mardi 5 juin 2012

Identité

Du souvenir.

Et par cette part de souvenir, indéniablement une part d‘identité.

Une identité héritée.
A travers l’histoire, à travers le temps… à travers la succession de forces en actions.



S’il est toujours intéressant d’observer quelque statue élevée sur son piédestal, il est souvent encore plus formateur de faire un pas de côté pour embrasser le temps au-delà de la stricte actualité. Remonter les décennies, les siècles, parfois les millénaires, pour jauger de la pérennité de l’œuvre, et de son poids temporel.

Ainsi, sur le grand échiquier de l’Histoire, apparaissent par cet exercice les véritables figures influentes. Certaines pièces s’en vont et s’en viennent sans jamais disparaître, et valsent ainsi au gré des puissances en action, tandis que d’autres pions semblent jetés dans l’oubli dans un mouvement implacable, sitôt éclos…

De cette valse de figures ne semble demeurer au fil du temps que ce qui aura peu à peu su faire consensus à travers l’Histoire, et qui, prenant dès lors racine, s’inscrira par ce qu’il représente dans un mouvement de construction d’une identité historique, maintes fois rabotée et édulcorée par les vainqueurs jusqu’à ce que les angles n’en aient été totalement effacés…


Comme tout spectacle, cette valse des figures a ses coulisses.

Des coulisses où doublures, figurants et costumes, s’entassent et s’oublient à l’ombre des projecteurs… s’oublient à l’ombre du souvenir.

Grutas, sans conteste, est une de ces coulisses de l’Histoire.
De l’Histoire de l’Est, et du XXème siècle.




Retirés de ce drôle de parc, après lente décantation, nous voilà revenus dans notre bonne vieille année de 2011.

Ugnė nous accueille avec force thé et pâtisseries, tandis que les klaxons se font de plus en plus fréquents à la barrière du camping.

La période de vacances débute effectivement aujourd’hui.

Le malaise du parc a fini par se diluer, le tournis de la multitude par se dissoudre, et la pâte onctueuse du présent mêlé d’arômes et de soleil par nous envelopper à nouveau.

Le véritable travail de réflexion va ainsi pouvoir commencer.





‘To soviet underground Partisans’ (‘Советским партизанам подполЬщикам’ en russe) est une sculpture colossale qui trône sur la place principale du parc.

Pourquoi y trône-t-elle ? Est-ce par pur soucis pragmatique (le seul lieu où il était possible de l’entreposer), ou bien Malinauskas (le fondateur du parc) avait-il à cœur que tout visiteur, après avoir franchi les tourniquets de l’entrée, tombe nez à nez avec elle, pour une raison qui resterait à découvrir ?

La question mériterait sans doute une réponse, mais quoi qu’il en soit, effet escompté ou non, c’est bien elle qui cristallisa toute notre attention, et qui conduirait alors nos modestes recherches.

Recherches qui s’avéreraient fort instructives, et dont voici le fruit en condensé...




Déboulonnée en 91, cette sculpture avait été inaugurée seulement 8 années auparavant, en 83, à Vilnius (capitale de la Lituanie).

L’histoire à laquelle elle fait référence remonte toutefois à quarante ans plus tôt, il faut en effet revenir à la seconde guerre mondiale.


Les premiers résultats de recherche nous apprennent que ces ‘partisans’ étaient envoyés par Moscou pour alimenter les mouvements de résistance des pays de l’est alors occupés par les nazis.

S’ils sont à l’honneur en 83, il n’en est toutefois pas de même en 43.

L’occupation préalable de la Lituanie par l’armée rouge quelques années plus tôt et l’épuration du pays qui s’en est suivie est alors encore présente dans toutes les mémoires, et ce retour des forces de l’Est n’est guère bien accueillie…

… mais à peine commençons-nous, qu’il faut tirer sur le fil de l’Histoire, et revenir encore en arrière pour comprendre tout cela...

… il faudrait certainement commencer encore plus tôt… remonter environ 4 années de plus.

Et arriver au 23 août 39.




Le 23 août 39 est en effet une date clef du XXème siècle. Une date où deux puissances se sont penchées sur quelques cartes géographiques du monde pour y jeter leurs filets d’expansion.

Une photo célèbre commémore l’accord passé ce jour par ces deux puissances. Elle trône bien évidemment en évidence dans le capharnaüm de la bicoque bondée de Grutas.

En arrière-plan, un moustachu qui deviendrait célèbre : Staline.
Il est debout et se tient derrière, sur la gauche d’un bonhomme attablé, petite moustache et lunettes, en train d’écrire : Molotov, alors chef du gouvernement de l’URSS.

Oui, du même nom que les cocktails, mais c’est une autre histoire.

Derrière Molotov, sur sa droite, un homme semble veiller par-dessus son épaule à la bonne ratification du document.

