mardi 29 janvier 2013

Réponse devinette n°11 : la ferveur lituanienne...

S'il vous arrive un jour de croiser un polonais et de pouvoir parler avec lui, demandez-lui si par hasard, il ne connaîtrait pas un certain Karabatic (parler sport avec un étranger rompt toujours la glace de manière particulièrement efficace...). Il vous répondra très certainement par un 'Nikola ?' malicieux, démontrant ainsi à la fois qu'il connaît le prénom de la personne en question, et qu'il sait qu'il aurait tout aussi bien pu s'agir de son frère, Luka...

Le handball est en effet un sport très populaire en Pologne, et il est tout naturel de connaître les champions de la discipline : aussi est-il actuellement difficile de ne pas connaître 'LE' joueur star de l'équipe de France (même si, rappelons le tout de même, ce dernier est né en ex-Yougoslavie...).

Malgré la démesure du sport phare planétaire (le foot bien sûr!) qui se développe comme une vague de conversion dans les pays d'Europe de l'Est (souvenez-vous d'ailleurs d'où s'est déroulé l'Euro 2012...), d'autres sports résistent encore bien dans ces pays où l'on n'en est pas encore à presser des foules en liesse devant des arcs de triomphes.....
 
 
 
 
... à ceux qui avaient donc parié sur une manifestation de supporters de l'équipe nationale de foot pour expliquer ces drapeaux lituaniens, la raison reste à chercher ailleurs..... mais pas si loin.


En effet, il ne s'agit pas non plus d'un jour de deuil national ou de devoir de mémoire ou autre fête nationale (pour l'instant!), mais bel et bien d'une expression de supporters de sport au ballon rond avec lequel on ne jouerait toutefois pas au pied...


De même qu'à l'évocation d'un Zidane ou d'un Karabatic, le lien sportif est rapidement dressé, évoquons alors le patronyme d'une figure sportive légendaire lituanienne : Arvydas Sabonis.
 
 
...

Vous remettez ?



Un des plus grands joueurs de tous les temps de l'histoire du.... du.... ?

... non ? toujours pas ?...


Bon, voici quelques indices supplémentaires qui devraient vous aider à palier à ce fâcheux trou de mémoire.....
 
(caricature photographiée à Kaunas)


(totem photographié en campagne, dans l'Apskritis de Kaunas)


Et maintenant ? :-)....
 
 
... oui, cela vous revient à présent.... évidemment....

Comme vous le dites, comment ne vous en êtes pas souvenus plus tôt ?...
 
Arvydas Sabonis est effectivement un 'dieu du basket', véritable légende pour le peuple lituanien...


Comme bien souvent, un sportif devient légendaire parce qu'il incarne au delà de lui (et parfois aussi 'malgré lui') des enjeux politiques bien plus vastes que le simple combat de l'épreuve sportive auquel il est confronté : ainsi des Jesse Owens médaillé aux jeux olympiques au cœur de l'Allemagne nazie, des John Carlos et Tommi Smith aux poings gantés de cuir brandis aux jeux de Mexico, des Emil Zatopek coureur phare d'une Tchécoslovaquie étriquée, des Cathy Freeman icônes d'Australie et porte drapeau aborigène, pour ne citer qu'eux... si Sabonis est devenu à son tour l'icône d'un pays, c'est, au delà de ses statistiques stratosphériques, aussi et surtout parce qu'il a su cristalliser lors de son apogée (années 80 et 90) les aspirations de son pays : des aspirations nationalistes évidemment...


Revenons d'ailleurs à cette époque pour rappeler ce contexte... dans ces années 80, un club domine de toute sa puissance le championnat de Russie : le CSKA, qui n'est autre que le représentant de l'armée rouge dans la discipline... l'équipe moscovite écrase tout : en 1985, elle s'apprête en effet à engranger un dixième titre consécutif... seulement voilà, ce dixième titre lui échappera : ce dernier est en effet raflé par une équipe 'de seconde zone'... le Zalgiris Kaunas.....
 
(caricature photographiée à Kaunas)

Cette année là, ce club est pulsé par un jeune prodige de tout juste vingt ans : vous aurez deviné qui....

Il faut alors imaginer le retentissement que pourrait avoir cette victoire : un club lituanien qui défait l'équipe de l'armée rouge au basket, même les rencontres footballistiques de légendes risquent de ne pas pouvoir souffrir la comparaison... et s'il ne s'agit pas encore d'irruption volcanique pure, disons que les plaques ont déjà bien été secouées une première fois...

… et lorsque cela se renouvelle les deux années suivantes, il n'en faut pas davantage pour que tout un peuple se presse derrière son équipe.


