mardi 28 février 2012

Atelier à malice



Au rez de chaussée, ce drôle de personnage est même allé plus loin dans son brin de folie. Apparemment non prévu à la visite, il nous y emmène tout de même après avoir cherché la clef.
Il s’agit d’un atelier.

Ouvert à tous, de 7 à 77 ans, et même au-delà, chacun est libre de venir y créer quelque chose.

Une collection de masques de bois y est exposée. Nous comprenons qu’il s’agit de diverses sculptures réalisées par des gens du coin, chacune de ces personnes posant aux côté de leur masque sur une petite photo accolée.

Des créations d’enfant, d’adultes et de vieillards.

Et chez tous, au-delà des âges, une expression semblable.
La même que celle qui se lit en cet instant sur le visage de notre ‘guide’.



Et nous jurerions y voir comme un quelque chose de bonheur……


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vendredi 24 février 2012

L'écho de la forêt



Mais pourquoi diable chuchote-t-on ?

Comment sommes-nous passés du ‘Hé, t’aurais pas la clef de la remorque’ lancé de bonne voix à dix mètres l’un de l’autre à un ‘psssst’ discret que l’on n’ose que parfois ?...

Dans cette forêt, de totem en totem, un étrange silence s’est peu à peu imposé.

D’abord autour de nous… et puis en nous.


Chaque figure captive notre attention. Nous pourrions la contempler des heures… une activité étrangement reposante.

Regarder le microscopique, la veine du bois, le travail de grignotage de petits insectes, et regarder un poli, ou un coup de couteau laissé apparent.

Regarder l’ensemble bien sûr, voir de quelle manière la forme a été intégrée dans la forme d’origine, quelle imagination a pu donner corps à cet ensemble… imaginer le créateur rêveur, et le voir, certainement immobile, comme nous le sommes devant le travail accompli, devant la pièce brute, la projetant par l’imagination vers telle ou telle forme, et traçant déjà mentalement des contours, des volumes, sentant déjà peut-être dans le poignet le travail à accomplir…

Le projet, la création qui précède l’accomplissement.
L’instant fertile de la projection. Intime et vibrant.




Si le silence s’est imposé peu à peu à nous, et si nous nous sommes également éloignés l’un de l’autre machinalement, c’est que ces figures nous parlent. Et il faut alors se taire pour mieux écouter... et de préférence, être un peu seul.

Les totems ne parlent d’ailleurs qu’en tête à tête.


Et pour qui sait les écouter, ils savent se montrer très bavards… et confidents.




Il y a de la fragilité en eux.

Leur créateur, lui-même mortel, n’a pas su les extraire totalement du temps.
Ils se craquèlent, se vrillent, se courbent parfois, et, au gré des saisons, traversant avec constance les pluies et les éclaircis, se recouvrent peu à peu de mousse et de patine…

Quelques humains, à leur rencontre, les caressent ou les entaillent, les contemplent ou se moquent, les écoutent ou passent leur chemin…

… à travers les blessures du temps, semble émaner une sagesse supérieure.





Après avoir contemplé presqu’impudiquement ces formes sous toutes leur coutures, apprécié sous la main les volumes et les rugosités, il nous faut pour les entendre faire quelques pas en arrière, et les contempler de toute leur hauteur.

Et se laisser imprégner…

La plupart de ces sculptures représentent des visages.

Des figures de bois.

Elles sont tantôt torturées, tantôt en paix.
Tantôt déchirées, tantôt rayonnantes.
Grimaçantes ou rieuses, subtiles ou niaises…
Moqueuses ou compatissantes, mesquines ou innocentes…

Perverses ou interdites.


Étranges miroirs de l’âme…


De l’une à l’autre, c’est tout un panel de sentiments, d’émotions que nous visitons.
Oui, c’est exactement cela : à travers ces figures qui se succèdent, nous dirions une authentique invitation à déguster des émotions...

Par échantillons, par fond de tubes à essai, par de toutes petites bulles évanescentes, qui, sans nous submerger, trouvent un écho au fond de nous et révèlent les multiples facettes qui nous habitent…


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En bordure de cette forêt peuplée se trouve ‘la maison de l'écho de la forêt’. C’est un petit musée, collection un peu fourre-tout de mille objets, champignons taillés et gibier empaillé, sculptures de bois et napperons crochetés, photographies de faune et aquarelles de flore…

L’homme qui a fait naître par deux fois ce bâtiment (un incendie a ainsi permis de tester sa pugnacité) est un petit vieillard, un peu voûté, qui se tient en retrait tout en vous épiant d’un œil rieur. Discret et terriblement présent, il semble en permanence guetter le moment où, désarmés par les nombreux petits charmes dispersés partout dans son ‘chez lui’, vous le laisseriez entrer en discussion avec vous.

