lundi 1 août 2011

Depuis quand n'avez-vous pas 'marché dans l'herbe' ?

  … de manière surprenante, il semble que nous n'avions plus vu la nature à l'honneur depuis notre arrivée en Pologne...

Nous nous remémorons les zones marécageuses et les premières forêts de pins au sol sableux de la région de Gorjow, les champs de culture qui ont suivi, et d'autres forêts... et effectivement, à de très rares moments, il nous a semblé être dans un endroit 'bucolique', douillet, bref, un endroit qui inviterait à la flânerie en plein air... à part peut-être un coin en cœur de forêt il y a quelques jours, ou à Człuchów, sur les bords du lac, où l'herbe a été fauchée, et des bancs de bois aménagés... mais au total, cela reste très rare.

A quoi cela tient-il ?

Au travail de l'homme sur elle, peut-être ? Laissée à elle même dans les premières régions, sinon souillée, à aucun moment nous n'avons eu la possibilité de nous 'poser' dans un pré, ou un quelconque endroit qui puisse nous accueillir pour une petite sieste.

Les bords de routes n'y sont pas fauchés, et les diverses sortes de plantes urticantes qui y poussent à leur aise n'invitent guère le cycliste à y frotter ses mollets (ou selon la saison, ses cuisses). Il doit donc rouler en attendant un carrefour ou une petite place en bord de route.
Les places en bord de route n'apparaissent pas non plus par hasard : elles sont la plupart du temps prévues pour stocker provisoirement des matériaux de chantier ou du bois, et finissent ensuite presque systématiquement par recevoir les déchets des populations environnantes... les carrefours avec les voies secondaires (pistes de sable) ne sont d'ailleurs pas plus gâtés.

La pause du cycliste finit donc par se faire où elle peut, souvent parmi les déchets, et finalement, le plus agréable se trouvera sur le bord de carrefours d'axes principaux, sur quelque parking de stations services...

Dans les dernières régions traversées, manifestement de plus en plus riches (ou de moins en moins démunies), si les bords de route sont fauchés, et la quantité de déchets sauvages sensiblement réduit, le nombre de tels endroits douillets n'a pourtant pas vraiment augmenté...

Alors à quoi d'autre ?


… en y réfléchissant, une évidence s'est imposée dans nos petites têtes de trekkers : tout simplement, à vélo... on roule ! Autrement dit, à vélo... on reste sur la route !

Et quand en plus, les petites routes sont impraticables, le monde se limite très vite inconsciemment à ce qu'il est possible de percevoir sur les bords des axes empruntés... et cela change tout.


Car à ne plus quitter la route, il ne reste de tout le paysage existant qu'un ensemble d'aperçus cumulés tout au long de mailles jetées artificiellement sur le décor. Et quand ces mailles se limitent à nationales et départementales, autant dire que ça laisse de gros trous...

Il suffit d'ailleurs de regarder n'importe quelle carte routière pour s'en convaincre. En ne conservant qu'autoroutes, double-voie, nationales et départementales, que reste-t-il au final, en proportion, de la surface réelle du territoire ?...

Là encore, nous pourrions parler de 'filet jeté sur le monde', à la fois pour la structure même du réseau routier tissé sur la surface du territoire, mais également pour ce qu'il influe évidemment sur notre perception du monde en 'canalisant' nos mouvements, nos 'trajectoires' à travers lui.

Un exercice intéressant pour 'remettre à plat' cette erreur de perception consiste d'ailleurs à réaliser un 'voyage en ligne'. Choisir 2 points quelconques d'une carte, tracer une ligne qui les rejoint tout droit, et la parcourir, en évoluant à la boussole.

Peut-être vous faudra-t-il traverser quelques ruisseaux, peut-être vous faudra-t-il nager, à travers un lac, ou une rivière, en éprouvant son courant, ou encore escalader un talus, un coteau calcaire, que vous redescendrez très prudemment un peu plus loin... plus sûrement devrez-vous évoluer en sous bois, entre quelques jeunes arbres et quelques buissons à travers lesquels vous devrez vous frayer votre chemin... très certainement aurez-vous à traverser quelques prés, quelques cultures ou peut-être encore des vignes... et parfois, des villages. Ponctuellement, vous croiserez de nombreuses traces de gibier, de renards, quelques sentiers de chasseurs, ou encore quelques chemins d'agriculteurs, de randonneurs, parfois enfin quelques routes.

Une idée farfelue ?

Peut-être, mais une idée très pertinente qui dans sa pratique apporte son lot de 'découvertes'.

La proportion de pas (qui redevient évidemment le moyen de locomotion incontournable) réalisés sur une surface bitumée devient soudainement incroyablement minoritaire : le voyage se fait sur 'sol nu', meuble ou dur, mou ou rocheux, sur tapis d'épines de pins ou de mousse, de terre battue ou de pré humide...

D'ailleurs, depuis quand n'avez-vous pas 'marché dans l'herbe' ?...

Votre réponse en dit long quant à notre 'emprisonnement' inconscient sur surfaces bitumées... et donc sur ce 'filet routier'.


La proportion de personnes vivant en agglomération ne cesse d'augmenter. Le parcours quotidien se concentre petit à petit sans que l'on en ait même conscience: appartement, trottoirs, véhicules, autre trottoir, couloirs, escaliers, bureau, et même chemin en sens inverse, avec un passage sur le parking et le carrelage de la grande surface...

Depuis quand n'avez-vous pas 'marché dans l'herbe' ?...

Là encore, la proportion de 'ville' traversée aléatoirement sur le voyage en ligne reste infime... et pourtant, c'est bel et bien la 'réalité urbaine' qui oriente en grande partie les représentations du monde. Étrange découverte à ce jeu des proportions, que de constater que le monde dans l'esprit collectif se réduit peu à peu et inconsciemment au 'paysage urbain'...


Ce 'faussement de perception' nous apparaît de plus en plus clairement au fur et à mesure des kilomètres parcourus depuis la frontière polonaise : la voie bitumée de l'axe principal n'a de sens qu'en ce qu'elle relie deux centres urbains existants, deux axones d'un grand ensemble actif. Telle est sa fonction. Elle n'est qu'un lieu de passage, pas un paysage... l'espace qu'elle traverse semble alors disparaître, 'ne pas compter'. Ne pas exister.

C'est d'ailleurs le cas lorsque la distance se compresse en proportion de la vitesse du véhicule adopté : l'espace traversé par le piéton, la voiture ou le TGV, devient un demi heure, une minute, ou une seconde... jusqu'à ne plus compter.
Traverser ces axes principaux de l'ouest de la Pologne à vélo est une nouvelle expérience, qu'il est toutefois difficile de vivre sur notre territoire si densément apprivoisé... une expérience de traversée de couloirs inhabités, autre sorte de 'no man's land', qui nous apprend comment, par le choix de notre moyen de transport, nous avons presque mécaniquement fini par perdre de vue dame Nature... et tout un pan du paysage...

Disparus, inexistants, effacés du paysage tous ces villages et hameaux contournés.

Les lieux de halte nécessaires sont également de plus en plus espacés, et leur nombre se réduit peu à peu... 'prochain camping à 40km'...

Le monde se compresse à la mesure de la vitesse de transport, et notre représentation bien sûr, s'en trouve doublement biaisée.

Trajectoire et vitesse, filtres inconscients à travers lesquels nous bâtissons nos représentations de l'espace...

… et d'une certaine 'réalité'.

...

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