Après le retour de l'indépendance, la ferveur lituanienne pour le basket ne s'est pas estompée : les médailles olympiques de bronze glanées aux jeux d'Atlanta puis de Sydney (au cours desquels les lituaniens auront joué une demi-finale de légende contre rien de moins que les États-Unis (perdue 81-82 sur un panier raté dans les dernières secondes)) ont alimenté la flamme, et celle-ci est toujours bien vivante aujourd'hui.


Et si en cet été de 2011, un très grand nombre de maisons lituaniennes arborent si fièrement les couleurs de leur pays, c'est tout simplement parce que la Lituanie connaît alors une consécration particulière: avoir l'honneur d'accueillir pour la vingtième année de son indépendance le championnat d'Europe de Basket !
 
 
 
C'est alors naturellement tout un peuple qui se joint derrière son équipe..... et qui à l'unisson dresse les couleurs du pays...
 
CQFD.
 
(Nous ne pouvions tout de même pas quitter le pays sans évoquer cela : un lituanien ne nous aurait pas pardonné...... à présent que c'est chose faite, rdv dès la semaine prochaine pour entrer enfin en Lettonie !)
 
 

lundi 21 janvier 2013

Devinette n°11 : drapeaux lituaniens

Pour clore cette longue route lituanienne, voici une devinette concernant la vidéo suivante :


 
 
Comme vous l'aurez remarqué sur cette vidéo tournée en juillet 2011, presque toutes les maisons lituaniennes arborent fièrement le drapeau national... mais saurez-vous dire pourquoi ?
 
 

Réponse Devinette n°10 : drapeaux européens

Au moment où nous changeons de pays, l'occasion semble toute indiquée pour répondre à la dernière devinette laissée ouverte et qui concernait les drapeaux européens : aurez-vous d'ailleurs reconnu le drapeau letton ?...
 
Voici enfin ci-dessous tous les drapeaux européens avec leur appartenance par pays afin de devenir parfaitement incollable !
 
 
 
 

dimanche 20 janvier 2013

Sortie de Lituanie

Mažeikiai est le dernier bourg lituanien que nous traversons. Environ vingt cinq kilomètres plus loin, nous remettrons une nouvelle fois les compteurs à zéro. Nouveau bonjour, nouveau merci et nouvelle monnaie.

Tandis que nous épluchons toutes les banques du petit centre-bourg pour nous procurer quelques lats, les preuves de sympathie se multiplient. C'est une auto-école qui s'arrête à notre hauteur pour nous saluer (l'air crispé du jeunot au volant nous donnera à croire qu'il n'était peut-être pas l'instigateur de cet arrêt impulsif...), c'est une femme qui interrompt sa marche pour contempler notre embarcation, émerveillée, imitée peu après par un très jeune ado à vélo, capuche relevée, et enfin, une petite vieille particulièrement joviale, qui nous tiendra le bras de ses deux mains pour nous parler d'Europe... elle a manifestement reconnu le drapeau, et c'est un des rares mots que nous comprenons de son discours apparemment élogieux...

Chose notable : cette région devenue si sympathique n'est pas épinglée de bannières compulsives... nous sommes sans doute déjà en terre conquise.


Se pourrait-il que les terres proches des frontières soient plus enclines au changement ?...

En repensant à l'expérience polonaise, mais aussi à certaines régions frontalières de France, l'hypothèse ne semble pas tenir bien longtemps la route...




Lats en poche, nous revoilà repartis. Le centre de Mažeikiai semble avoir connu de récents tirs d'artillerie : la plupart de ses rues sont éventrées, bon nombre de bâtiments effondrés... de grands travaux sont en cours, et pour cela, on n'hésite pas à faire du ménage dans les bâtisses. Des canalisations toutes neuves sont posées et, grâce à un panneau gigantesque posé au cœur du centre, on peut rêver au bonheur imminent d'une ville nouvelle. En s'approchant du panneau, le badaud peut constater que la bannière étoilée y est également présente, mais pour une fois, en bas, à gauche, et si discrète...

Déviation, puis déviation de la déviation et après quelques tours du centre, nous avons fini par trouver la sortie souhaitée. La D170 est toutefois elle aussi en travaux et la circulation y est alternée.
 
Tractopelles et autres engins fumants dressent quelques réverbères tandis que d'autres enterrent de nouvelles canalisations. Des cônes délimitent de très étroites voies, trop étroites pour que nous nous y aventurions malgré le bonhomme au panneau rouge. Nous patientons donc, aux côtés d'un poids lourd qui ronronne lourdement... une minute... puis deux... puis une de plus... nous restons là, scotchés en aval du radiateur du trente-huit tonnes à égrener les minutes. Le bonhomme s'est redressé, a retourné son panneau, puis s'est à nouveau avachi.

