Tandis que nous rebroussons chemin vers Vilnius, nous croisons un petit bonhomme en bord de route, genou ensanglanté, penché sur son vélo, posé parterre dans une drôle de position.
L’approchant doucement pour lui apporter éventuellement notre aide, le petit bonhomme tourne sa tête vers nous, nous lançant un regard méchant.
Ses larmes ont tracé des sillons clairs sur ses joues poussiéreuses.
Respectant sa mise en garde, Marie reste en retrait avec le tandem, tandis que je l’approche doucement, pas à pas.
Le bonhomme débite quelque mots, secoue la tête, m’invitant à ne pas aller plus loin et se repenche sur son biclou récalcitrant.
Je m’accroupis, restant à deux pas de lui.
Le problème semble se situer au niveau du dérailleur. La patte des galets est tordue, la chaîne est bloquée.
Il tire en tous sens, mais rien n’y fait bien sûr…
Je lui montre, du doigt, vers le dérailleur… avec quelques mots, doucement.
Il continue, me regardant par à-coups avec méfiance, sans plus de succès.
Je lui montre alors la chaîne, lui faisant quelques gestes avec les mains, dessinant un rond, un triangle et quelques mots… ses sourcils se relèvent petit à petit.
J’ose un nouveau pas, en canard, doucement… indiquant toujours du doigt le dérailleur. Puis un autre, et me voici à côté de lui.
Il tire sur la chaîne, mains noires tendues vers le pédalier avec de petits grognements… mais toujours sans plus de succès. J’ose enfin toucher son vélo, et tirer sur la patte du dérailleur : je lui donne un peu de mou… il comprend enfin où se situe le problème.
Il tire à présent au bon endroit, mais c’est bien bien coincé… Il me regarde enfin et me montre l’endroit où la chaîne est bloquée. Je lui montre à mon tour, l’interrogeant du regard : il semble d’accord pour que j’essaye. Je saisis la chaîne, il se pousse un peu. Je lui montre où poser ses doigts pour m’aider : il s’exécute, hochant la tête d’un air grave… enfin, j’ose poser la main sur la sienne et lui montrer où il faut tenir et tirer.
Il remet son vélo debout, je lui pose la main sur le guidon, appuyant bien dessus pour lui faire comprendre tout en le regardant bien dans les yeux : il faut qu’il tienne le vélo pendant que je m’occupe de la chaîne. Il fait oui de la tête.
Je peux enfin m’occuper du problème… la patte est bien tordue. Elle a dû se prendre dans la roue. Je la détords, réengage la chaîne sur les galets, sur le pédalier, lève la roue arrière et fait un tour de pédale : voilà, c’est reparti.
Je ne comprends pas un mot de ce que dit le bonhomme, mais son air grave d’adulte a disparu : je lui souris, le voici redevenu bonhomme…
Je fais un nœud avec son câble de vitesse rompu, je me relève enfin, lui donne un petite tape sur l’épaule, et le regarde déjà partir, debout sur ses pédales.
Nettoyage de main, un petit coup de gourde, et nous repartons à notre tour.
A peine sommes-nous repartis que nous entendons derrière nous des cris.
Sautillant toujours sur ses pédales, revoici notre petit bonhomme, de retour avec un copain, pour faire la course avec nous… nous jouons du klaxon, faisons semblant de pédaler à fond, dans les cris et les rires, puis au bout de quelques minutes, le moment de nous quitter pour de bon est venu : nos poursuivants ont mis pied à terre, nous leur faisons signe de la main tandis qu’ils nous suivent du regard, essouflés et souriants, criant des mots que nous ne comprenons toujours pas… mais c’est si peu important.
Peut-être dans dix ans se souviendra-t-il qu’un drôle de bonhomme sur un drôle de vélo lui a réparé son vélo… et que ce drôle de bonhomme avait avec lui un drapeau.
Un drapeau bleu avec des étoiles…
Et nous nous mettons alors à rêver…
Si seulement un ‘projet européen’ pouvait susciter un sentiment semblable chez tous les citoyens de l’Union…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Si vous souhaitez réagir, n'hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous ou à nous envoyer un message à l'adresse suivante: petits_carnets_dalsace@yahoo.fr