Cet homme, c’est Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du IIIème Reich.

Et ce document, c’est le traité de non-agression entre l'Allemagne et l'URSS, également nommé (pour des raisons évidentes), Pacte Molotov-Ribbentrop (ou encore pacte germano-soviétique).

Si ce traité, comme on s’en doute, avait pour objectif un renoncement à toute action armée entre les deux partis, il contenait également quelques clauses restées longuement secrètes (leur existence ne serait reconnue par l’Union soviétique qu’en 89, soit tout de même cinquante années plus tard), qui définissaient tout simplement comment les deux partis comptaient se départager les territoires qui les séparaient alors, parmi lesquels la Pologne et les pays baltes, dont la Lituanie.







Sitôt dit, sitôt fait, les évènements de Westerplatte que nous avons déjà évoqués purent avoir lieu dès septembre 39, soit un peu plus d’une semaine après la ratification du pacte, et l’invasion de la Pologne se dérouler comme prévu en un tout petit mois, pour enfin pouvoir se partager le gâteau.

La Lituanie, qui selon le pacte évoqué plus haut devait tomber en zone d’influence allemande, fut finalement cédée à l’URSS pour des raisons stratégiques à l’occasion d’une petite révision du traité, et dès le mois d’octobre, les troupes de l’armée rouge stationnèrent sur tout le pays ‘pour le défendre de la menace nazie’, non sans avoir invité la Lituanie à ratifier un traité d’assistance mutuelle.

Bref, il ne nous reste plus qu’à préciser que dès l’été suivant, sous un quelconque prétexte de trahison, la Lituanie fut tout simplement occupée par l’armée en place puis annexée à l’URSS à l’issue d’élections truquées, pour en arriver à la période consécutive de dissolution de gouvernement, de répression, d’arrestations, d’emprisonnements, de déportations et d’exécutions que le pays aurait à endurer et qui expliquerait enfin que les partisans soviétiques ne seraient pas accueillis en triomphe un an plus tard...




Les plus attentifs se demanderont alors pourquoi envoyer des partisans soviétiques… en terre soviétique ??

… parce que l’Histoire se répète.


Tel Napoléon franchissant le Niémen malgré le Traité de Tilsit, le Führer ne tarda pas à lancer ses troupes vers la Russie (opération barbarossa), rompant alors ledit pacte.

Environ un an après l’annexion de la Lituanie par l’URSS et les persécutions qui s’ensuivirent (et plus anecdotiquement pour les français qui nous liraient, un an jour pour jour après la signature de l’armistice entre la France et le IIIème Reich), les troupes nazies furent dirigées vers l’Est et occupèrent rapidement les pays annexés par l’URSS (juin 41).

Dans les pays baltes, elles furent alors accueillies comme ‘libératrices’.

Sursaut nationaliste, vagues anticommunistes, les rancœurs purent alors s’exprimer, les règlements de compte s’en donner à cœur joie, encouragés par le nouvel occupant qui ne tarderait pas à détourner cette énergie sur l’ennemi juré du Reich.

Ainsi, les Einsatzgruppen suscitèrent des attaques spontanées de la population locale contre les juifs, réalimentant d’anciens relents antisémites. Des pogroms ne tardèrent pas à éclater dans les principales villes (comme à Kaunas alors capitale de Lituanie), et les massacres à se perpétrer (tels Poneriai, près de Vilnius)…

Des volontaires locaux intégrèrent bientôt les rangs des groupes d’intervention nazis en tant qu’auxiliaires ('Hiwis'), contribuant à l’extermination des juifs, ainsi qu’à la lutte contre… les partisans.


Ces partisans, que nous retrouvons enfin, investis par Moscou dès l’été 42, qualifiés de ‘saboteurs’ et de ‘terroristes’ par les nazis, et qui regroupent alors des prisonniers de l’armée rouge, des juifs persécutés, mais également quelques civils devenus hostiles aux atrocités perpétrées par ce ‘libérateur’…

Un nombre de civils cependant encore trop peu important pour que ces partisans n’aient pas à faire face à l’hostilité de la population locale.


Dès 44, au fur et à mesure que les nazis reculent sur le front russe, et que l’armée rouge s’apprête à reprendre les territoires de l’Est, les partisans deviennent toutefois de plus en plus actifs, opérant contre les armées allemandes (et donc les Hiwis), mais également contre les organisations indépendantistes baltes, et si nécessaire, contre les populations locales.


Environ quarante ans plus tard, au cœur de la capitale lituanienne, c’est en leur hommage que sera célébrée cette imposante sculpture qui, aujourd’hui tombée en désuétude, accueille le visiteur du parc Grutas et sert de décor au jeu de cache-cache des nouvelles générations, en bordure de tourniquets et balançoires multicolores...

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