L'expérience d'Olds et Milner est une de ces expériences majeures largement connues du public, même si, dénommée ainsi sous le nom de ces auteurs (et c'est une forme d'injustice), elle n'évoque bien souvent pas grand chose...
Laissez-nous donc rafraîchir votre mémoire en en faisant le bref récit.
Cette expérience, réalisée sur des rats (comme le sont de nombreuses expériences), consistait à explorer les fonctions cérébrales, à l'aide notamment d'électrodes implantées dans diverses zones... du cerveau (il y en a qui suivent), pour y envoyer des décharges électriques de différentes intensités et observer leurs effets sur le sujet.
En activant une région particulière du cerveau lorsque le rat se trouvait dans une zone précise de sa cage, Olds et Milner ont remarqué par un 'hasard de la science' que ledit rat revenait systématiquement vers cette zone (alors qu'a priori, il aurait plutôt dû la fuir...). En augmentant l'intensité des décharges, ils constatèrent même que le rat revenait encore plus vite dans la zone en question.
Ils élargirent alors l'expérience en implantant dans la cage plusieurs rats, avec eau et nourriture ainsi qu'un levier via lequel les rats pouvaient commander une décharge électrique (une électrode avait bien sûr été implantée sur chacun d'eux).
Résultat : les rats ne tardèrent pas à comprendre l'intérêt du levier et s'auto-administrèrent rapidement des décharges de plus en plus fréquentes (pouvant dépasser les 200 chocs par minutes, soit plusieurs par secondes!!), jusqu'à se détourner tout à fait de leurs congénères, rompant ainsi tout lien social, ne buvant plus, ne mangeant plus, ne dormant plus, jusqu'à dépérir tout à fait (on mettrait plus tard en évidence que même l'instinct maternel n'y résisterait pas).
Une augmentation de l'intensité des décharges n'y changea rien : les rats, même propulsés contre les barreaux de la cage par la violence de la décharge, restaient groggy quelques instants avant, de se jeter à nouveau sur le levier une fois leurs esprits recouvrés...
Par cette expérience, réalisée en 1952, Olds et Milner mettait en évidence la fonction particulière d'une région bien précise du cerveau (qui serait plus tard appelée 'aire septale') : délivrer du plaisir… jusqu'à la dépendance la plus totale.
Les conclusions de cette étude réalisée sur des rats sont bien sûr tout à fait valables pour des sujets humains (même si leur mise en évidence n'est, comme on s'en doute, pas aussi aisée puisqu'elle soulève quelques épineuses questions éthiques....) : nous serions donc tous intrinsèquement agités (à des degrés plus ou moins divers) par le même désir, trouver n'importe quel moyen pour 'titiller' cette fameuse région septale, que ce soit à doses de tablettes de chocolats, de shoots d’héroïne ou de gorgées de vodka...
… tout ne serait au fond qu'une question de compromis : la mise en balance du plaisir que le moyen en question nous procure avec les effets néfastes également causés...
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Tandis que nous pédalons en direction de Šiauliai, cette expérience ne cesse de tourner dans nos têtes... la discussion avec Erik, le matin même, ses efforts pour enseigner à ces jeunes 'une modération du plaisir' trouvaient quelques échos dans cette dure condition... où trouver son salut entre recherche de plaisir et dépendance ?
Toujours cette question du rythme...
Avant l'arrivée fracassante des nouvelles technologies de communication, le facteur passait une fois par jour (et encore, ne passait pas le dimanche!), et nous attendions avec fébrilité son passage pour savoir si une lettre de la dulcinée ou du prince charmant y serait déposée ou non... si oui, nous la lisions et relisions mille fois, pour la dévorer, y chercher des messages cachés, des phrases à double sens et s'inventer des non-dits qui en diraient encore plus... nous extrapolions, nous fantasmions... et s'il n'y avait pas de lettre, nous pensions alors qu'une mésaventure malencontreuse avec dû la retenir, et nous imaginions alors mille raisons toutes aussi improbables les unes que les autres qui expliqueraient cette absence........
… oui : nous imaginions...
A présent, la fonction du facteur est forcément désacralisée... les billets doux transitent par voie électronique, et en instantané. Mieux : nous avons 'prise' sur ce temps d'attente...
'Autrefois' (on croirait parler d'une époque vieille de mille ans!), nous avions beau pleurer toutes les larmes de désespoir de notre corps, rien n'y faisait : le facteur passerait à l'heure de sa tournée, ni plus tôt, ni plus tard...... et à la fréquence donnée. A présent, si l'attente nous torture de trop, nous avons le pouvoir de nous défouler : nous pouvons inonder notre dulcinée de déclarations et de SMS enflammés jusqu'à ce qu'elle se décide (ENFIN!!) à nous répondre, à nous déclarer sa flamme..... (ou non).