Et devant ce qu’il faut bien appeler ‘un œil’, que l’on sent au travers de ces petites figures qui nous encerclent, cernés de malice et d’espièglerie, nous ne pouvons nous empêcher de ressentir une certaine muflerie de lui gâcher ce plaisir : nous finissons bien sûr, comme il s’y attendait, à lui adresser un regard amusé, et lui faire un signe de tête respectueux.

Tout ce qu’il attendait pour s’approcher de vous.

L’homme ne parle pas un mot de langue étrangère, mais ne se laisse pas décourager. Toujours de son œil espiègle, il nous invite à le suivre, et à nous asseoir sur un petit banc de bois adossé au tronc autour duquel a été construite cette ‘maison/cabane’.

Au moment où nous nous asseyons, le tabouret s’affaisse tandis qu’un vacarme de tous les diables éclate derrière nous. Le tronc s’est ouvert, et une petite troupe de bandits de bois se tient à l’intérieur, prêts à nous kidnapper…

L’effet est réussi : le vieillard est aux anges, et nous l’y rejoignons.


Se passant bien de mots, il nous fait visiter sa collection de petits trésors, radieux et pétillant. Là une petite armée de champignons, là une colonie de lutins, ici quelques démons innocents, et par-dessus quelques fées bouffies…


Multipliant le nombre et les formes, nous nous laissons peu à peu gagner par un léger tournis dans lequel se mêleraient toutes ces petites créatures, se fondant alors en une pâte épaisse et souple.

Et nous comprenons alors ce qui nous a désarmés de manière aussi efficace : c’est la matière.

La matière invariable qui compose tous ces petits trésors.
Au-delà de la paille ou du bois, du papier ou de l’argile, il y a cet invariant qui nous désarme : un subtile mélange d’humour et de férocité, dosée juste comme il faut, ajouté par zests à un fond vivace d’émerveillement et de candeur.

Un émerveillement pour la nature, et pour l’imagination.

Ajoutez-y du temps et du travail, et de cette matière, vous aurez toutes les chances de construire un véritable artéfact aux propriétés magiques : il désarme le visiteur et sublime ce qu’il a au fond de lui d’humour, de férocité, d’émerveillement... et de candeur.

vendredi 17 février 2012

Le bonheur selon Ugnė

 
En voyant les trombes d’eau, la grêle et la chair de poule de ces drôles de visiteurs, Ugnė a mis de l’eau à chauffer. Sa grand-mère, comme d’habitude, lui avait préparé trop de biscuits… cela tombe bien.


Ugnė a dix-huit ans. Elle a déjà vu un peu de monde, s’évade en voyage, par l’esprit ou lors de congés d’été. Pour travailler. Les vacances oisives, elle ne connaît pas.

Cet été, elle accueille les vacanciers dans le camping rutilant de Druskininkai. La saison est sur le point de débuter : une nouvelle occasion pour elle de pratiquer ses langues étrangères. Le russe qu’elle a appris dès sa petite enfance. L’anglais, comme langue obligatoire dès le collège. L’allemand, par choix. Et puis, chose rarissime dans ce pays : le français. Car il est chantant.

Elle a passé ainsi trois étés successifs en France, dès ses quatorze ans. Et elle en garde un souvenir magique…


Aussi lorsque, trempés jusqu’à l’os, nous franchissons le palier de son bureau, une réconfortante odeur de thé nous accueille. Et le sourire chaleureux de Ugnė.

Ugnė signifie ‚Feu‘ en lituanien.
Un prénom qui en cet instant nous semble bien trouvé.

Et lorsqu’en plus nous lui apprenons que nous venons de France, c’est un petit brasier qui scintille…



De France ! Un pays formidable !... Mais que venez-vous faire ici ?!
-       Hé bien, découvrir la Lituanie pardi !
-       Mais il n’y a rien à voir en Lituanie… c’est un tout petit pays, vous savez.
-       Petit, mais charmant… du moins, de ce que nous avons pu en voir jusqu’ici. Vous avez une jolie nature, on sent les gens plutôt relax… c’est un sentiment très agréable…
-       Oui, c’est vrai, on a une jolie nature… mais les gens ne sont pas si agréables que vous le pensez…
-       …’

(Ugnė nous verse le thé)

‘… un proverbe lituanien dit que ‘si tu vois un homme heureux, c’est que la maison de son voisin brûle’. Et c’est une bonne définition des gens ici.’




