samedi 14 juillet 2012
Collision
Cadillac décapotable rouge écarlate, cheveux aux vents et bras levés au ciel par l’extase. Le tout sur un paysage fondu par la vitesse. Et en larges lettres dorées, l’inscription ‘Best of shopping’, signe de bienvenue pour la proche capitale.
Nous n’avons pas fait cinq cents mètres sur cette route nationale que les contrastes nous saisissent déjà.
Les pieds de ce panneau publicitaire sont chatouillés par les épis de céréales et quelques bleuets. Discrètes ombres parmi les herbes hautes, des femmes sont accroupies, et désherbent les allées des plantations.
Les véhicules passent à quelques mètres d’elles, à haute vitesse.
Pioche dans une main, seau dans l’autre, une femme patiente de l’autre côté de la voie pour la traverser. Le village, avec ses façades et ses toits gris, est en effet situé de l’autre côté des champs. On en vient à pied, sur la piste grossière. Dix à quinze minutes selon l’âge. Parfois avec une charrette, laissée sur le bord droit de la chaussée : trop dangereux, ou trop pénible de traverser...
L’Europe n’a pas seulement financé les routes : l’Europe insuffle également l’ivresse de la vitesse.
Une ivresse nouvelle et qui a son prix : la Lituanie détient le record de nombre de tués sur les routes.
A peine l’ivresse de la vitesse est-elle expérimentée que déjà sa conséquence s’importe : des radars sont également installés sur le bord de ces nouvelles bandes au bitume rutilant. Saisissez l’ironie : pour le lituanien, l’Europe semble importer de concert l’outil du plaisir (des routes magnifiques) et son entrave (limitations de vitesse et outils de contrôle automatique), mesures coercitives à l’appui.
Un dentiste brandissant d’une main son sucre d’orge tandis qu’il fait sonner sa fraise dans la main droite…
N’y a-t-il pas comme un vice à cela ?
Nous avons eu de folles années. Des années glorieuses, où plaisirs de l’ivresse, de la vitesse ont eu tout l’espace de s’exprimer. Un plaisir humain, naturel, intuitif, viscéral, destructeur. Un plaisir, inévitablement, bordé, balisé, sécurisé au fil des années et des mesures sécuritaires visant à diminuer le nombre de victimes d’accidents de la route. Pour enfin, après avoir raboté les indulgences, en arriver au point le plus aride, le plus bête, le plus absurde : la tolérance zéro. Le radar mécanique, automatique, dénué de la moindre once de capacité de jugement, et qui tranche dans le vif, à tous les coups. Violence de l’automate.
Si leur apparition ‘chez nous’, en conclusion d’une tendance toujours plus répressive inscrite à travers des décennies, a suscité bien des mouvements d’hostilité (radars sabotés, détruits, et même plastiqués), qu’imaginez-vous que cela produise ailleurs quand ils sont livrés ‘en kit’, dans un ‘pack’, directement plantés en bordure de tapis d’asphalte flambant neuf ?
N’y verriez-vous pas comme une forme de moquerie un rien méprisante ?...
Comment l’adolescent regarde-t-il son père qui, lui tendant les clefs de la Porsche, l’exhorte de ne pas dépasser le 80km/h ?
…
Pour intégrer le flux à haute vitesse de cette nationale, des voies d’accélération sont aménagées en embouchure des pistes de gravier qui proviennent de certains villages et dans lesquelles traces de pneus se mêlent aux marques de fer à cheval.
Au bout de celles-ci, des couvertures sont tirées : fillettes et vieillardes y attendent qu’un automobiliste vienne acheter un bocal de fraises ou de myrtilles.
Collision des mondes.
Collision des temps.
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