mardi 7 février 2012

La Lituanie sent le Malabar...

Il vous est sûrement déjà arrivé d’être surpris par inadvertance par une odeur, un parfum, qui, au moment où il vous est tombé dessus, vous a replongé aussitôt et avec une intensité saisissante au plein cœur d’un souvenir oublié…

C’est un parfum de grand-mère qui vous rappelle cette façon qu’elle avait de chanter en vous dorlotant lorsque vous étiez tout petit… une eau de Cologne toujours abondante, qu’elle a aimée jusqu’au bout.

C’est une odeur de lessive qui ‘sent chez tante Betty’, même si Betty – vous l’apprendriez plus tard – n’a jamais été votre tante, et vous vous souvenez de batailles à travers les draps un jour d’été, sous des remontrances empreintes de gaité de cette même ‘tante Betty’.

C’est encore l’encaustique envoûtant, qui rime aussitôt avec quelques vers de Rimbaud, poème appris à l’école, où, certains matins, vous étiez accueilli par quelques volutes alcooliques de l’encre violette tout juste séchée... reviennent alors des arômes d’amande de ces petits pots de colle, et l’odeur de gomme, et de crayons de couleur, et de tout ce petit monde éloigné et pourtant soudainement si vif, jusqu’à l’odeur si caractéristique de la cantine et de ses batailles clandestines de petits pois…

A croire que ce vrai paradis de l’enfance (puisque perdu…) s’est toujours baigné au royaume évanescent des odeurs (et bien sûr des madeleines…)…





C’est à n'en point douter pour cette raison précise que les premiers kilomètres que nous parcourons en Lituanie sont avalés dans un certain état de torpeur... une étrange absence, une traversée semi-somnambule où nos sens auraient été absorbés… comme avalés, aspirés précisément par une bulle... une belle grosse bulle bien ronde et dodue de Malabar.

Ces premiers kilomètres lituaniens sentent en effet – et d’une manière si subite et tenace que cela vous investit d’un seul coup – la fraise.

Et pas n’importe quelle fraise : cette fraise, petite et goûteuse, et qui tache le bout des doigts... la fraise des bois.



Bien sûr, avant de dire ‘fraise des bois’, il a fallu fermer un peu les yeux, respirer encore et encore, tourner autour du pot longtemps avant de mettre le doigt dessus, et penser ‘mâcher’, ‘gomme’, pour arriver à ‘malabar’… 

Malabar que l’on coupait en deux, après l’avoir déballé… Malabar enveloppé d'un papier gras et bruyant... oui... il y avait ces vignettes, que l'on dépliait… et parfois même, on pouvait tomber sur des tatouages que l'on s'étalait sur les épaules en mouillant d'un peu de bave juste un peu de peau… oui.... cela revient... il y avait d'ailleurs cette fille...


...

... et puis, toujours voûtée, une silhouette est apparue entre les troncs de pin et les paupières semi closes, et cela a fini par faire ‘tilt’ : non, ce n’est pas le malabar… c’est bien sûr la fraise des bois !

Et la bulle, à ce moment précis du ‘tilt’, disparaît et vous laisse nez à nez avec votre présent...

La réponse à l’énigme, il faut bien le dire, a parfois des allures de rabat joie…


Cette fille, comme aspirée d'un seul coup par un implacable vortex, est aussitôt rejetée dans ce lointain passé, passé de nouveau refermé et aussitôt flouté... comme si elle n'avait jamais dû en ressortir, et devait à tout jamais rester dans cet autre temps...

... après tout, on ne mêle pas les temps. C'est tout.



...




A cet instant précis du 'tilt', ce présent se résume malheureusement aux soubresauts de la piste, et se traduit par l’étrange sensation de sentir les joues se tendre et se détendre frénétiquement de l'intérieur… mais également  par un engourdissement soudain au niveau des reins… des épaules aussi… et quant aux fessiers… nous dirions tout un groupe de syndicalistes réunis un premier jour de mai…

C’est d’accord, c’est le moment de la pause.



Pourtant, dès le premier hectomètre, la Communauté Européenne nous informait par un  imposant panneau du financement de la remise en état de la route 2524 ('Kelio nr 2524', nous supposons que c’est celle-ci…) et même de la pause d’un revêtement d’asphalte sur environ 10km…



Si le passage de la frontière sur cette 2524 n’avait pas eu le clinquant qu’aurait bien sûr une nationale (avec drapeaux, barrière, képis, tampons et tout ce folklore qui fait battre un peu plus fort le cœur…), il y avait tout de même comme une question d’honneur à ce que les premiers kilomètres en Lituanie soient parcourus confortablement.

