Voici quelques jours déjà que nous restons dans le coin, alternant promenades le long du Niémen ou en forêt, discussions avec Ugnė, et considérations historiques.
Il pleut chaque matin, de 7:30 à 9:30, puis les nuages se dissipent pour laisser place à un soleil radieux, qui se voile à nouveau pour laisser un rideau de pluie extrêmement ponctuel balayer le paysage entre 14:30 et 15h, puis enfin, le beau temps revient.
Pas étonnant alors que les forêts soient à ce point peuplées de cueilleurs : ajoutée aux sols noirs et riches des sous-bois environnants, cette météo contribue à l’épanouissement d’un véritable paradis sylvestre qui sent décidément toujours autant la fraise… mais aussi agréable ce petit paradis soit-il, il va falloir penser bientôt à reprendre la route.
Une pensée qui devient même très vite une nécessité : la période de vacances vient en effet de commencer, et le camping, si calme et agréable, change rapidement de visage…
Si un tout petit mois s’est écoulé depuis notre départ de Berlin, et que cette dernière, au fil des kilomètres pédalés nous semblait loin, très loin même, la succession de camping-car provenant de cet autre côté de l’Europe nous rappelle rapidement (non sans nous crisper d’une manière étrange) que l’Allemagne n’est qu’à une journée à peine de route…
C’est ce que Bernd et Heidi, heureux retraités et nouveaux arrivants, nous confirmeraient dès le soir même, nous invitant à partager un Weinschorle sur une belle et grande table, dans des flutes à Champagne, tirés de leur énorme camping-car.
Ils viennent des environs de Cologne. A peu près 1500 bornes d’ici. 3 jours de route. Plutôt que de rouler d’une traite, ils ont préféré ‘prendre leur temps’ et profiter de ces 2 jours pour voir la Pologne. Il en ressort que la Pologne est sale et malodorante. Une chance qu’ils aient eu le berger allemand pour garder le camping-car !
Le lendemain matin, tandis que nous nous rendons aux douches, à peine réveillés, trousse de toilette à la main, nous déclinons poliment leur invitation à prendre le café…
… mais de retour à notre tente, nous tombons nez à nez avec un autre retraité en vadrouille en train d’observer de près notre embarcation. Le contournant pour rejoindre l’entrée de la tente et la remorque (située pourtant à 3 mètres l’une de l’autre), celui-ci ne semble pas dérangé le moins du monde de se trouver là.
Car, il faut le savoir, entre frères d’aventures, il y a une intimité qui va de soi.
Il a fait le tour de la terre, et bien des fois !! Les Philippines, la Colombie, l’Afrique et d’autres contrées encore… chaque nouveau départ est un nouveau rêve, une nouvelle excitation, une nouvelle aventure !! Et que de souvenirs….. ahhhh.
Peu enclin à débattre de la chose de si bonne heure, en particulier lorsque la discussion débute par ce qu’il faut bien appeler une intrusion, nous rangeons avec soin nos piles de vêtements tandis que cet exalté entame ses récits de voyage.
Et la Chine !! Ah bien sûr, la Chine !! Il faut passer les frontières la nuit ! Quels frissons… oui, c’est cela au fond, c’est le frisson après tout, n’est-ce pas ! C’est là toute la saveur du voyage vraiment… l’aventure et le frisson !! D’ailleurs, aux Philippines, …
Marie s’excuse, et s’éclipse : la voilà étrangement qui s’offre pour aller faire les courses sans même avoir à discuter le moins du monde… je la suis du regard, encore interdit par la spontanéité de l’esquive… me voilà seul, en tête à tête avec l’aventurier aux grands frissons.
‘Je sais ce que vous allez dire, ces pays-là, ils sont sûrs maintenant, mais c’est qu’on allait au fin fond des campagnes, où personne ne pouvait nous retrouver, au fin fond du trou du cul du monde ! C’est simple, on ne pouvait pas aller plus profond…’
Tandis que je graisse la chaîne, et vérifie un à un la tension des rayons, il parle, parle encore et toujours… et j’entends soudain ‘ahhhhhh, ma chérie !!’
Je me retourne : et effectivement, sa chérie l’a rejoint.
Présentations. Je n’ai d’autre choix correct que de me relever et saluer…
‘Et la nuit au poste de police en Colombie, tu te souviens ?! On a bien cru qu’on ne reviendrait pas…. On n’avait même pas nos visas !!’