La voie est toutefois trop étroite pour la politesse et le chauffeur l'a bien compris : il démarre en trombe, nous dépasse sans plus de ménagement, et projette à quelques décimètres au dessus du sol une ribambelle de petits nuages tourbillonnants et obscurs tout à fait dissuasifs... nous mettons le pied à terre et attendons quelques instants, mais le véhicule suivant s'est lui aussi empressé d’emprunter la voie, imité aussitôt par le suivant, puis le suivant... jusqu'à ce que le bonhomme se redresse et tourne à nouveau son panneau... et s'avachisse  enfin.

Sous ses paupières lourdes, son regard a glissé un instant sur le côté pour se poser sur nous, puis a re-glissé vers le centre de l'orbite pour s'éteindre à nouveau. Un infime sourire aux lèvres.


La seconde tentative est la bonne : campés au milieu de la chaussée, nous ne laissons cette fois-ci pas le choix à la camionnette suivante. Le bonhomme au panneau disparaît derrière nous, suivi d'un, puis deux cônes bariolés puis d'un autre et ainsi de suite. Après quelques hectomètres, nous retrouvons une voie à double sens, et la camionnette furieuse nous dépasse laissant libre court à la virtuosité de son klaxon (qui, il faut bien l'avouer, reste très limitée...).

Quelques kilomètres à peine, puis rebelote : même cinéma. Cette fois-ci, c'est le revêtement de la chaussée que l'on refait. En empruntant la voie encore fumante, nous croirions qu'une chape de plomb vient de nous tomber dessus : les chiffres du compteur kilométrique (compteur qui mesure, comme son nom ne l'indique pas, également la température) se succèdent avant de se stabiliser quatorze degrés plus haut... nos casques se transforment bientôt en pommeaux de douche, et des rivières ne tardent pas à couler sur nos tempes, ruisselant le long des lanières de nos jugulaires... au rythme du pédalage, cols grands ouverts, des gouttes, presque des filets, se détachent et atterrissent sur le haut de nos cuissots presque à point tandis que le restant des flots heureusement délicieusement glacés par l'air s'en vont rejoindre nos sternums, puis le creux de nos estomacs... goutte après goutte, nous sentons le ruissellement poursuivre sa descente, rejoignant plexus et nombrils avant d'être absorbés par nos cuissards déjà trempés... drôle d'impression que de pédaler avec le bas des cuisses qui rôtit et les chevilles rendues tendres à l'étuvée...

Nouveau bonhomme au panneau rouge, nouvelle queue hors du feu, puis nous revoici sur le grill...

N'y tenant plus (le corps humain se compose certes de deux tiers d'eau, et en théorie, il nous resterait encore quelques réserves, mais à ce rythme, nous ne toucherons bientôt plus nos pédales...), nous décidons de prendre la première piste qui s'engagerait vers le nord.



Si quelques poids lourds semblent avoir eu la même idée (nous obligeant à chaque fois à nous réfugier en bord de piste, tenant nos casques et fermant les yeux en attendant que la tempête de poussière nous ait dépassés et se soit dissipée (repérant le premier temps à l'oreille, puis le second en entrouvrant nos paupières (l'ombre des tourbillons de poussière se dessine au sol avant de se dissiper tout à fait... mais voilà assez de parenthèses)), la circulation reste minime... et c'est fort heureux. La piste est une de ces pistes récemment refaites, à grands renforts de tout-venant flottant sur lequel notre marge d'équilibre est bien faible : la trace que nous laissons derrière nous n'aurait rien à envier à une droite que l'on demanderait de tracer à un petit gars de maternelle, et nous dérivons à une vitesse à peine plus élevée qu'un tout petit dix kilomètres heure... à travers le cintre du guidon, le gravier fuyant détermine l'angle maximal d'orientation avant la chute... un angle qui ne suffit parfois pas à négocier le virage qui se présente : nous devons alors encore ralentir, à la limite de la rupture... et parfois, mettre pied à terre pour replanter notre gouvernail dans le bon courant.

La manœuvre est malaisée...

Les avants-bras se tétanisent peu à peu... une main de fer dans une mitaine de velours... des fourmis ont envahi le bout de nos doigts... équilibre et efforts se disputent nos ressources... et lorsque de grâce, la route s'incline en légère descente, nous sentons nos épaules entrer en résonance à la vitesse extrême de 20km/h... au niveau de nos omoplates une étrange sensation d'engourdissement, au niveau de nos mâchoires, des courbatures... nous freinons encore un peu...


