lundi 25 juin 2012

Départ de Druskininkai


Il a plu toute la nuit.

Au petit matin, le ciel est si lourd qu’il paraît peu probable que cela ne soit que passager. Nous optons pour ne pas attendre l’accalmie pour prendre le départ. Nous devrions encore refuser une n_ième invitation de Bernd et Heidi à prendre le café…

Le retraité alsacien est déjà debout. Nous voyant sur le départ, en train de chevaucher nos selles, il vient nous dire bonjour et au-revoir, nous demandant notre prochaine destination. Ce sera Vilnius, la capitale. ‘Bah, ce n’est qu’à 150/170 bornes, on y était hier. 2 heures de route, vous y serez vite !’

Ne préférant pas relever, nous lui faisons un signe de tête et appuyons sur nos pédales.

Ugnė est absente. Son frère l’a remplacée au pied levé. Nous lui demandons de lui faire part de toutes nos amitiés, puis nous franchissons la barrière.



En ce petit matin, nous retrouvons Druskininkai telle qu’elle était encore 2 jours auparavant : calme, déserte. Méconnaissable le week-end, surtout le premier week-end de vacances.

Nous ne croisons que de jeunes hommes affairés à poser une nouvelle bordure, un nouveau trottoir, dérouler une piste cyclable. Druskininkai, ville thermale, fait peau neuve.

Rares sont encore les baba-yagas à se promener en peignoir, épaules voutées et mains rivées sur leur petite trousse de toilette… une toute autre allure que celle qu’elles affichent à leur arrivée.

Si elle tend à se diversifier (et à venir de plus en plus d’Europe occidentale), la clientèle des thermes reste tout de même en grande partie russe ou biélorusse (et ce malgré la rebaptisation du principal bâtiment 4 étoiles du site, l’‘Europa Royale Druskininkai hotel’…).

En se promenant en fin de journée dans les rues piétonnes, aux abords de ces centres de cures, vous n’aurez guère de mal à repérer laquelle arrive tout juste et laquelle sort du bain. La première, chignon strict aux cheveux secs, fripée, bijoux volumineux et en nombre, maquillage très appuyé et le cou emmitouflé dans quelque fourrure ou foulard chic, a une démarche de petit poussin, aux petits pas rapides et appuyés dont le rythme presque automatique répond au roulement de la lourde valise qui roule derrière elle. La sueur coule abondamment sur son front. Elle semble avancer en semi apnée. L’autre est encore plus fripée, et pourtant, semble être animée de davantage de vie. Le visage ‘nu’, sans poudre ni bijoux, et les pieds par terre. Des chaussons ou souliers plats ont remplacé les talons. Le rythme des pas est bien moins rapide, quelques haltes sur un des nombreux bancs sont même entreprises. Cheveux encore humides relevés sur la tête, le regard s’est adouci, elle semble tantôt se promener dans l’immobilité de la présence, apprécier un parfum, une brise, tantôt, encore plus immobile, s’oublier en se promenant dans quelque souvenir… ses épaules respirent.

Accrochées aux réverbères, des vasques déversent quelques cascades florales. Des allées piétonnes en arcs de cercles, bordées de pétales et de couleurs, se croisent et se recroisent pour faire durer encore la promenade.

Les tilleuls en fleurs anesthésient enfin les sens.







Ces mêmes fleurs, en ce petit matin, se détachent en virevoltant pour aller s’entasser au creux d’une bordure de trottoir humide.

Avec la pluie, c’est finalement le vent qui se lève. Mauvais temps pour la route.

Le dos rond, les bras crispés, nous remontons sur quelques kilomètres la ligne blanche qui borde la nationale, puis prenons à droite : direction ‘le plus grand et le plus vert’ des parcs lituaniens, le parc national de Dzūkija. Une piste y est indiquée, qui le traverse de part en part, un itinéraire parfait pour distiller notre trop-plein de civilités, bavardages et autres babillages auxquels nous n’étions déjà plus habitués…


Tandis que nous nous laissons avaler par la toute petite route du parc, déserte, un véritable petit bonheur nous gagne. Les roues tournent, les jambes pédalent, la route s’ouvre devant nous et nous n’avons plus rien d’autre à faire qu’à respirer, apprécier la chaleur qui nous envahit petit à petit malgré la pluie… le feuillage se balance de chaque côté de nous dans un léger bruissement, et cette odeur de fraise, toujours aussi entêtante… sans un mot, nous passons sur mode automatique de pédalage, semi somnolants.