Est-ce le thé ? Le doux accueil d’Ugnė ?

Ou encore cette invitation à discuter de ce qu’est un ‘homme heureux’ qui nous rend la douche soudainement si secondaire ?...

Le temps d’enfiler un T-shirt sec, et (chose inimaginable quelques minutes auparavant), nous voici disposés à faire durer cette tasse de thé, et disserter un brin…




Les gens sont-ils si durs que cela entre eux ?
-       … ça dépend… ma grand-mère dit que ça n’a pas toujours été comme ça. Que la vie était dure avant, mais qu’elle l’était pour tout le monde… et on savait qu’elle était dure. Maintenant, on dit que la vie est meilleure, et c’est vrai qu’on a la TV, des émissions radio, et plein de magasins. Mais c’est étrange… les gens restent très mécontents. Ils sont toujours mécontents d’ailleurs. Et ils sont toujours très froids les uns avec les autres.
-       Et de quoi cela vient-il ??
-       Ma grand-mère dit que c’est à cause de l’Europe… moi je dis que c’est à cause de notre gouvernement. Tous les jeunes disent cela d’ailleurs. Et ils partent tous.
-       Tous ?
-       Non, pas tous… mais au moins la moitié.
-       En Angleterre, sûrement ?
-       Oui. Principalement.
-       Et vous, vous pensez partir ?
-       Bien sûr !
-       Et c’est prévu quand ?
-       Je veux terminer mes études. Je n’ai plus qu’une année à faire. Et puis j’irai aussi étudier à l’étranger, et puis je verrai où j’irai…
-       Vous iriez ailleurs qu’en Angleterre ?
-       Oui… j’imaginerais bien aller en France…
-       En France ? C’est la première fois que nous entendons cela…
-       Pourquoi ? Les gens sont heureux en France !
-       … ça c’est intéressant…’


Ugnė s'est assise, et a relevé le nez de sa tasse…


'Qu’est ce qui est intéressant ?
-       Hé bien… si nous traversons les pays ainsi sur notre vélo, c’est en quelque sorte pour côtoyer les gens en direct, et voir dans quelle mesure ils sont heureux… précisément parce que nous trouvons que les gens en France sont un peu perdus avec leur bonheur. Si arrivés ici, nous entendons que la France est un modèle de bonheur, alors là, c’est assez intéressant !
-       Je suis allée 3 fois en France, et il y a une vraie différence ! Tout le monde sourit, parle et discute comme ça… on sent que tout le monde est heureux ! Les gens sont bien plus réservés ici. Il n’y a pas ce contact chaleureux…
-       Et pourtant, vous nous accueillez comme des princes ! Thé, gâteau…
-       Oui… mais parce que vous venez de France ! Je sais que c’est facile de parler…
-       Mais avant que nous ne franchissions la porte, vous ne le saviez pas…
-       Oui, mais j’ai vu comme vous étiez trempés… et puis si, j’ai aussi vu votre drapeau !
-       Alors, c’est le drapeau ou c’est le fait d’être trempés qui nous vaut ce plaisir ?
-       … vous avez de drôles de questions !
-       Oui… vous n'êtes pas la première à nous le dire !… et où êtes-vous allée en France, alors ?
-       A St Tropez.
-       … le doux sourire de St Tropez…
-       Pourquoi ?
-       Non, rien, comme ça… le nom St Tropez est très connu en France… c’était en vacances ?
-       Non, pour travailler ! Je travaille dans un café à chaque fois que j’y vais. C’est à chaque fois un vrai plaisir ! Je trouve les gens décontracts, souriants, gentils… heureux quoi !
-       Alors si on est gentil, c’est qu’on est heureux ?
-       … pas forcément, j’imagine… enfin, ça dépend.
-       Mais à votre avis, qu’est ce qui rend les gens heureux alors ? Qu’est-ce que nous aurions en France que vous n’auriez pas ici ?
-       La liberté !
-       … la liberté ?
-       Oui, la liberté… les gens sont vraiment libres en France.
-       Comment ça, ‘libres’ ? Qu’est-ce que vous entendez par ‘libres’ ?
-       Je sais pas moi… déjà ils parlent de tout. Ils sont ouverts… innovants. Oui, c’est ça : ils sont libres parce qu’ils sont libres de faire ce qu’ils veulent. Ils peuvent vivre comme ils en ont envie, sans devoir respecter les traditions.
-       Comme ?
-       Mon frère par exemple… mon père est policier. Mon grand-père était policier. Ils travaillent pour l’état, c’est une sécurité. Mais si mon frère dit qu’il veut faire autre chose, c’est très mal vu… quand on veut changer quelque chose, c’est toujours très difficile. D’ailleurs, c’est presque impossible… on préfère partir que de rester ici. Les gens sont tous insatisfaits, et ils finissent vieux et aigris. C’est triste, mais je préfère partir que de finir vieille et aigrie'.