Pour couronner le tout, un chien errant est apparu de nulle part... nous le surveillons dans le champ tremblant d'un coin d’œil, mais la bestiole semble simplement chercher un compagnon de route. Une ferme en bord de piste. Bâtisse de bois au toit de tôles. La langue pendante, notre compagnon y fait une halte tandis que nous continuons, toujours plus loin...


… un parfum de fraise...




Cette sortie de Lituanie semble rejouer la scène de notre arrivée... le sens de lecture simplement inversé...

… la piste rugueuse, le chien vagabond... la ferme de bois, la forêt... la fraise odorante et ses cueilleurs...


Une différence majeure : les groseilles sont à présent cueillies depuis longtemps déjà...

… et la myrtille est devenue la reine du bocal.


Un champ d'orge écarte la forêt, bousculé un peu plus loin par un champ de colza... une ferme... un mât au dessus duquel une cigogne a élu domicile... voici la dernière image de Lituanie.


De part et d'autre de la piste, deux bornes aux couleurs patriotiques sont en effet apparues et se font face.
Nous y sommes.

La frontière.
 
 
 
 

mardi 15 janvier 2013

Bruits nocturnes...

Le demi siècle d'occupation soviétique laisserait comme on s'en doute de nombreuses empreintes sur le territoire de Lituanie, il en est toutefois une qui est suffisamment inattendue pour qu'on la mentionne ici : l'épanouissement de la biodiversité...

Le premier facteur influent est également assez saugrenu, puisqu'il est militaire : la Lituanie, à l'ère soviétique, était en effet un territoire de choix pour l'installation de bases stratégiques, une tête de pont privilégiée, une rampe de tir de 'proximité', orientée vers l'Europe durant la guerre froide. Le second facteur est administratif et concerne l'administration hypercentralisée du territoire de l'URSS, et l'abandon de terres agricoles laissées en jachères.
 
 


Dans les deux cas, de vastes territoires soit interdits d'accès, soit laissés à l'abandon ont ainsi été laissés 'vierges' durant des décennies, ce qui a permis l'éclosion et l'épanouissement de nombreuses espèces sauvages, dont certaines éteintes sur nos territoires d'Europe occidentale.






Ainsi, en bord des innombrables lacs et rivières, de nombreux castors et loutres vivent comme des coqs en pâte, tandis qu'aux côtés de sangliers et de renards, des élans et des lynx se promènent joyeusement en forêt... ainsi que des colonies de loups. Quelques plus rares bisons viennent enfin compléter cet improbable tableau pour l'émerveillement des amoureux de la nature.

Aussi, lorsqu'au milieu de la nuit, campés dans une clairière en bord de rivière, nous sommes réveillés par d'insistants et nombreux cris sauvages à travers les pans de notre toile, nous avons l'embarras du choix pour déterminer quelle bestiole vient ainsi perturber notre sommeil...
En tendant l'oreille, nous arrivons à déterminer par leur éloignement au moins 5 à 6 points de diffusion. Certains sont assez lointains, d'autres, très nets, semblent provenir de tout près...

Quelque chose gratte le coin de la tente, juste au dessus de nos têtes... mais ne crie pas. Allumant tout doucement la diode d'une frontale, nous visualisons à travers la moustiquaire 4 petits doigts brillants qui essayent de l'escalader. Fausse alerte, ce n'est qu'un crapaud tout bouffi et tout gluant... la clairière en regorge, de même que de nombreux petits mammifères que l'on entend souvent, reconnaissables à leur petite course précipitée sous quelques feuilles sèches...





Nous éteignons et tendons à nouveau l'oreille, les yeux bizarrement grand ouverts, comme s'ils pouvaient nous être d'une aide quelconque pour améliorer notre perception des bruits...





Difficile d'avoir l’ouïe fine postés tout au bord d'une rivière... chaque grincement d'arbre, chaque craquement de brindille semble suspect et nous ne sommes pas bien sûrs de l'avoir réellement entendu ou inventé... les cris sont toutefois bien réels, de plus en plus rapprochés, et, il nous semble, de plus en plus nombreux...





Ça fait quel bruit un lynx déjà ? Et un vison ?... et une loutre ?





 
Sur l'instant, nous devons bien avouer notre inculture en bruits sauvages locaux... il y a bien d'un côté les bruits 'familiers' (un cri de chevreuil, un brame de cerf, un cri de sanglier excité... sans oublier toute une collection de chants d'oiseaux et autres insectes nocturnes, en passant même par la chauve-souris, pipistrelle ou rhinolophe...), mais de l'autre, il faut bien l'avouer, bien des bruits restent 'inconnus', parmi lesquels nous rangerions volontiers le cri du loup pour ne l'avoir jamais entendu directement...
 
