mercredi 20 juin 2012

Qui fait les courses ?


Aventuriers, extraterrestres, héros, surhommes… quel que soit le dénominatif que les personnes rencontrées nous donnent, il n’en reste pas moins que la réalité est bien plus prosaïque qu’ils n’ont à coeur de s’imaginer… car tout aussi extraterrestre que nous puissions être, tout aussi ‘exciting’ le voyage en itinérance peut-il être, il n’en reste pas moins qu’il nous faut aussi, presque jour après jour, nous rendre… dans les rayons de magasins.

Il y a aussi une part de quotidien dans le voyage, et bon nombre de ces personnes qui ‘idéalisent’ l’aventure itinérante ressentiraient très certainement comme un petit désenchantement de devoir faire face à ce besoin tout aussi trivial : ‘hé oui, où que l’on soit, il faut toujours se sustenter’…


Les petites tractations au sein du couple n’ont pas forcément droit de grève en voyage, et on veille (très humainement) à ce que l’équilibre des consentements soit également préservé… surtout après quelques heures de pédalages :-).

C’est aussi une de ces composantes essentielles qui contribuent à la cohésion de l’équipage, souvent malaimée, et surtout, sous-estimée…


‘Les courses’…


Ah, voilà un beau sujet sociologique !

Un beau sujet de dissertation qui commence souvent par cette question toute bête ‘qu’est-ce qu’on mange ce soir ?’ et qui doit crisper quelques instants des millions de foyers jour après jour !… c’est d’ailleurs une des (ou sinon ‘la’) questions qui nous sont le plus souvent posées en cours de voyage par nos proches : ‘et que mangez-vous ?’… on le voit bien, au-delà de la cohésion de l’équipage, il y va de celle de tout un tissu social !

Que mangez-vous, la belle question.

Nous avions déjà parlé de l’écoute du corps.
L’écoute de douleurs, articulaires ou musculaires, de tensions, d’état de forme.

Là encore, pour savoir ce que l’on mange ce soir, il suffit de s’écouter. Ce sont nos corps qui demandent et qui choisissent le menu, et qui donc dictent ladite liste de courses (répéter dix fois sans fourcher cette fin de phrase…).

Quand on a réellement faim, on sait de quoi.

Selon l’effort, mais également (de manière très influente) selon la météo, la liste de course sera différente du tout au tout. Froid et pluvieux donneront plus de laitages et de viandes. Soleil sec davantage de fruits juteux et d’agrumes. Un très long effort biscuits hyper glucidiques… et hyper lipidiques.

Les sportifs connaissent très bien le phénomène : à la moindre fringale, on tuerait presque tantôt pour une canette de coca, tantôt pour un kilo de prunes, ou encore pour un paquet de chips ou une livre de fromages…

A partir de là, on ne sait jamais vraiment de quoi nous aurons faim.

Il y a bien sûr les invariables (les apports glucidiques de chaque soir, la plupart du temps, des plats déshydratés), mais il faut composer presque chaque jour pour répondre à l’appétit du moment. Car il ne s’agit bien sûr surtout pas de jeûner (ou d’ignorer l’imminence d’une carence) : c’est tout de même le carburant de notre embarcation !

Toute la question porte alors sur le mode d’organisation de l’approvisionnement : comment gérer ce besoin de flexibilité ? Faut-il ‘avoir de tout’ pour prévenir à tout besoin (avec une remorque et des jambes à ‘capacité limitée’) ? Ou jouer la carte du flux tendu, voyager léger, et faire les courses pour chaque repas ?


C’est la question que chaque voyageur itinérant se pose inévitablement… la réponse est alors simple : ‘c’est selon’…


C’est selon l’état de forme du voyageur, c’est selon la qualité des denrées du pays parcouru, c’est selon la densité de points de ravitaillements… et bien sûr, selon le mode de transport !

Là où le marcheur peut avoir à porter sa semaine de rations en s’aventurant profondément en montagne, le cycliste a quant à lui bien davantage de possibilités en couvrant une distance bien supérieure, la plupart du temps sur un réseau davantage domestiqué.


Pour notre part, nous favorisons la légèreté : courses quasiment chaque jour, et ravitaillement en eau également une à 2 fois par jour selon les possibilités, en veillant à ne jamais avoir à garantir plus de 3 ou 4 jours d’autonomie.

Pastèques et autres fruits gorgés d’eau sont avalés sur place (après passage de caisse tout de même…), et nous nous organisons selon la chaleur quelques orgies de melons, pastèques, fraises, cerises, pêches, prunes etc. selon les saisons et les lieux, autant de fruits qui, transportés, s’avèrent lourds, et souvent par fortes chaleurs et dans des conditions peu adéquates, de conservation très discutables...