Baissant le regard comme si elle en avait trop dit, Ugnė plonge le nez dans les vapeurs de sa tasse…


 
'Vous disiez que votre grand-mère critiquait l’Europe, et que les jeunes critiquent le gouvernement ?
-       Oui… on entendait nos parents dire que les choses changeaient, que quand eux étaient jeunes, rien n’était possible, c’était le communisme ! On ne pouvait rien changer. Alors quand le pays est devenu indépendant, et puis après quand l’Europe est arrivée, tout le monde a pensé que les choses changeraient... mais à chaque fois, c'est pareil : le gouvernement reste toujours corrompu. Il y a toujours des scandales. Personne n’a confiance… et quand personne n’a confiance, on ne peut rien changer.
-       Mais votre grand-mère, qu’a-t-elle vraiment contre l’Europe ?
-       Elle dit que nous ne sommes pas européens. Que nous ne pouvons pas être européens, et que nous ne serons jamais européens.
-       A vous écouter, on a l’impression qu’elle se trompe déjà !
-       Non…
-       Si vous voyagez, si vous avez vu la France, si vous voulez aller en Angleterre, vous ne vous sentez pas un peu européenne ?
-       Non… on ne sera jamais comme vous.
-       …'


Les mains plaquées sur sa tasse, tête légèrement baissée, elle semble réfléchir, consultant le fond de sa boisson en se demandant si elle se jèterait à l'eau ou non...


 
'C’est un rêve que j’ai… mais on le voit : c’est impossible. La vie n’arrête pas d’augmenter ici… tout a été multiplié par cinq depuis quelques années. Et les salaires restent très bas. En moyenne, les gens gagnent 800 ou 1000LT (250/300€). Je ne dis pas que l’argent fait le bonheur, ça non… mais pour être libre, et heureux, je pense qu’il en faut un minimum… quand on a tout payé ici, il ne reste plus rien… et les gens sont aussi frustrés de ne pas pouvoir s’offrir toutes les nouvelles choses qui arrivent… ils avaient des économies avant, et étaient en quelque sorte riches, mais on ne pouvait rien acheter, et ils manquaient de choses simples… maintenant, il y a beaucoup à acheter, mais on ne gagne pas en conséquence… on voit la vie des européens, mais cela reste un autre monde... alors quand on voit ca, il ne leur reste plus pour être heureux que de se construire une liberté ou de se réjouir du malheur des autres, en particulier de ceux qui arrivent à s'offrir ces choses. Au fond, pour nous, c'est partir… ou devenir aigri.
-       … c’est étrange… très honnêtement, de l’extérieur, nous n’avions pas cette impression... nous avons déjà traversé des endroits où on ‘sentait’ que nous n’étions pas les bienvenus… mais ici, nous ne l’avons pas ressenti… c’est vrai aussi que nous n’avons pas beaucoup vu du pays…
-       Vous venez d’où ?
-       De Sejny… nous avons coupé à travers les campagnes.
-       Il y a une grande différence entre les campagnes et les villes. Les gens en campagne ont continué à vivre comme avant, coupés du monde et de ses promesses. Ils ont des jardins, quelques animaux, et ils cueillent beaucoup. Les gens sont très proches de la nature, et autonomes… c’est une forme de liberté.
-       C’est un peu ce que nous avons pu voir, en effet… presque tous les gens que nous avons vus sont occupés à cueillir quelque chose ou à travailler… nous avons aussi vu quelques personnes tailler des totems… une forme de liberté aussi ?
-       Oui, vous en verrez beaucoup dans la région. Il y a une forêt pas très loin d’ici où vous pouvez vous balader. Vous en trouverez de ci de là… c’est parce que la région ici est restée assez traditionnelle. Les totems étaient mal vus par le passé. C’est un peu une religion... c'est peut-être effectivement une forme de liberté... mais tout ceci est aussi très lié à la nature…
-       Et il y en a dans tout le pays ?
-       Non, je ne crois pas… c’est vraiment lié à la région. C’est une région calme, où les gens sont vraiment restés proches de la nature, et où on vient se reposer, parfois même depuis les autres pays, de Russie, mais aussi de Biélorussie, et de Pologne. Druskininkai est une ville très célèbre, et depuis très longtemps.