La ‘chérie’ s’exclame et se souvient : ‘ouiiiii, mais qu’il faisait chauuuuuud !!’
Hé oui, on avait les sacs à dos, les grosses chaussures, la boue, les pluies, ouiiiii, c’est vrai ça ! Et puis on pouvait pas se laver tous les jours ! C’est qu’il faisait chaud là-bas !
Et elle de rebondir…
‘Oh, ouiiiiii, la sueuuuuuuuuuur’, et disant cela, c’est un drame racinien qui semble aussitôt s’interpréter.
‘La sueuuuuuuuuuuuuuur’… yeux mi-clos, légère cambrure et tête renversée… dos de la main sur le front… tout y est…
…
Pour mon plus grand malheur (et c’est une magie du couple), l’un et l’autre ravivent quelques souvenirs oubliés par leur moitié, et c’est un festival qui se joue devant moi. Continuant tous deux sans même plus prendre la peine de s’interrompre pour s’écouter, je regarde autour de moi si par hasard une chaise avait été prévue pour accueillir le public…
Tandis que leurs mots se mêlent, toujours plus denses et plus incohérents, ne veillant même plus à ne pas se contredire, je reste là, à les observer, et finis enfin par les ‘voir’, et aussitôt, une référence cinématographique peu glorieuse, me vient à l‘esprit : ‘John Wilder !’…
… oui, c’est exactement ça…
J’ai devant moi le mythique couple de la poursuite du diamant vert, ce film symptomatique des années quatre-vingt… si on leur rajoute les vingt-cinq / trente ans qui se sont écoulés depuis la sortie du film (et en y ajoutant encore une petite dizaine), cela doit coller…
Lui, chemise éclatante, cheveux longs brossés soigneusement, barbe taillée de près, et regard fier et complaisant, elle, chevelure brune (c’est une couleur) aérienne, mascara, cils étirés, est vêtue d’une robe ultralégère qui ne laisse que très peu deviner de ses chaires surexposées... je pense même de manière fugace à la mère de Sam Lawry… comment s’appelait ce film déjà….
‘Et Rio !!’
Oui, je remets le film… et je souris, dubitatif, tandis que le couple entame une samba très déhanchée…
… Pa pa paaaa pa pa padap, pa pa paaaa pa pa padap…
‘Mais que venez-vous alors faire ici, en Lituanie ??’…
Cette question, c’est moi qui l’ai posée.
J’ai profité lâchement d’un tout petit creux d’inattention non portée à eux-mêmes et à l’allégresse de la samba pour la lâcher… en plein dans le mille.
La samba s’est aussitôt interrompue, le Brésil fut éjecté à l’autre bout de la terre et les voilà bredouillants…
‘La Lituanie, c’est comme ça, bon, il y avait les enfants, des fois il faut bien rentrer en France, vous comprenez…’
Non, pas du tout…
‘Vous savez, on est libres, libres comme l’air, mais bon, les enfants ne le comprennent pas, ils disent qu’on devrait aller voir nos petits-enfants plus souvent… ils sont chiants n’est-ce pas ?’
Mais je ne vois toujours pas le rapport avec la Lituanie…
…
Et, petit miracle, la chérie a rappelé qu’il était temps d’aller faire quelques courses.
Lorsqu’un peu plus tard dans la matinée, un alsacien pure souche et pur accent s’est à son tour penché sur notre embarcation, prétextant ‘avoir vu un drapeau français’, nous comprenons notre imprudence : fanions allemands, français et européens sont aussitôt remisés en fond de carriole, et nous décidons que le départ ne pourrait plus tarder : ce serait pour le lendemain matin.
Nos adieux à Ugnė (qui à présent peine à même trouver le temps de se faire chauffer un peu d’eau…) sont chaleureux, nous échangeons nos adresses et coordonnées comme toujours, devinant comme à chaque fois qu’elles resteront probablement malgré nos intentions au fond d’un carnet ou d’un tiroir…
… mais qui sait…
Un dernier ‘atia !’ (‘salut’ se dit un peu comme ‘merci’ en lituanien, pas très éloigné de notre ‘atchoum’…), puis nous regagnons notre toile pour la nuit.
Demain matin, nous continuerons notre route, encore plus loin vers l’est..
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