...


Le camping de Druskininkai est entouré de hautes barrières grillagées. A l’intérieur, les pelouses soignées pour accueillir tentes ou véhicules. De l’autre, la forêt, et ses pieds de fraisiers et de myrtilles que l’on voit, dodues, sans pouvoir les saisir. Il faudrait faire le tour du camping pour céder à ce petit plaisir… mais l’effort est trop important au regard du petit plaisir. Alors la plupart du temps, on se contente de les repérer, à travers le grillage…

Un foulard apparaît entre les troncs, parmi quelques herbes hautes. Il avance tout doucement, reste quelques instants par ici, quelques instants par là. Une femme cueille. Bientôt, une autre la rejoint. Il nous faut tendre l’oreille pour percevoir leur voix, mêlées de drôles de sonorités. Les mots sont rares. La cueillette est solitaire.

Surprenantes au premier jour, nous avons fini par nous habituer. Elles se suivent, au fil de la journée, et c’est une présence discrète, chuchotante. Agréable. Un chat qui ronronne…

Nous les observons parfois depuis l’intérieur, de l’autre côté de la barrière, étrange rideau qui nous sépare…

D’un côté, la lenteur solitaire et silencieuse. De l’autre, l’affairement en toute aise du ‘vacancier’ familier et tellement ‘chez soi’…

Au second jour de ‘vacances’, les cueilleuses ont disparu. Et le grillage du camping est devenu oppressant.


...



Carrefour.

En travers de la petite route qui se termine là, une large bande de goudron prédécoupée en son milieu d’une ligne en pointillés. Une vérification sur la carte le confirme : il y a bien un carrefour en T, et nous devrions retrouver la piste du parc. Aussi inattendu que cela puisse paraître, il faut nous rendre à l’évidence : celle-ci a été nouvellement goudronnée. Et largement.

La saignée sur laquelle nous nous engageons est un boulevard. Et le vent, contre nous, y est tout à son aise. L’heure n’est plus au ronronnement et aux divagations... il faut appuyer, et lutter. La promenade bucolique que nous nous étions imaginée change peu à peu de visage. Nous croisons de temps à autre quelques poids-lourds, quelques pneus sont laissés en bord de voie, ainsi que quelques tessons de bouteilles et autres détritus. Nous avions une toute autre idée du parc national.

La route est droite, plate, et s’allonge à l’infini entre deux bordures de sapins. Contre ce vent, c’est à mourir d’ennui ou de découragement… nos sens tout déployés sont alors rabattus, nous baissons le front et appuyons sur nos pédales. Nous voici passés en mode ‘absents et occupés’, bêtes moteurs à l’effort qui avalent les kilomètres, toujours en ligne obstinément droite.

Le vent de face rabote sans aucun égard l’espace sonore : pâte molle et insistante à nos oreilles, il siffle, il souffle, feule ou rugit, râle et gronde. Rares sont alors les sons extérieurs qui encore le pénètrent… le roulement idiot de la gomme de nos pneus, qui sur le bitume vuvuzèlent… la chaîne, docile et butée, qui à son rythme cadencé peine… quelques battements de carrioles à l’occasion de trop fortes aspérités de la voie… l’espace s’est sensiblement réduit, et, pourtant sans pare-brise, nous voici comme emprisonnés d’une bulle de son blanc. D’un blanc sale et délavé.


A l’occasion d’un soudain virage à 90°, une petite piste de terre sablonneuse s’échappe de la voie principale, continuant tout droit.

Notre guidon ne vacille pas. Secousses et ralentissement : nous arrivons à Marcinkonys, petite bourgade perdue au cœur du parc.
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Si vous souhaitez réagir, n'hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous ou à nous envoyer un message à l'adresse suivante: petits_carnets_dalsace@yahoo.fr