 
Un peu de volubilité lui est revenue. Comme si sa région, au fond, lui donnait tout de même un quelque chose de fierté...


 
'Et il y a vraiment des différences entre tous ces pays ? Autrement dit, vous êtes dans une zone où 3 frontières se côtoient, est-ce que vous sentez vraiment les frontières ?
-       Avec la Biélorussie, oui ! Ce sont des gens très fiers, très durs… avec la Pologne, moins… on va d’ailleurs faire nos courses là-bas, parce que c’est moins cher qu’ici.
-       Nous posions la question, parce qu’effectivement, on avait l’impression qu’il y avait beaucoup de lituaniens bien avant la frontière en Pologne… et à Sejny, il y a déjà quelques totems. Peut-être l’avez-vous déjà vu, il y en a un grand à peu près au niveau de la pancarte du village. Qui raconte un conte : le conte du roi serpent… vous connaissez ?
-       Tout le monde connait ce conte ! Au moins pour l'avoir entendu une fois, petit... c'est un conte très très vieux qui se transmet depuis très longtemps.
-       Hé bien, voilà une belle tradition !
-       Oui, c’est vrai… les lituaniens ont d'ailleurs beaucoup de contes. On se les raconte quand on est en famille. Ils finissent souvent mal, mais ils appartiennent à l’histoire du pays. Et on chante souvent ensemble aussi…
-       Ce sont de belles choses, non ?
-       Oui… mais c’est vrai que bizarrement, quand je pense contes et chants, je pense tout de suite à ma grand-mère… ce sont des choses qui restent vivantes dans nos campagnes, mais qui se perdent aussi. Le pays change beaucoup… vous devriez aller en ville. Vous verrez.’


 
Un camping-car allemand a donné du klaxon devant la barrière. Ugnė se lève, d'un air désolé… la conversation se termine là pour l’instant.

...


Pendant tout ce temps, sans que nous ne nous en rendions compte, l’été est revenu au-dessus de nos têtes. Nous sommes surpris de trouver dans nos mains des tasses froides et vides depuis longtemps.

Notre chair de poule a disparu, mais cela ne nous empêche pas d'apprécier les rayons du soleil, dorés à point, qui s'apprêtent peu à peu à vêtir leurs parures éclatantes.

Il est temps d’installer la tente pour la nuit… demain, avant d'aller vers la ville, nous irons nous promener en forêt voir un peu ces divinités paganistes : voir comment on cultive 'une forme de liberté'...


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lundi 13 février 2012

Druskininkai, ville thermale...

Un nuage opaque nous réveille soudain.

Enfin… le nuage opaque et crayeux est plutôt la première chose que nous croyons percevoir : la vue prédomine en effet sur tout sens, écartant du coude sans ménage aucun l’ouïe encore toute ébaudie. Car c’est bien son vacarme plus que la queue de comète qu’il laisse derrière lui qui nous a arrachés du sommeil.

‘Son, ‘il’, ‘lui’, autant de pronoms pour désigner ce poids lourd, derrière lequel est remorqué tout un attelage de grumes aux contours aspirés.

Tandis que nous regardons l’incongru rapetisser vers l'ouest, les images de la charrette de foin et du dormeur aux myrtilles nous reviennent en tête.

Voici une bien drôle d’apparition sur cette chaotique kelio 2524…


Il faut quelques minutes pour que le crissement de quelques sauterelles repeuple l’espace. Et quelques autres encore pour recouvrer tous nos esprits et reprendre la route (enfin… la piste).


Le temps tourne à l’orage, et quelques taons ne tardent pas à nous tourner autour. Avantage du tandem pour leur donner la chasse sur un revêtement instable…

Un cabot croisé un peu plus loin nous accompagne sur quelques hectomètres, dépensant certainement plus d’énergie en décibels qu’en watts pour se déplacer.

