vendredi 7 décembre 2012

Lituanie : ce qu'en pense Erik Van quelque chose...

 
Si l'émerveillement devant les petits chatons et l'humour de la scène irréelle passée en compagnie de notre invraisemblable hôtesse sonnaient comme un rappel face à notre passage à vide, le hasard nous servirait dès le lendemain matin une nouvelle rencontre qui cette fois-ci nourrirait quelques réflexions...

Combien de fois pourtant avions-nous pu dire à nos proches à chaque départ de voyage 'on ne sait jamais sur quoi on va tomber (sans parler de boîte de chocolats), mais on sait qu'en voyageant, on s'offre en quelque sorte au hasard, et il arrive toujours quelque chose... et c'est là tout l'intérêt du voyage'... et pourtant, la veille, nous étions là, les yeux dans le gris du lac, sous la pluie, à douter... à perdre cette foi.

Hommes de peu de foi...



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Le couvercle de la remorque claque, la clef tourne, tinte avant de regagner la sacoche.
Nous montons en selle, vérifions une dernière fois que nous n'avons rien laissé, nous les regardons une dernière fois et partons.

Les : les chatons, que nous laissons derrière nous, ne cédant pas à l'idée si séduisante de leur faire une petite place dans la carriole...



Le chemin est particulièrement peu stable.
Deux traces tantôt terreuses, tantôt sableuses séparées d'une ligne d'herbes déjà suffisamment hautes pour masquer quelque trou, bosse ou pierre. Un vrai chemin pour VTT...

Le départ est un peu rude et nous veillons à négocier chaque ornière de la manière la plus douce possible, n'ayant ni l'humeur à pousser dans le sable, ni celle de nous laisser tomber. Nous ne serions pas sûrs de nous relever de si tôt...


Nous n'avons pas pédalé un quart d'heure (soit à cette allure l'équivalent d'à peine plus d'un kilomètre... ou deux grand maximum) que nous rencontrons au détour d'un bosquet de pins un groupe de jeunes qui, à leurs chaussures de sport, leurs pantalons trop grands et leurs casquettes, semblent être littéralement tombés du ciel.


Ils sont hollandais.
En campement d'été.

C'est ce que nos restes de néerlandais nous apprennent (le néerlandais qui après tout n'est pas si différent de l'allemand (pour peu bien sûr que l'on ait affaire à un allemand qui mange des chips et parle la bouche pleine...)).

L'attroupement de ces jeunes autour de nous a forcément attiré l'attention des adultes qui en sont responsables : voici d'ailleurs l'un d'eux.


Il se nomme Erik. Erik Van quelque chose précise-t-il... et on s'en serait douté.
Mais lui sait parler allemand sans mâcher des chips.

Le bonhomme a bonne mine. Derrière ses petites lunettes rondes, il cache un regard pétillant, curieux... et bienveillant.

Chose plutôt rare quand nous rencontrons quelqu'un, c'est lui qui pose les questions : que faites-vous ici, où allez-vous, pourquoi la Lituanie, quelles sont vos impressions... peu enclins à philosopher de si bon matin et surtout désireux de regagner Šiauliai au plus vite, nous ne répondons tout d'abord que de manière évasive et brève... avant de nous laisser prendre au jeu.

Après tout... nous pédalerons plus vite, voilà tout.


Le bonhomme nous apprend qu'il vient régulièrement dans la région, depuis environ six ou sept ans. Il fait partie d'une organisation de soutien au développement. Mais c'est avant tout un programme de rencontres. Des rencontres avec le monde, avec son temps... des rencontres à encourager, et dès le plus jeune âge.

Une à deux fois par an, il vient ainsi pour quelques semaines, avec un groupe de jeunes, prêter main forte à quelques projets locaux, destinés aux enfants. Un orphelinat, une pension, une école. Cette organisation s'appelle colours4kids.

Au départ, l'idée était d'aller aider des pays en voies de développement comme on dit... on pense à l'Afrique, à l'Asie... et puis les nouveaux pays de l'Est se sont ajoutés à la liste : Moldavie, Roumanie, Bulgarie... ou encore, comme nous le constatons, la Lituanie.


Difficile de rendre en quelques phrases les impressions que ce pays nous laisse... mais c'est l'exercice auquel nous soumet presque aussitôt notre interlocuteur.