Après, il faut bien sûr composer avec les habitudes culinaires du pays… le poisson séché pourra par exemple remplacer la charcuterie en Islande, il vous faudra apprendre à prendre goût au hareng en Pologne, et bien sûr, vous exposer à bon nombre de ‘découvertes culinaires’, pour le meilleur et parfois pour le pire…

Cependant, et c’est particulièrement valable lorsqu’on voyage en vélo, il y aura toujours sur votre chemin un bourg ou une ville où vous trouverez de quoi remplir votre panier selon vos envies : dans quelque grande surface que ce soit, aux rayons plus ou moins standards, vous trouverez.

Voici d’ailleurs par exemple ci-dessous quelques photos prises dans les rayons d’une petite surface de Druskininkai (16 000 hbts): comme vous le verrez, il est loin le temps des rayons vides et des queues aux tickets de rationnement.

Au-delà de la simple action de ‘faire ses courses’, c’est aussi en parcourant ces rayons que l’expression ‘intégration européenne’ peut prendre pour le voyageur un certain sens…








A notre grande surprise, bon nombre de produits sont directement importés de France.
Les emballages sont la plupart du temps d’origine, sans traduction. Des petites étiquettes imprimées dans la langue locale sont parfois rajoutées par les employés de rayon.



D’autres produits sont importés du reste de l’Europe, bon nombre d’Allemagne, d’autres de Pays-Bas, de Grèce.
Les emballages sont alors inhabituels, tels ceux utilisés pour le lait, les yaourts, les jus de fruits (des poches sont préférées aux briques que nous connaissons, voir ci-dessous)…






Attention spéciale portée à ces étranges barres, que nous avons bien sûr ‘testé pour vous’ : enrobés de chocolat, leur texture est très surprenante : il s’agit de produit laitiers, très semblables aux petits suisses aux fruits, à la fois crémeux, un peu solides, mais mousseux fourrés dans un couche de chocolat croquant… une expérience en bouche inattendue et ‘inoubliable’ !....



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Avant de clore ce post, un mot tout de même sur le lien entre les ‘magasins’ visités et l’expérience du voyage… car là aussi, on aurait tort de réduire la simple action de faire ses courses à un temps perdu et stérile.


Imaginez-vous, dans un pays étranger, et dont la langue vous est absolument inconnue, devoir, au comptoir d’une minuscule boutique de campagne, énumérer à l’épicier qui se tient derrière le comptoir et devant ses étagères de denrées, la liste entière de vos besoins… l’exercice vous renvoie illico à votre condition première : une totale impuissance en dehors du langage.

La plupart du temps, vous vous en remettrez à de bien piètres mimes, sous les regards tantôt amusés, tantôt agacés d’autres clients… avant de demander (si on ne vous l’a pas déjà proposé) la permission de passer derrière le comptoir pour vous servir vous-mêmes.

La première fromagère, le premier apprenti charcutier vous dévisage d’un air interdit, ne pipant de vous pas un traître mot, et répétant obstinément, encore et encore la même question que vous reconnaissez, certes, mais qui vous reste toujours aussi obscure : votre impuissance devient la leur, et, comme à chaque fois qu’un être est confronté à sa propre impuissance, le fond de chacun s’exprimera en clair : certains s’emporteront et se laisseront aller à l’agacement, voire à quelques mouvements d’humeur, avant de vous laisser en plan ou laisser passer d’autres clients échauffés, d’autres, à une ingéniosité bienveillante, trouvant toujours des solutions, comme celle évoquée plus haut.

Vous savez déjà, lorsque vous franchissez la porte de telles petites boutiques, qu’il vous faudra faire preuve d’humilité, de patience, et, à défaut de langage, être armé de vos plus beaux sourires, fussent-ils même niais… une expérience humaine ! :-)

Et puis il y a les ‘petites et grandes surfaces’, où il vous est possible de vous servir vous-même, en passant en caisse après. La seule emprise du langage se limite alors à la compréhension du montant : regard rivé sur l’écran de caisse pour fuir le moment d’incompréhension. Tout se passe sans un mot : le produit est pris du rayon, posé dans votre sac, déposé sur le tablier de la caisse, enregistré, le tiroir-caisse s’ouvre tandis que le rouleau papier s’imprime dans quelques craquements saccadés, des chiffres apparaissent, vous tendez un billet, la monnaie vous est rendue : vous voilà libres.

Et le tout sans un mot, sur mode automatique.

Une expérience qui à la fois soulage (vous n’avez pas eu à jouer le mime marceau avec un sourire niais pour acheter des piles), mais qui également frustre bien sûr : n’est-il pas quelque part déroutant d’être à ce point transparent pour l’autre ?...

De la boutique de campagne aux petites et grandes surfaces de bourgs ou autres villes, ce sont aussi ces différences de rapports humains qui s’expriment.


Et, jour après jour, c'est mine de rien bien davantage que ce que l'on pourrait penser qui se joue alors, lorsqu'inévitablement, se pose la question si familière :

'Qui fait les courses ?' !

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