Il pleut toujours.
L’eau ruisselle en minces filets continus, creusant au sol des pointillés réguliers.
La plupart des toits de maisons, quand ils ne sont pas de chaume, sont en effet en tôles ondulées.
Ces tôles sont grises, brunes, rabotées, délavées, et coiffent tantôt quelques bâtiments de brique d’un blanc tout aussi fatigué, aux portes de fer grises et piquées, tantôt quelques bicoques de bois rincé jusqu’au cœur. Ces bicoques de bois ont de l’âge : le faîte s’est avachi, les murs ont discrètement abandonné la verticale, tant est si bien que le chambranle de leur porte a souvent la forme d’un léger parallélogramme. Bardées de linteaux criblés de clous en leur travers, ces portes sont alors la plupart du temps rabotées par en-dessous, rectangles grignotés et vermoulus, aux ferrures lâches. Des petites flaques se forment dans le quart de disque que les innombrables battements de ces ouvertures ont fini par creuser à leur pied.
Au bas d’une rigole, un seau également piqué se remplit petit à petit. Un aveugle pourrait croire un Manneken-Pis en action…
Par ce triste temps, les rues de Marcinkonys sont désertes. Seuls quelques visages, dans l’embrasure de fenêtres aux petits carreaux sans rideaux, trahissent une présence humaine. Des visages de vieilles femmes, aux traits creusés et coiffées de foulards, tortues multicentenaires dont le cou pivote lentement, au fur et à mesure que nous traçons notre sillon à travers les rues au sol trop meuble.
Gravier et sable crissent et crunchent sous nos roues instables qui, sous la pluie, s’apparenteraient presque à l’oreille à quelque bétonnière qui s’annoncerait de loin...
La pluie redoublant, nous trouvons refuge sous un abri de bois, drôle de construction en bordure d’une placette, en marge du hameau. Cet abri ressemble à un comptoir abrité, qui servirait de buvette aux jours de fête, et qui pourrait de par sa largeur assurer un service continu à vingt personnes de front. Devant ce comptoir, une large bande de sable gagnée par de gras chouquets accueille (ou accueillait) probablement quilles, boules ou autres jeux inconnus. Au-delà, un pré récemment fauché. Le foin est jauni, et semble avoir été abandonné sur place. Bouteilles plastiques, paquets de chips, bâtons de sucette, cannettes et autres détritus divers et variés s’y mêlent.
De l’autre côté du pré, la gare.
Un panneau flanqué de la bannière étoilée indique qu’un financement européen a été délivré pour la remise en état du bâtiment. S'il est encore cerné d’échafaudages, le quai quant à lui est neuf et terminé. Le ballaste de la voie également.
Une silhouette attend, sous la pluie. Peut-être un abri futur viendra-t-il.
Après quelques minutes, une autre silhouette a regagné le quai, et puis de nouveau une autre, bientôt suivie d’une nouvelle. Toutes, placides, attendant patiemment sous la pluie.
Bruit métallique et sourd de l’acier qui butte aux jointures des rails : un train qui arrive.
Locomotive et wagons, écussons dorés et vernis sur un fond rouge décomplexé, apparaissent, et ralentissent. Cette drôle de machine, rutilante, semble tombée du ciel.
L’arrêt est court, petite minute qui s'écoule, et déjà, le vaisseau repart. Le quai réapparaît : les silhouettes s’en retournent, rejointes par de nouvelles formes bossues, et d’autres, plus petites.
Quelques touristes portant sac à dos, casquettes et K-way de survie nous rejoignent, suivis de tous jeunes adolescents. Les premiers nous demandent où se trouvent le camping et le centre d’information avant de continuer leur chemin sous la pluie, n’ayant eu de notre part aucune réponse utile, tandis que les seconds se hissent non sans difficulté sur le comptoir pour s’y asseoir.
Le plus grand de la troupe a peut-être 12 ans. Il sort de sa poche un téléphone portable, l’allume sous l’attention magnétisée de ses compagnons.
L’appareil s’allume, et, sous la commande de son maître, se met à cracher une soupe sonore inaudible à travers laquelle quelques bribes de chanson surgissent par moments. L’effet est atteint : un silence religieux a gagné ses compagnons, le cou du jeune homme se gonfle un petit peu.
Dorénavant, ils font partie de ceux qui ont perçu la voix venue de Mars.
De Bruno Mars (‘When I see your face’…).
Le moment de grâce ne dure toutefois pas indéfiniment : l’un des plus jeunes s’est lassé et a décidé d’escalader l’une des poutres de charpente de la structure. Mars est renvoyé sur orbite, et tout le petit groupe lui emboîte le pas. Après un moment d’hésitation, le ‘chef déchu’ a rangé son appareil et s’est décidé à escalader la plus haute.
Une jeune maman est arrivée en voiture, puis la petite troupe a disparu.
Autour de nous, les bicoques craquelées ont regagné le décor, le son de la pluie sur quelque canette en alu est revenu.
Et avec lui, le froid.
Nous avalons sur le pouce un rapide pique-nique, remontons nos fermetures de cols, puis nous reprenons la route.
.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Si vous souhaitez réagir, n'hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous ou à nous envoyer un message à l'adresse suivante: petits_carnets_dalsace@yahoo.fr