La première idée qui nous vient en tête, c'est d'abord le rythme bien sûr. Ce contraste des rythmes...


Erik sourit, nous regarde par dessus ses lunettes, avec un air de professeur amusé qui encouragerait ses élèves...

'Ouiiiii... très juste. Le rythme !'

Il nous raconte ainsi l'exemple de jeunes, venus ici et qui, après leur voyage avaient été en quelque sens 'changés' dans leur rythme :

'Tu sais comme sont les jeunes... ils ont une envie, et dès qu'elle est assouvie, une autre arrive aussitôt, balayant la satisfaction précédente sans plus d'égard. Et c'est vrai que chez nous tout les y incite ! Plutôt que de rêver à une chose, 'cultiver' son envie et la voir venir (comme une lettre de sa dulcinée!)... tout arrive très vite et la patience n'est guère encouragée... c'est pourtant important de prendre le temps... cela aide à faire le tri entre ce qui appartient au caprice et ce qui apporte vraiment quelque chose. Et puis il y a peut-être aussi parfois autant de bonheur à attendre une chose désirée qu'à la recevoir, non ?... c'est tout le champ de l'imagination, du fantasme !... il faut des temps d'attente... et nos sociétés imposent une dictature de l'impulsion, de l'immédiat... quand les gamins viennent ici, on peut leur faire découvrir cette lenteur...

Quand ils viennent ici, déjà, ils n'ont pas de réseau. Fini les SMS, fini MSN, les jeux en ligne, etc... la première semaine, il faut bien le dire, c'est terrible ! Et puis les caprices sont plus difficiles à assouvir... untel veut s'acheter une casquette, l'autre des bottes... ici, il n'y a pas de boutiques ! Alors ils ont le temps de mûrir leur envie... et au bout de quelques jours, tu te rends compte que l'envie est passée, remplacée par une autre ou une autre, mais quand l'envie reste, hé bien c'est alors une vraie envie.

Bien sûr, quand ils rentrent, les sollicitations reviennent et la plupart d'entre eux replongent aussitôt... une vraie boulémie ! Mais certains retiennent la leçon : nous leur demandons juste, quand ils ont une envie, d'essayer toujours de tenir une semaine avant de l'assouvir. C'est un petit jeu que nous avons instauré pendant la période du camp. Et, comme dit, au bout d'une semaine, ils se rendent compte (même s'ils ne l'avouent pas forcément...) que bon nombre de ces envies soudaines se sont évanouies.

C'est un autre rapport au temps. Un autre rapport à soi aussi. Apprendre à se détacher de l'impulsion, de la sollicitation... apprendre la constance... différencier les envies qui viennent de l'extérieur et celles qui naissent de l'intérieur... différencier l'essentiel du futile... ce n'est bien sûr pas facile, mais c'est très important. Certains de ces jeunes gardent cette petite règle une fois rentrés chez eux, d'autres pas... il ne faut d'ailleurs pas se leurrer : ils ne sont pas très nombreux à résister. Et puis le 'réseau' avance aussi : nous allons bientôt devoir lutter contre ici même... mais bon... et sinon, mis à part le rythme, quoi d'autre ?'


Une sorte de conflit générationnel aussi... une réelle rupture entre les 'jeunes' qui pour la plupart sont réunis dans les villes et les 'vieux' qui sont restés en campagne, souvent au chômage ou occupés à garantir leur autonomie.


'Oui oui oui... c'est assez marquant. Les jeunes lituaniens sont comme nos jeunes européens, d'ailleurs ils sont de jeunes européens : baignés de MSN et MTV, comment seraient-ils au fond différents ? La difficulté croissante que rencontrent les aînés, c'est de faire face au fossé qui sépare les représentations de la vie 'normale' de la nouvelle génération avec la leur... vous voyez déjà les difficultés dans nos pays d'Europe dite 'de l'ouest' pour les parents qui ont vécu sans toutes ces nouvelles technologies, imaginez celles des parents d'ici, qui vivent en maisonnettes de bois et circulent encore en charrettes !... Internet arrive chez eux parfois avant l'eau courante, le choc est immense !