 
... mais a priori, cela ne devrait pas ressembler à 'ça'...






Ça, ce sont des petits cris haut perchés, presque des sifflements... quelque chose qui ressemble à un éternuement étouffé, un couinement retenu... voire même une oreille qui se débouche par un jour de grand rhume...


 




Mais quelle bestiole peut donc bien faire ce genre de bruit ?!...
 
Savoir...







Ne trouvant aucune réponse dans le répertoire de bruits en mémoire, nous n'y tenons plus : nous devons 'savoir'...

En nous promettant de palier à cette lacune de retour chez nous (si nous ne nous faisons pas bouffer cette nuit), nous nous décidons à aller voir pour de bon.
Sortir du sac de couchage, trouver à tâtons un pantalon (ayons tout de même le goût de se faire bouffer habillé), une veste, enfiler des chaussures (on se sent plus courageux les pieds secs, et puis marcher sur un crapaud pieds nus n'est jamais très agréable), s'emparer de la frontale, et... sortir.

L'air est frais, humide... rester là, accroupi dans le noir, les 2 pieds dans l'herbe humide et une main posée en arrière, dans le duvet encore chaud, comme une ancre vers le havre de sécurité...




Les bruits les plus proches se sont tus... bientôt imités par ceux qui viennent de plus loin.







Plus rien.






Rester là, quelques instants, immobile, dans l'obscurité...


Toujours rien... rien d'autres que la rivière.
Un instant suspendu.

 
Se lever, soulager les cuisses crispées... se diriger vers les bancs, lentement, une main tendue devant... le foyer, même si la dernière braise a disparu du champ du visible, diffuse encore sa chaleur autour de lui... un bon guide pour s'orienter. 

Et attendre.


Tsiiiiuiiit !





 

 
Tsiiiiuiiit !
 
 
Tsiiiiuiiit ! Tsiiiiuiiit !

 
 
Les sifflements reprennent peu à peu. La clairière est en contre-bas d'un talus boisé. La plupart des sifflements semblent venir de 'par dessus'... certains sont tout près.

 





Savoir...






Allumer la frontale, tout doucement... tourner la molette, très lentement... la diode frileuse entrouvre ses paupières... pas suffisamment pour voir au delà de quelques centimètres... en tournant davantage la molette, le creux de la paume prend vie et chaleur... à travers la vapeur expirée, la veste retrouve des couleurs... un rond de vert au sol... cela ne suffit pas toutefois pour percer le noir autour.





Les cris continuent et ne semblent en rien perturbés par cette maigre bulle de lumière suspendue un peu au dessus du sol...

La molette continue de tourner, le banc de bois apparaît dans le cône blafard, le foyer et ses cendres fumantes... un pas en avant, puis un autre... toujours plus près du cri le plus proche... le banc disparaît, avalé par la nuit... quelques buissons, les premiers troncs, et la butte, recouverte d'un tapis d'épines... des racines, comme des doigts accrochés à la terre...

… le cri s'est tu à nouveau...

 
… c'est proche... tout proche, et pourtant, toujours rien en vue...
 
Le cône de lumière quitte les doigts accrochés au sol, glisse sur le tronc d'un sapin et le balaye enfin vers le haut...





Il n'a pas balayé deux mètres lorsqu'un flot de bruits et de mouvements se déclenche, là, à quelques pas, bruits et mouvements soudains qui se rapprochent d'ailleurs à une vitesse si rapide qu'il n'y a plus qu'à s'en remettre aux réflexes : après le sursaut, s'accroupir et laisser passer par dessus la tête ces bruits et mouvements... un bras s'est aussitôt relevé devant le visage, tandis que l'autre s'abaissait pour assurer l'équilibre, balayant l'espace d'un halo de lumière au hasard de sa trajectoire... le tout n'a duré que quelques dixièmes de secondes, suffisamment pourtant pour les voir... ils sont bien plus nombreux que ce que nous avions imaginé.

Le verre de la frontale est plaqué contre le sol... seuls quelques brins d'herbe se détachent de la nuit...
 
… yeux toujours grands ouverts sur l'obscurité, l'image balayée comme un flash reste pourtant plaquée, persistante et bien visible : une petite armée de yeux jaunes/oranges... des yeux grands ouverts, ronds comme des billes, aux reflets vitreux... là-haut...





… le cœur bat la chamade, frappe comme un sourd dans les oreilles tandis que sur les lèvres naît... un sourire.
 