Le temps d'attente s'est ainsi considérablement tronqué.
Une adolescente nous racontait peu avant notre départ qu'elle échangeait environ 200 SMS par jour.
200 SMS....... 200 'preuves de sociabilité'.
'Et encore, y'a bien pire !' se dépêchait-t-elle d'ajouter devant nos airs incrédules...
200 SMS par jour, on n'arrive certes pas aux deux ou trois stimulations par secondes, mais enfin, n'y a-t-il pas déjà de quoi dresser une certaine analogie ?....
…
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Un vélo est appuyé sur sa béquille, un peu affalé en rebord d'un champ de patates. Enfin, un champ de patates... c'est ce que nous découvrons en observant quelques rangs dégagés. Ce champ est très largement envahi de mauvaises herbes à fleurs jaunes... on dirait même plutôt un champ de fleurs jaunes. Parmi ces fleurs jaunes, un fichu rouge à franges bleues, minuscule, noyé parmi les fleurs.
Une vieillarde est assise, à même la terre, et grignote tige après tige cet océan de jaune, repoussant de temps à autres son derrière, quelques dizaines de centimètres plus loin...
Le rythme......
…
Si le tandem a cet avantage sur la marche de 'surprendre' parfois quelques scènes de la vie sans l'influencer d'une manière quelconque, et donc de les voir 'telles quelles, dans leur plus simple expression', il a toutefois toujours le désavantage de l'inertie : si le tableau surpris est saisissant et mériterait d'être immortalisé en photo, le temps de nous arrêter et de faire demi-tour, il a déjà disparu (et nous cultivons ainsi une forme de frustration... l'impression rageante d'avoir 'raté' la photo...... mais passons).
Ainsi, l'air absorbé et absent de cette vieillarde dans son champ de patate infini (qui découragerait rien qu'à le voir n'importe lequel de nos ados), cet air inébranlable, éternel et si 'nu', resterait gravé dans nos mémoires, mais ne serait jamais plus fixé sur une pellicule : le temps du demi-tour, notre présence a déjà été trahie... et cette expression si saisissante d'une 'absence' a déjà disparu.
… l'éternité de l'absence semble si éphémère...
Un peu plus loin, une silhouette est assise, dans une cour carrée d'une ferme aux bâtiments de bois gris, courbée et immobile, avalée par les oies qui se dandinent autour. Une silhouette à l'air abattu, désœuvrée... isolée dans cette cour carrée d'une ferme tout aussi isolée.
A travers la cour, un fil de fer est tendu. Une veste bleue marine au tissu épais, une robe usée, pastelle, à petites fleurs... un fichu bleu. Ils occupent un tout petit espace de ce grand fil. Des gouttes s'en détachent, et tombent, unes à unes.
En dessous, les oies qui se dandinent... cette silhouette, assise, courbée, toujours immobile... et la boue.
L'immobilité nue.
Rien d'autre.
…
'200 SMS...'
…
A travers ces campagnes de lenteur, si lentes que nous croyons parfois traverser des tableaux, nous repensons à cette adolescente, à ses semblables, à d'autres proches, et de manière plus générale, à nos sociétés occidentales... et à leur 'rythme'...
Combien de SMS par jour ? Combien de fois par jour vérifions nous nos portables, nos boîtes aux lettres, nos boîtes mails, privées et pro (lorsqu'elles sont distinctes), pour ressentir cette petite excitation à la lecture de l'annonce 'vous avez un message', une excitation d'incertitude, de potentialité de l'arrivée d'une bonne nouvelle, d'un instant de joie.... non : de 'plaisir potentiel' ?...
Combien de nos actions quotidiennes sont-elles consacrées à ressentir ces 'petites excitations', que ce soit par boîtes mails, par SMS, par jeux d'arcades ou autre subterfuges ?
A quelle fréquence ?…
…
Un adjectif nous vient alors en tête, à double fond... 'surexcités'...
Une surexcitation de tous les âges, une agitation frénétique déraisonnable, à cliquer 200 fois par jour sur claviers, souris et autres leviers pour, un instant, pour un instant seulement, ressentir cette petite décharge... cette petite excitation...
… est-ce du bonheur ?......
Et quelques mots d'une citation déjà évoquée plus tôt, nous revient sans tarder en tête devant ce tableau improbable... mots qui en cet instant semblent prendre un sens nouveau...
… 'le plaisir est le bonheur des fous...'...
...
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