Comme le feraient quelques pistards lors d’épreuves de vitesse, nous jouons avec lui, tantôt ralentissant à l’extrême pour l’intimider, tantôt accélérant vivement pour le distancer.

Ce sera finalement le passage à proximité d’une nouvelle habitation qui lui fera lâcher prise, retournant sagement dans les jambes d’une femme affairée à ratisser l’herbe fraîchement coupée.

Et puis, inévitablement, la kelio 2425 a fini par croiser le bitume.


A quelques pas de ce carrefour, un petit parc abrite de nouveaux totems fraîchement vernis, disposés autour d’une marre à grenouilles.



Il commence à pleuvoir.

D’un crachin fin et pénétrant, qui, à la surface de l’eau, frémit en un bruissement à peine perceptible et continu.

Il est temps de mettre les bouchées doubles et de rejoindre Druskininkai.



A quelques kilomètres de là, un panneau européen indique l’installation d’une piste cyclable. Un réflexe : nous chassons aussitôt nos roues sur le côté pour l’emprunter.

Cette piste est longue de cent cinquante mètres à peine et se termine de manière assez peu habituelle…





Au loin, quelques rideaux de pluie obscurcissent l’horizon… le contre la montre s’engage. Il n’y a guère plus d’une heure d’effort devant nous… certainement moins en gérant bien.

Un nouveau panneau européen indique l’installation d’une station de ski. Pour ces collines de cent bons mètres de hauteur, voilà un bien étrange projet… un drôle de bâtiment de béton visible un peu plus loin en forêt de sapin semble indiquer qu’il s’agira d’une piste couverte.

Des ouvriers à casques jaunes s’activent également face à l’orage grandissant. Au-dessus de leurs têtes, les cimes souples et sombres s’agitent en des mouvements de plus en plus amples.

Les lignes blanches du bord de route défilent sous nos pieds, tandis que nous nous concentrons sur notre effort… l’air s’est peu à peu considérablement rafraîchit et nous sentons parfois de soudaines vagues de fraîcheur qui disparaissent tout aussi subitement. 18°C, 16°C, 14°C… si le gros de l’orage semble par chance nous contourner, l’air devient frisquet, tandis que la clarté du jour s’atténue sensiblement.

Des voitures aux phares jaunes nous croisent en nous klaxonnant.

Nous les considérons d’un œil distrait, abruti et concentré sur l’effort et les lignes blanches qui se suivent toujours.

Une pancarte indique une ville thermale à 7km.

Ainsi Druskininkai est-elle thermale…


Nous traversons quelques amorces d'averse… de grosses gouttes serrées qui disparaissent aussi soudainement qu’elles nous sont tombées dessus…

Longue ligne droite au cœur d’une forêt de sapins de plus en plus sombre, puis, après une légère ligne courbe, l’espace s’ouvre d’un coup : quelques baraquements de brique claire peuplent les abords de la route, un pont… et les eaux du Niémen.

… ce Niémen, antique frontière de l’empire napoléonien, que nous franchissons sans guère plus de révérence, sous des grondements annonciateurs qui ne laissent guère de doute sur la suite très proche des évènements…

… de fait, quelques dizaines de secondes plus tard, au moment où nous apercevons la pancarte de cette ville thermale, quelqu’un a tourné le robinet pour de bon…

Devinette n°9 : totem à reconnaître

Ce totem vous évoque certainement quelque chose, non ?......

Réponse devinette n°8 : trous spatiotemporels résolus (mais Achille ne rattrape pas la tortue...)

Commençons comme indiqué par calculer le temps qui sépare les deux points (même si cela ne veut strictement rien dire...) :

45112,2 - 41512 = 3600,2s,

Quelle est donc, à 18km/h, la distance parcourue pendant cette durée ?

Produit en croix : (18000x3600,2)/(60x60)= 18 001m.

Δd = 18 001 - 1 = 18 000m

-> Le tandem se serait donc allongé instantanément de 18km, CQFD. Ne reste plus qu'à savoir dans quelle direction.

(Les plus pragmatiques considéreront sûrement l'heure de décalage horaire lituanienne et regarderont avec grande suspicion l'état mental des auteurs, et nous ne pourrons pas les en blâmer...)