Le temps de reprendre ses esprits, se relever... et rire de soi.






Ce soir est manifestement un soir de congrès. Un congrès de sages...






Pour une raison inexpliquée, toute une colonie de sages s'est en effet réunie autour de la clairière.


Il semblerait que nous ayons élu domicile pour la nuit au beau milieu de l'assemblée... l'assemblée des très vénérables grands ducs... de grands ducs en pleine discussion.


Des chouettes et des hiboux, probablement heureux de retrouver depuis quelques semaines une vraie obscurité après quelques mois de disette...


... des rapaces certes, mais bon... de quoi bien se marrer...
 
Et puisqu'à présent, nous 'savons', il ne nous reste plus qu'à retrouver le bon duvet chaud, bâiller quelques fois, puis s'endormir à nouveau...

 
... quand il fera jour, il sera bien temps de s'agiter : les frontières de la Lettonie n'ont jamais été aussi proches...
 
 
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Conte balte : pourquoi les chouettes hululent

 

dimanche 13 janvier 2013

Message pour sédentaires : le camping sauvage...

Après les questions 'mais que mangez-vous?' et 'où dormez-vous?' posées par nos proches sédentaires, auxquelles nous avons déjà répondu dans des précédents messages, nous nous attaquons cette fois-ci à un autre beau morceau de leurs crispations : le camping sauvage !...
 
C'est simple : nous touchons là au point de rupture entre rationalité et peurs instinctives... certaines personnes n'arrivent en effet pas à concevoir l'idée même de poser la tente n'importe où, qui plus est dans un pays 'inconnu'... trop peur de se faire agresser par un multirécidiviste évadé, manger par un sanglier, saigner par des fourmis de vingt centimètres ou encore sucer par des mygales des rivières....


 
 
La peur...
 
… oui, la peur... la véritable peur viscérale, sans prise, sans visage... la peur de 'on ne sait pas quoi... on ne sait jamais !'
 
 
 

 
… car 'tout peut arriver !!'....


Voici grosso modo les discours qui nous sont servis à chaque fois que la question est évoquée (et nous vous passons les qualificatifs peu flatteurs qui souvent les accompagnent).


Dans les faits, nous avons bien passé jusqu'à présent quelques centaines de nuits en sauvage dans divers pays sans qu'aucun problème majeur ne nous soit jamais arrivé... mais c'est vrai, nous ne pouvons effectivement pas dire le contraire : 'on ne sait jamais'.


Des précautions élémentaires peuvent donc être prises : éviter par exemple de poser la tente au dessus d'une colline un jour de risque orageux, idem pour un fond de vallée encaissé à proximité d'un torrent qui pourrait grossir rapidement... en forêt, si vous ne pouvez faire autrement, repérer la santé des arbres de bonne taille autour de vous pour éviter qu'une branche maîtresse trop vermoulue vienne à terminer sa chute en travers de votre sac de couchage après un trop fort coup de vent... éviter tout endroit montagneux où des risques d'éboulis pourraient gâcher la nuit... de même, éviter tout terrain 'à failles' de type karstique, aux nombreux trous, gouffres et autres crevasses... plus anecdotique, bien étudier la configuration et la nature du sol pour éviter d'être réveillé dans son bain après une pluie nocturne... repérer l'exposition aux vents afin de s'en abriter du mieux possible (pertes calorifiques parfois non négligeables, surtout en montagne, ou encore, risque de 'crisser des dents' au petit matin si le terrain alentour est sableux), ainsi que l'exposition du soleil au petit matin.

Il ne viendrait bien évidemment pas à l'esprit de poser la toile sous une ligne à haute tension, mais précisons le tout de même...


Selon le pays, bien s'informer sur les risques liés aux animaux : certaines précautions basiques doivent par exemple être prises dans des régions où vous pourriez rencontrer des ours, comme par exemple ne jamais dormir au même endroit où vous avez dîné, et garder la nourriture loin de la tente, si possible en l'accrochant en hauteur dans un arbre au bout d'une corde (la nourriture...)...


… enfin, il y a bien sûr LE prédateur numéro un : l'homme (utilisé comme terme générique, précisons bien)...

Là, c'est assez simple, comme nous avons déjà pu l'évoquer : il faut aussi écouter son instinct... il arrive parfois, sans qu'on arrive à dire pourquoi, qu'on ne 'sente pas' un coin... on sent qu'il vaut mieux continuer la route, se faire discret... de manière générale, il vaut mieux toujours trouver un coin à l'écart de tout pour poser la tente, à l'abri d'un bosquet, d'une haie naturelle... et ne pas hésiter (même avec un 2 roues), à traverser des champs pour trouver l'endroit adéquat.

