lundi 9 juillet 2012

Varena

Le parc Dzūkija marque la zone frontalière sud-ouest entre la Lituanie et la Biélorussie. Et c’est peut-être ce qui lui vaut ces soins particuliers : piste convertie en voie de circulation pour poids lourds, voie de chemin de fer réhabilitée, promotion du patrimoine naturel par l’ouverture à Marcinkonys d’un centre touristique et d’un camping surfaits… et pour tous, cette vivace impression qu’ils tombent du ciel.

A intervalles réguliers, harnachées de câbles, des antennes relais crèvent les cimes de cet océan moutonneux de feuilles et d’aiguilles. Succession de tirets rouges et blancs qui se découpent sur le ciel, formant une ligne au-delà de laquelle le visiteur non muni de VISA ne peut aller : un au-delà de l’Europe.

Nous continuons donc de longer cette ligne frontière par l'intérieur, poursuivant notre route sur cette ancienne piste tirée au cordeau. De part et d’autre, toujours en retrait, apparaissent parfois quelques groupes de bâtisses de bois, signalées tantôt par un crucifix sculpté, tantôt par quelques prés fauchés parsemés de tas de foin rebondis. Certaines de ces bâtisses, probablement abandonnées, ont fini par imploser : volets et portes closes, leur toit s’est effondré, à ciel ouvert. Coques de bateaux échouées sur quelque récif.

Au bout de cette bien pénible ligne droite, Varena.

Varena est une ville. C’est ce que nous découvrons de suite au premier regard, tandis que nous approchons du premier bâtiment : triste construction à étages et aux balcons défraîchis, la brique y a remplacé le bois, tandis que quelques reliques de bitume gisent encore sur la placette qui lui fait face, encombrée de vieilles caisses aux couleurs d’un autre temps. Les détritus se mêlent à de rares chouquets de pelouses, ou macèrent dans de larges flaques aux reflets douteux.

La chaussée est défoncée. Des ouvertures béantes y ont été creusées, chantiers en cours non signalés, non balisés, non sécurisés, qu’il nous faut parfois contourner. Certains carrefours sont noyés sous de lourdes eaux noirâtres. Nous les traversons, sentant dégouliner sur nos mollets ce liquide tiède qui laisse aux ourlets de nos chaussettes une diffuse impression de souillure irréversible… quelques vitrines de boutiques abandonnées sont fendues de part en part, un peu de verre sur les trottoirs défoncés.

Les hommes que nous croisons, par groupes, bras croisés, appuyés sur les murs ou sur des voitures, ne nous quittent pas des yeux. Les discussions vives, les voix tonnantes s’éteignent à notre passage. Dans ce silence, le poids de tant de regard alourdit encore davantage notre embarcation, qui semble comme jamais encore s'embourber littéralement dans ces rues molles. Nous entendons pourtant notre remorque tressauter, tonner comme un glas à chaque rebond, malgré nos tentatives malheureuses de ‘pédaler sur la pointe des pieds’…

Si le ciel s’est fendu petit à petit, balayant quelques éclaircis entre ses ombres, une certaine moiteur nous gagne. Une impression diffuse de dégouliner de l’intérieur, d’être aspirés par l’asphalte, ses eaux noires, et souillés jusqu’à l’âme…

Nous pédalons, sans un mot, sans un mouvement superflu, regard rivé tout droit…
… bien au-delà des dernières rues de Varena.

Lorsque nous brisons le silence, c’est pour évoquer la nuit. Nous n’avons pas besoin de discuter bien longtemps : cette nuit, ce sera un nouveau bivouac en sauvage.

Nous nous arrêtons en forêt, à une petite soixantaine de kilomètres de Vilnius, avant de rejoindre les axes principaux. Nous franchissons une tranchée anti-feu, et poussons sur le sol sableux à travers taillis et pins, jusqu’à ne plus distinguer la moindre trace de route, chemin ou sentier.

Si la vie de la forêt, au soir, a peu à peu requinqué notre volubilité, le jour a fini par se coucher.
Nous l’imitons à notre tour, sans trouver le sommeil.

À l’affût de tout bruit.
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