Au cœur du parc national Conguillo, zone particulièrement sismique du Chili, le rio Truful-Truful coule depuis des siècles et des siècles, retraçant à chaque nouvelle irruption un nouveau parcours à travers la cendre. Au cours des périodes d'accalmie, il creuse sans relâche son lit à travers les couches géologiques, et met à jour ce grand livre des temps : pages empilées et compactées de chaque période de destruction et de paix, qui se succèdent depuis la nuit des temps...
Une dynamique cyclique, où le terrain s'érode, jusqu'à ce qu'une nouvelle irruption ne comble son lit, et qu'un nouveau parcours se fasse plus ou moins au hasard, au travers du nouveau paysage nivelé.
Et ainsi de suite...
...
Gdańsk, de par son histoire, nous rappelle que l'histoire humaine relève de la même dynamique... il n'y a jamais de paix durable. Juste une lente et insidieuse érosion du champ des possibles, jusqu'à ce qu'une nouvelle irruption ne finisse par survenir pour retracer un chemin de liberté.
Sans remonter à des siècles z'et des siècles z'en arrière, il nous suffit juste d'en considérer un seul et de se rendre vers le chantier naval, pour que cette analogie ne s'impose.
Au sortir d'une nouvelle irruption, le traité de Versailles ouvre sur la liberté de la ville : l'ex Danzig devient polonaise, ville libre rebaptisée Gdańsk, nouvel havre de prospérité jusqu'à ce qu'un nouveau magma ne surgisse par les pores du nazisme. La seconde guerre mondiale éclate dans la baie de la Vistule, à Westerplatte, le début d'années de destruction... mais nous en avons déjà parlé.
Déchirée entre signataires du pacte germano-soviétique, une nouvelle Gdańsk communiste finit par renaître de ces cendres, consciencieusement reconstruite, en tant que clef géographique, au cœur de l'Europe du Nord et de la Baltique... jusqu'à ce qu'à nouveau, la croûte ne craque et que le magma ne jaillisse. Si au soir de l'aire stalinienne, le sang ne coule qu'à Poznan et 'épargne' Gdańsk, la perle de la Baltique explose à son tour sous Gomułka, après une (très) brève période de 'mieux'...
'Plus de liberté, plus de pain !', nouvelle irruption non contenue, non contenable, qui coule aux abords du chantier naval. Eté 1970, la milice tire, le sang coule... jusqu'à la fois suivante.
Pour le souvenir, les pierres sont déposées à l'endroit de la tuerie, aussitôt retirées par les autorités. D'autres pierres sont placées à nouveau, toujours retirées, puis remises, inlassablement...
La fois suivante a lieu en 1980. Nouvelle inflation, nouvelle crise économique, signes précurseurs d'une nouvelle irruption. Des grèves massives éclatent sur le chantier naval, bientôt propagées au pays tout entier... le mouvement est tel que l'irruption ne peut être contenue.
Cette fois-ci, les pierres restent. Mieux, un monument les remplace. Croix de plus de 40m, qui crèvent le sol. Solidarnosc, le premier syndicat 'libre' du bloc de l'Est naît, premières ondes de choc fatales...
Bien sûr, un nouvel état de guerre est proclamé, Jaruzelski dissout ce flot bouillonnant par l'application de la loi martiale...... pour éviter, dira-t-il, un nouveau bain de sang de l'armée rouge.
Mais le mal est fait : la terre a craqué, des plaques sympathisantes arrivent du monde entier pour rejoindre la place Solidarni... les négociations de la Table Ronde sont inévitables.
1989, le bloc craque. Patatra... nouveau champ de cendres à travers lequel la rivière doit de nouveau trouver son lit... mais cette fois-ci, le sang n'a pas eu à couler.
1990, le parti communiste est dissout, et quelques mois plus tard, un ouvrier est élu Président de la République... surprises du champ des possibles...
...
2011, le 'Chemin de la liberté' rejoint toujours les locaux de Solidarnosc aux abords du chantier naval. Un morceau du Mur de la Honte a même rejoint un morceau du mur que (paraît-il), l'ouvrier futur président (Wałęsa, bien sûr), aurait enjambé lors des émeutes de 80...
La place est déserte. Les grues du chantier peu actives. L'avenir du chantier serait même très incertain. Solidarnosc a perdu peu à peu de son poids, le nombre de ses adhérents s'est érodé... érodé.
Au cœur de Notre Dame, le guide ne peut s'empêcher d'évoquer cet âge doré d'il y a tout juste 20 ou 30 ans. La réduction du temps de travail, l'obtention des samedi fériés et du temps pour la famille... rappelant qu'à présent, chaque jour qui passe grignote ces acquis, le travail a fini par avaler le dimanche... ce qui a été acquis s'est... érodé...
Son discours a des parfums d'une certaine ostalgie... où un mot revient sans cesse : la 'peur'.
Entre 1991 et 2011, il y eut aussi septembre 2001... ou encore 2008.
De nouvelles inflations, de nouvelles crispations, une nouvelle crise...
… de nouveaux signes.
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