S'installer peu avant la nuit et repartir peu après le lever du jour permet également de réduire le risque d'être repéré (ce qui peut certes poser problème dans les régions septentrionales...). Ne pas laisser de feu allumé, voire même ne pas faire de feu du tout si l'on juge cela préférable...

Bref, des précautions élémentaires afin d'éviter de mauvaises surprises telles que le fait (cela nous est arrivé quelques fois) de se faire réveiller en pleine nuit par des pleins phares braqués sur votre toile : des moments peu agréables où on a l'impression d'être enfermé dans un sac plastique sans savoir ce qui nous entoure... et surtout sans que rien ne se passe (de longues minutes de silence à se demander le cœur battant s'il faut sortir ou non de la tente...).

La plupart du temps, ce sont de braves gens aussi peu rassurés que vous (des paysans qui veillent à leur terre, des habitants de campagne qui voient avec suspicion tout événement étranger, etc...), quand ce ne sont pas des gendarmes ou autres brigades vertes.

 

Pour se rassurer, on peut également opter pour une tente à double ouverture : cela permet un champ de vision plus large, voire même, cela donne une porte de derrière, comme une sortie de secours !...

Vous pouvez toujours disposer des branches par dessus la toile comme camouflage, ou encore quelques 'pièges' autour de votre campement, des fils à linge, des brindilles sèches, etc...

Mais ce seront autant d'alarmes qui vous donneront de fausses alertes : dites-vous simplement que vous avez élu domicile pour une nuit sur un lieu vivant et que des visites nocturnes sont fréquentes. Un renard, une fouine, voire des crapauds viendront ainsi astiquer vos gamelles, renifler un coin de tente, ou encore gratter la toile non loin de votre tête pour l'escalader...

 
C'est comme bien souvent une question de bon sens et d'expérience. Peu à peu, vous apprendrez à reconnaître tous ces petits bruits nocturnes... et bientôt, vous verrez, vous dormirez à poings fermés...


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lundi 7 janvier 2013

La page lituanienne se tourne peu à peu...

La traversée lituanienne est sur le point de se terminer : après demain au plus tard, nous aurons quitté le pays.

Après Kaunas, Vilnius, Druskininkai, et tant de bourgs et autres villages traversés ou aperçus, nous avons laissé à son tour Šiauliai derrière nous.... Nous poursuivons notre route, toujours plus au nord.
 

Le paysage s'est progressivement dépeuplé... des forêts, des plaines en jachères et un relief toujours aussi plat. Parfois quelques champs d'orges mêlés de fleurs: les bourrasques de vent qui les caressent donnent l'impression qu'une gigantesque sphère invisible roule par dessus.
 

Un paysage toujours apaisant...

Le ciel, comme à son habitude, est bas, lourd... mais semble nous accorder un moment de trêve. Nous coupons à travers les campagnes et forêts, privilégiant les pistes aux départementales et nationales goudronnées : à l'approche des frontières, leur nombre diminue peu à peu afin de minimiser celui des points de passage, et les flux s'en retrouvent concentrés...
 

Inconsciemment, nous nous rendons compte qu'une crispation involontaire nous saisit dès que nos roues franchissent la ligne de démarcation 'bitume/piste' et quittent l'asphalte... une question d'équilibre peut-être... mais bien plus sûrement, une appréhension de ce que nous croiserons.

La piste est devenue synonyme de campagne 'reculée'... ces lieux 'à part', avec lesquels nous n'avons (et c'est déjà un regret) pas encore réussi à nouer contact. Problème de langue... problème de défiance également. Ces regards insistants, durs...


Les chiens y sont également souvent lâchés... et s'il ne nous est jamais vraiment arrivé d'avoir à en découdre, nous nous méfions à chaque fois : sur la piste, notre machine n'est pas aussi vive que sur le bitume, loin s'en faut... nous nous savons agglutinés, plus vulnérables à ce genre d'attaques... oui, il y a de cela : la piste nous retient, semble nous clouer davantage au sol, nous rendant bizarrement... 'vulnérables'.




Le risque est alors grand de s'emmitouffler dans un réflexe de 'confort et sécurité'........ rejoindre les départementales, voire même les nationales si lisses et droites et sur lesquelles on file à toute vitesse...

… rejoindre les mailles principales du réseau...

… rejoindre le 'filtre'... et le filet.


… mais alors, quel intérêt ?...




Une bonne piste vaut d'ailleurs parfois mieux qu'une route de bitume défoncée... et ce matin, nous ne pouvons pas nous plaindre. Celle-ci ressemble à une piste de sable bien damée, qui roule par dessous nous dans un bruit régulier... sans secousse... et qui se laisse oublier.

