement...).

Lors de la première indépendance (1918), les pèlerinages se multiplient : des 4 coins du pays 'libre', les gens viennent se recueillir, et parfois même y poser une croix... mais dès la nouvelle occupation (qui débuterait pour rappel, dès 1939), tous les symboles religieux étant appelés à être détruits à plus ou moins brève échéance, la colline allait de nouveau cristalliser les attentions.


Plus les résistances à la soviétisation du pays (et donc l'interdiction de religion) seraient vives, et plus les réprimandes seraient dures... et plus les réprimandes seraient dures... vous devinez la suite... plus les résistances vives...

… et un jour inéluctable, des bulldozers seraient envoyés sur la colline.


 
Ce bras de fer aurait duré jusqu'en 1985 : à cette date, il y a toujours des croix sur la colline, malgré les efforts déployés, et les autorités renoncent à les retirer... trois années et quelques dizaines de milliers de croix plus tard, le lieu est déclaré 'lieu sacré', avec le soutien de l’Église. Le pape en personne se rendrait enfin sur place peu après la déclaration d'indépendance du pays et y érigerait une croix encore plus haute que toutes celles déjà dressées jusque là.


… et la ferveur du pays, après cinquante années d'occupation, n'en est bien sûr devenue que plus grande...



Dès le retour de l'indépendance, les cathédrales, églises et autres monuments religieux conservés jusque là (et reconvertis durant l'occupation, pour les plus prestigieux d'entre eux, comme gymnases, salles d'expositions, de concert ou musées) ouvriraient de nouveau leurs portes aux offices. Quant aux autres, soit détruits, soit considérablement dégradés, une patiente mais fervente reconstruction débuterait, reconstruction toujours en œuvre à ce jour.

Eglise de Mažeikiai, 40 000 habitants
 
Eglise de Tytuvėnai, 2800 habitants
 
Eglise de Sandrava, moins de 100 habitants
(visible de l'extérieur dans le post 'yoyo du sympathomètre')
 
 
La colline (ce lieu, comme le décrivait Vincent la veille, 'qui ne paye pas de mine, mais qui vaut le coup d’œil'), compterait ce jour plus de 50 000 croix de plus de un mètre, et un nombre inestimable de crucifix, chapelets et autres croix de taille plus modeste, et en provenance du monde entier...
 
 
 
 

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