vendredi 24 février 2012

L'écho de la forêt



Mais pourquoi diable chuchote-t-on ?

Comment sommes-nous passés du ‘Hé, t’aurais pas la clef de la remorque’ lancé de bonne voix à dix mètres l’un de l’autre à un ‘psssst’ discret que l’on n’ose que parfois ?...

Dans cette forêt, de totem en totem, un étrange silence s’est peu à peu imposé.

D’abord autour de nous… et puis en nous.


Chaque figure captive notre attention. Nous pourrions la contempler des heures… une activité étrangement reposante.

Regarder le microscopique, la veine du bois, le travail de grignotage de petits insectes, et regarder un poli, ou un coup de couteau laissé apparent.

Regarder l’ensemble bien sûr, voir de quelle manière la forme a été intégrée dans la forme d’origine, quelle imagination a pu donner corps à cet ensemble… imaginer le créateur rêveur, et le voir, certainement immobile, comme nous le sommes devant le travail accompli, devant la pièce brute, la projetant par l’imagination vers telle ou telle forme, et traçant déjà mentalement des contours, des volumes, sentant déjà peut-être dans le poignet le travail à accomplir…

Le projet, la création qui précède l’accomplissement.
L’instant fertile de la projection. Intime et vibrant.




Si le silence s’est imposé peu à peu à nous, et si nous nous sommes également éloignés l’un de l’autre machinalement, c’est que ces figures nous parlent. Et il faut alors se taire pour mieux écouter... et de préférence, être un peu seul.

Les totems ne parlent d’ailleurs qu’en tête à tête.


Et pour qui sait les écouter, ils savent se montrer très bavards… et confidents.




Il y a de la fragilité en eux.

Leur créateur, lui-même mortel, n’a pas su les extraire totalement du temps.
Ils se craquèlent, se vrillent, se courbent parfois, et, au gré des saisons, traversant avec constance les pluies et les éclaircis, se recouvrent peu à peu de mousse et de patine…

Quelques humains, à leur rencontre, les caressent ou les entaillent, les contemplent ou se moquent, les écoutent ou passent leur chemin…

… à travers les blessures du temps, semble émaner une sagesse supérieure.





Après avoir contemplé presqu’impudiquement ces formes sous toutes leur coutures, apprécié sous la main les volumes et les rugosités, il nous faut pour les entendre faire quelques pas en arrière, et les contempler de toute leur hauteur.

Et se laisser imprégner…

La plupart de ces sculptures représentent des visages.

Des figures de bois.

Elles sont tantôt torturées, tantôt en paix.
Tantôt déchirées, tantôt rayonnantes.
Grimaçantes ou rieuses, subtiles ou niaises…
Moqueuses ou compatissantes, mesquines ou innocentes…

Perverses ou interdites.


Étranges miroirs de l’âme…


De l’une à l’autre, c’est tout un panel de sentiments, d’émotions que nous visitons.
Oui, c’est exactement cela : à travers ces figures qui se succèdent, nous dirions une authentique invitation à déguster des émotions...

Par échantillons, par fond de tubes à essai, par de toutes petites bulles évanescentes, qui, sans nous submerger, trouvent un écho au fond de nous et révèlent les multiples facettes qui nous habitent…


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En bordure de cette forêt peuplée se trouve ‘la maison de l'écho de la forêt’. C’est un petit musée, collection un peu fourre-tout de mille objets, champignons taillés et gibier empaillé, sculptures de bois et napperons crochetés, photographies de faune et aquarelles de flore…

L’homme qui a fait naître par deux fois ce bâtiment (un incendie a ainsi permis de tester sa pugnacité) est un petit vieillard, un peu voûté, qui se tient en retrait tout en vous épiant d’un œil rieur. Discret et terriblement présent, il semble en permanence guetter le moment où, désarmés par les nombreux petits charmes dispersés partout dans son ‘chez lui’, vous le laisseriez entrer en discussion avec vous.

Et devant ce qu’il faut bien appeler ‘un œil’, que l’on sent au travers de ces petites figures qui nous encerclent, cernés de malice et d’espièglerie, nous ne pouvons nous empêcher de ressentir une certaine muflerie de lui gâcher ce plaisir : nous finissons bien sûr, comme il s’y attendait, à lui adresser un regard amusé, et lui faire un signe de tête respectueux.

Tout ce qu’il attendait pour s’approcher de vous.

L’homme ne parle pas un mot de langue étrangère, mais ne se laisse pas décourager. Toujours de son œil espiègle, il nous invite à le suivre, et à nous asseoir sur un petit banc de bois adossé au tronc autour duquel a été construite cette ‘maison/cabane’.

Au moment où nous nous asseyons, le tabouret s’affaisse tandis qu’un vacarme de tous les diables éclate derrière nous. Le tronc s’est ouvert, et une petite troupe de bandits de bois se tient à l’intérieur, prêts à nous kidnapper…

L’effet est réussi : le vieillard est aux anges, et nous l’y rejoignons.


Se passant bien de mots, il nous fait visiter sa collection de petits trésors, radieux et pétillant. Là une petite armée de champignons, là une colonie de lutins, ici quelques démons innocents, et par-dessus quelques fées bouffies…


Multipliant le nombre et les formes, nous nous laissons peu à peu gagner par un léger tournis dans lequel se mêleraient toutes ces petites créatures, se fondant alors en une pâte épaisse et souple.

Et nous comprenons alors ce qui nous a désarmés de manière aussi efficace : c’est la matière.

La matière invariable qui compose tous ces petits trésors.
Au-delà de la paille ou du bois, du papier ou de l’argile, il y a cet invariant qui nous désarme : un subtile mélange d’humour et de férocité, dosée juste comme il faut, ajouté par zests à un fond vivace d’émerveillement et de candeur.

Un émerveillement pour la nature, et pour l’imagination.

Ajoutez-y du temps et du travail, et de cette matière, vous aurez toutes les chances de construire un véritable artéfact aux propriétés magiques : il désarme le visiteur et sublime ce qu’il a au fond de lui d’humour, de férocité, d’émerveillement... et de candeur.

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