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Toutefois, pour ceux qui seraient intéressés par de vrais paradoxes de vitesse et de course, voici une énigme célèbre qui nous vient de l'antiquité grecque, connue sous le nom de 'Paradoxe d'Achille et de la tortue', toute aussi tordue...





Dans le paradoxe d'Achille et de la tortue, il est dit qu'un jour, le héros grec Achille a disputé une course à pied avec le lent reptile. Comme Achille était réputé être un coureur très rapide, il avait accordé gracieusement à la tortue une avance de cent mètres. Zénon affirme alors que le rapide Achille n'a jamais pu rattraper la tortue.

Démonstration :

« En effet, supposons pour simplifier le raisonnement que chaque concurrent court à vitesse constante, l'un très rapidement, et l'autre très lentement ; au bout d'un certain temps, Achille aura comblé ses cent mètres de retard et atteint le point de départ de la tortue ; mais pendant ce temps, la tortue aura parcouru une certaine distance, certes beaucoup plus courte, mais non nulle, disons un mètre. Cela demandera alors à Achille un temps supplémentaire pour parcourir cette distance, pendant lequel la tortue avancera encore plus loin ; et puis une autre durée avant d'atteindre ce troisième point, alors que la tortue aura encore progressé. Ainsi, toutes les fois où Achille atteint l'endroit où la tortue se trouvait, elle se retrouve encore plus loin. Par conséquent, le rapide Achille n'a jamais pu et ne pourra jamais rattraper la tortue ».

CQFD... (et pour ceux qui seraient insatisfaits par la démonstration, il est toujours possible de se rendre sur la page suivante !)

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mardi 7 février 2012

La Lituanie sent le Malabar...

Il vous est sûrement déjà arrivé d’être surpris par inadvertance par une odeur, un parfum, qui, au moment où il vous est tombé dessus, vous a replongé aussitôt et avec une intensité saisissante au plein cœur d’un souvenir oublié…

C’est un parfum de grand-mère qui vous rappelle cette façon qu’elle avait de chanter en vous dorlotant lorsque vous étiez tout petit… une eau de Cologne toujours abondante, qu’elle a aimée jusqu’au bout.

C’est une odeur de lessive qui ‘sent chez tante Betty’, même si Betty – vous l’apprendriez plus tard – n’a jamais été votre tante, et vous vous souvenez de batailles à travers les draps un jour d’été, sous des remontrances empreintes de gaité de cette même ‘tante Betty’.

C’est encore l’encaustique envoûtant, qui rime aussitôt avec quelques vers de Rimbaud, poème appris à l’école, où, certains matins, vous étiez accueilli par quelques volutes alcooliques de l’encre violette tout juste séchée... reviennent alors des arômes d’amande de ces petits pots de colle, et l’odeur de gomme, et de crayons de couleur, et de tout ce petit monde éloigné et pourtant soudainement si vif, jusqu’à l’odeur si caractéristique de la cantine et de ses batailles clandestines de petits pois…

A croire que ce vrai paradis de l’enfance (puisque perdu…) s’est toujours baigné au royaume évanescent des odeurs (et bien sûr des madeleines…)…





C’est à n'en point douter pour cette raison précise que les premiers kilomètres que nous parcourons en Lituanie sont avalés dans un certain état de torpeur... une étrange absence, une traversée semi-somnambule où nos sens auraient été absorbés… comme avalés, aspirés précisément par une bulle... une belle grosse bulle bien ronde et dodue de Malabar.

Ces premiers kilomètres lituaniens sentent en effet – et d’une manière si subite et tenace que cela vous investit d’un seul coup – la fraise.

Et pas n’importe quelle fraise : cette fraise, petite et goûteuse, et qui tache le bout des doigts... la fraise des bois.



Bien sûr, avant de dire ‘fraise des bois’, il a fallu fermer un peu les yeux, respirer encore et encore, tourner autour du pot longtemps avant de mettre le doigt dessus, et penser ‘mâcher’, ‘gomme’, pour arriver à ‘malabar’… 

Malabar que l’on coupait en deux, après l’avoir déballé… Malabar enveloppé d'un papier gras et bruyant... oui... il y avait ces vignettes, que l'on dépliait… et parfois même, on pouvait tomber sur des tatouages que l'on s'étalait sur les épaules en mouillant d'un peu de bave juste un peu de peau… oui.... cela revient... il y avait d'ailleurs cette fille...


...

... et puis, toujours voûtée, une silhouette est apparue entre les troncs de pin et les paupières semi closes, et cela a fini par faire ‘tilt’ : non, ce n’est pas le malabar… c’est bien sûr la fraise des bois !