Derrière nous, nos petits drapeaux, dont les bords sont à présent légèrement effilochés, se dandinent gentiment...


Le paysage, par sa monotonie, défile autour de nous, tout aussi discret... une chèvre perchée dans un pêcher, malgré la corde à son cou... un cheval, trop près de la piste, effrayé, qui arrache son pieu et s'en va dans un galop désordonné... c'est à peu près tout.

Nos jambes, d'une infinie docilité, tournent à l'unisson... pas une douleur, pas une contraction, aucun tiraillement... pédaler est devenu comme une seconde nature.

Pas d'obstacles à surveiller, pas de paysage à observer, contempler, décrypter... nos corps en rythme de croisière... un ciel bas qui ronronne... l'orge tout juste caressé... et les kilomètres, sans résistance, qui coulent les uns après les autres...



Que c'est bon…



Dans cet état de semi somnolence, la Lituanie nous semble déjà derrière nous.
 
Tandis que nos têtes dodelinent légèrement au rythme de nos jambes infatigables, des images de ces dernières semaines passent en revue, au hasard... des totems, des croix et des maisonnettes en bois... des mottes de foin, des fichus, des bouches édentées et souriantes... des ballots de branches de tilleuls... des rivières...

… une femme... surprise pendant sa baignade... à se laver les cheveux... une autre jeune fille, apparue sur le seuil d'une de ces maisons de bois, radieuse... la fresque du consulat et ses nattes tressées, les danses, les chants...


… les chants...


… la révolution vers l'indépendance... la chaîne humaine, les statues de pierre... les chars, les barbelés et les façades grises... des photos en noir et blanc, des dessins d'enfants, des photos de couleurs... les casquettes et les fanions de Vilnius, les sonos, le tohu-bohu, les défilés...

… Lina...




 
… les pieds nus, la lenteur, la cueillette... la fraise des bois...


… les étals de légumes, les charrettes et les balances à poids... le comptoir au boulier... et les rayons de Maxima...



 

… les tours de verre de Vilnius, les thermes de Druskininkai, ses cascades de fleurs et les tilleuls du soir...



… la chaleur d'Ugnė...


… les chants... les contes...

… les totems... à nouveau...

 

Deux formes longilignes et sombres se sont détachées du relief et s'élancent vers le ciel... ce sont deux cigognes noires.




Un présage heureux pour plusieurs années, paraît-il... du moins à en croire les dictons locaux... terre de paganisme.




Des rires d'enfant : une fillette en pyjama court après les dindons dans la cour...

Les quelques maisonnettes de bois que nous croisons semblent en paix.



 
 


Un homme nous regarde depuis la cabine de son tracteur... nous lui faisons un signe de tête, il répond d'un ample geste du bras à travers la petite fenêtre. Les foins sont retournés, quelques cigognes en profitent pour picorer quelques endroits au vert tendre...



Nous demandons conseil où passer la nuit. Une rivière, non loin de là. Il y a une passerelle qui l'enjambe, et de l'autre côté, un endroit charmant... des rudiments d'allemand, quelques mimiques suffisent... mais aussi et surtout, une jovialité à laquelle nous n'étions pas habitués.






La route, à travers champs et forêt est plus longue que nous ne l'aurions pensé, mais malgré nos doutes qui ont fini par se multiplier, la description du lieu est bien exacte: un abri de bois, un foyer à l'odeur prégnante d'un bon vieux feu de sapin, le tout dans une petite clairière en bordure de forêt... et une rivière qui coule gentiment à deux pas de là. L'eau est claire, nous y distinguons gardons et perches...

Sur l'autre rive, un peu plus loin, nous entendons des cris d'enfants. Des cris de jeu.
 
Une colonie peut-être...




 
Le feu crépite, le couvercle de la popote résonne lorsque nous le soulevons... ce n'est pas encore cuit...

… de l'autre côté de la rivière, le silence s'est fait. L'heure du souper... probablement...


Bien calés sur le banc de bois, emmitouflés dans nos vestes, nous nous laissons hypnotiser par le feu... la nuit s'installe peu à peu... après des semaines de semi-obscurité, elle devient de plus en plus sombre et prend progressivement ses aises...




 
De l'autre côté de la rivière, l'heure du chant.







 
… nous devrions aller nous coucher...
 




 
 

Le feu rétrécit... il s'endort peu à peu......
 
   
... dormir...
 
  
Dernier craquement... dernier rougeoiement...
 
 
... puis le voici, à son tour, avalé par la nuit.

 

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