C’est une certaine forme de savoir-vivre, de savoir-recevoir, dont la mise en œuvre – fût-elle symbolique – a dû revêtir une importance suffisamment primordiale pour qu’un projet de financement soit monté, défendu, et même accepté par la Commission.

Mais après 3 petits kilomètres de lisse, une piste en tout point semblable à celle que nous avions laissée du côté polonais a fini par revenir, rafistolée par endroits par un peu plus de gravier trop blanc et trop peu tassé.


La kelio nr 2524 reste toutefois très peu fréquentée. A tel point que nous surprenions un homme au beau milieu de sa sieste : allongé sur le côté, un sac rebondi sous la tête, ce dernier – probablement au milieu d’une promenade – s’était tout simplement allongé sur le bord de la piste, à quelques pas seulement, dans une herbe grasse et rayonnante de soleil.
A ses côtés, qui transpirait, un plein bocal de myrtilles.

Un peu plus loin, un charriot de foin, tracté par des chevaux, peinait à gravir la côte.
Nous ne roulions guère plus lentement que lui, si bien que, dans le plus dur de la pente, nous grignotions un peu de terrain, et même, peu à peu, quelques brins de foin…





Le paysage n’a guère changé depuis la frontière.
Il alterne forêts de pins (aux senteurs de malabar) et prairies grasses où nous retrouvons, éparses, ces habitations de planches.

Les groseilles sont mures, nous voyons leurs veines en filigrane, et leur chair éclatante. Jolies petites haies qui bordent les maisons et au-dessus desquelles, la plupart du temps, une femme est courbée.

A croire que la Lituanie est un peuple constamment courbé…

...



Sur le relief aux rondeurs envoûtantes, l’orge ondule gentiment, mêlés de coquelicots, de bleuets et de pétales de camomille…


....



Tout ici est lenteur.

...


La pause, à l'ombre d'un bosquet de pins, s’étire en longueurs...

Une colonne de fourmis a eu la bonne idée de passer par là...

... la pause devient aussitôt pause-spectacle... puis pause pique-nique…

.. puis de pause pique-nique, nous glissons de nouveau vers la pause spectacle, sous le bruissement des aiguilles de pins aux volutes entêtantes...

... la brise balaye parfois les effluves de sève, pour y mêler quelques vagues d'arômes si denses que l'on jurerait mâcher en respirant...

... sentir ces petits grains caractéristiques sous la dent...

... ou rouler de la langue une gomme imaginaire pour la gonfler en une énorme bulle...

... une bulle qui éclate, tantôt en 'poc' sourd, tantôt en 'tac' sec...


... un 'tac' sec qui collerait aux lèvres...


... et des rires...


... des rires qui reviennent d'un horizon si lointain...
... des rires clairs... et quelques remontrances...

... il faut souffler, mais pas trop fort... presser les lèvres, pincer les joues...

... essaye encore...

...

... elle avait des boucles blondes...

... et des dents un peu trop écartées...

... elle riait sans cesse... d'une de ces gaietés spontanées, intactes, et mêlée d'une douce indulgence...

... et malgré les tatouages, de ses rires naissait au fond de moi cette bulle que j'étais incapable de faire naître sur mes lèvres... 

...

... alors elle riait, et riait, et recommençait, encore et encore...... souveraine, elle prenait alors un air grave, se tenant droite tout en me regardant... alors, de ses lèvres tendues, naissait une petite forme ronde et rose, qui, prudemment, grossissait sans poc, ni tac... elle gonflait, de plus en plus translucide, en se rétractant très légèrement le temps d'une inspiration...

 ...


... elle grandissait, encore et encore, puis s'élevait, presque transparente, par-dessus nous, en continuant de grandir, par petites vagues, jusqu'à englober le ciel, le monde et les étoiles, que nous contemplions alors, le nez tourné tout là-haut...


... planté au ciel comme à cet instant... et nous la voyons toujours au-dessus de nous...


... bulle généreuse et ronde, qui croît et décroît encore et toujours au gré des vents... 


... et qui respire comme une bête endormie... 




o

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Si vous souhaitez réagir, n'hésitez pas à laisser un commentaire ci-dessous ou à nous envoyer un message à l'adresse suivante: petits_carnets_dalsace@yahoo.fr