Je vais vous raconter une anecdote qui est à mon sens assez symptomatique. Une histoire de pique nique. Dans les premières années où nous sommes intervenus pour soutenir quelques projets dans la région, il y a donc six ou sept ans, nous prenions la plupart de nos repas 'sur le pouce', pique nique tous les midis, potée le soir, et, à la clôture du séjour, nous marquions le coup en réunissant tout le monde pour un bon repas, que nous financions bien sûr... nous passions toujours de bons moments, simples et conviviaux. Aujourd'hui, c'est plus aussi facile ! Les lituaniens rechignent à faire un pique-nique le midi : ils exigent que nous allions tous au restaurant... 'comme tous les européens !' disent-ils... ils pensent qu'un européen, c'est quelqu'un de riche et qui mange tous les midis au restaurant.

De drôles de représentations courent ainsi dans la tête des gens... et à la fin, on sent comme une certaine honte de la part des parents : bon nombre d'entre eux réclament dorénavant le restaurant, et auraient même à cœur de le payer et de montrer qu'ils le peuvent... même si dans les faits, ce n'est bien sûr pas le cas. La coopération est devenue de plus en plus délicate au fil des ans... les budgets explosent, alors que les finances diminuent sans cesse... les revendications sont chaque année revues à la hausse, et à chaque fois, basées sur des 'représentations de la normalité européenne' qui n'ont rien à voir avec le réel... du coup, il y a ceux qui revendiquent ce droit à 'ressembler aux européens', et ceux qui se disent que tout ceci n'est qu'arrogance et voient d'un très mauvais œil cette propagation du modèle occidental... on cultive d'une part une forme de complexe et de l'autre une certaine aversion envers un modèle jugé trop invasif'


Oui, c'est vrai que toutes ces bannières étoilées, cela fait un peu too much non ?...


'… il faut vous dire que dans les campagnes, les gens ont développé une certaine méfiance de tout ce qui vient de l'extérieur : l'autonomie semble être la plus sure garantie de survie pour traverser les péripéties de l'histoire... vous connaissez déjà ce qu'ils ont dû traverser... alors c'est sûr que tous ces financements qui semblent 'tomber du ciel', souvent mal à propos, semblent concentrer les crispations. Dans certains endroits, il serait d'ailleurs peut-être plus sage de laisser votre drapeau dans vos bagages... vous pouvez garder vos drapeaux français et allemand... paradoxalement, c'est l'Europe qui semble cristalliser les crispations, comme une entité sans identité, sans visage... dans cette représentation, l'Europe n'est ni la France, ni l'Allemagne... c'est l'Europe. Quelque chose de vague. D'ailleurs, je ne suis pas bien sûr que beaucoup de gens reconnaissent votre drapeau ici... il se pourraient même qu'ils considèrent que le vôtre et le nôtre soient identiques !'

 
Les jeunots tournent peu à peu autour de nous, hésitant à interrompre Erik.

'Ah oui... l''heure du pique-nique... déjà'.

Déclinant l'invitation qu'il ne manque pas de nous faire, nous préférons cette fois-ci prendre la route... non pas qu'il faille nous dépêcher de trouver un restaurant (!)... mais la route est encore longue.

Et puis le ciel s'est aussi dégagé : du soleil et de la chaleur pour traverser les campagnes profondes et hostiles, c'est toujours de bons alliés pour garder bon cap !

Erik sourit, prend congé de nous en nous souhaitant bon voyage (les routes devraient être de plus en plus mauvaises d'ici à l'arrivée), puis s'en retourne vers ses jeunes, attroupant tout ce petit monde en frappant des mains pour le pique-nique.


'Le bonheur aurait donc selon lui quelque chose à voir avec l'imagination et une privation consciente de ce qui nous donnerait envie... une manière de 'cultiver l'envie' qui augmenterait le bonheur...'

Voilà une nouvelle définition du bonheur que nous ajoutons dans nos petits carnets.

Une définition qui nous rappelle d'une certaine manière une idée défendue dans l'un des contes de Roal Dahl, 'Charlie et la chocolaterie', d'ailleurs interprété il y a quelques années au cinéma.
 

...
 
… d'ailleurs... en parlant de chocolat !...
 
 
... non, on va attendre...
 
 
... (5 petites minutes ??)....



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