Et la bulle, à ce moment précis du ‘tilt’, disparaît et vous laisse nez à nez avec votre présent...

La réponse à l’énigme, il faut bien le dire, a parfois des allures de rabat joie…


Cette fille, comme aspirée d'un seul coup par un implacable vortex, est aussitôt rejetée dans ce lointain passé, passé de nouveau refermé et aussitôt flouté... comme si elle n'avait jamais dû en ressortir, et devait à tout jamais rester dans cet autre temps...

... après tout, on ne mêle pas les temps. C'est tout.



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A cet instant précis du 'tilt', ce présent se résume malheureusement aux soubresauts de la piste, et se traduit par l’étrange sensation de sentir les joues se tendre et se détendre frénétiquement de l'intérieur… mais également  par un engourdissement soudain au niveau des reins… des épaules aussi… et quant aux fessiers… nous dirions tout un groupe de syndicalistes réunis un premier jour de mai…

C’est d’accord, c’est le moment de la pause.



Pourtant, dès le premier hectomètre, la Communauté Européenne nous informait par un  imposant panneau du financement de la remise en état de la route 2524 ('Kelio nr 2524', nous supposons que c’est celle-ci…) et même de la pause d’un revêtement d’asphalte sur environ 10km…



Si le passage de la frontière sur cette 2524 n’avait pas eu le clinquant qu’aurait bien sûr une nationale (avec drapeaux, barrière, képis, tampons et tout ce folklore qui fait battre un peu plus fort le cœur…), il y avait tout de même comme une question d’honneur à ce que les premiers kilomètres en Lituanie soient parcourus confortablement.

C’est une certaine forme de savoir-vivre, de savoir-recevoir, dont la mise en œuvre – fût-elle symbolique – a dû revêtir une importance suffisamment primordiale pour qu’un projet de financement soit monté, défendu, et même accepté par la Commission.

Mais après 3 petits kilomètres de lisse, une piste en tout point semblable à celle que nous avions laissée du côté polonais a fini par revenir, rafistolée par endroits par un peu plus de gravier trop blanc et trop peu tassé.


La kelio nr 2524 reste toutefois très peu fréquentée. A tel point que nous surprenions un homme au beau milieu de sa sieste : allongé sur le côté, un sac rebondi sous la tête, ce dernier – probablement au milieu d’une promenade – s’était tout simplement allongé sur le bord de la piste, à quelques pas seulement, dans une herbe grasse et rayonnante de soleil.
A ses côtés, qui transpirait, un plein bocal de myrtilles.

Un peu plus loin, un charriot de foin, tracté par des chevaux, peinait à gravir la côte.
Nous ne roulions guère plus lentement que lui, si bien que, dans le plus dur de la pente, nous grignotions un peu de terrain, et même, peu à peu, quelques brins de foin…





Le paysage n’a guère changé depuis la frontière.
Il alterne forêts de pins (aux senteurs de malabar) et prairies grasses où nous retrouvons, éparses, ces habitations de planches.

Les groseilles sont mures, nous voyons leurs veines en filigrane, et leur chair éclatante. Jolies petites haies qui bordent les maisons et au-dessus desquelles, la plupart du temps, une femme est courbée.

A croire que la Lituanie est un peuple constamment courbé…

...



Sur le relief aux rondeurs envoûtantes, l’orge ondule gentiment, mêlés de coquelicots, de bleuets et de pétales de camomille…


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Tout ici est lenteur.

...


La pause, à l'ombre d'un bosquet de pins, s’étire en longueurs...

Une colonne de fourmis a eu la bonne idée de passer par là...

... la pause devient aussitôt pause-spectacle... puis pause pique-nique…

.. puis de pause pique-nique, nous glissons de nouveau vers la pause spectacle, sous le bruissement des aiguilles de pins aux volutes entêtantes...

... la brise balaye parfois les effluves de sève, pour y mêler quelques vagues d'arômes si denses que l'on jurerait mâcher en respirant...

... sentir ces petits grains caractéristiques sous la dent...

... ou rouler de la langue une gomme imaginaire pour la gonfler en une énorme bulle...

... une bulle qui éclate, tantôt en 'poc' sourd, tantôt en 'tac' sec...


... un 'tac' sec qui collerait aux lèvres...


... et des rires...


... des rires qui reviennent d'un horizon si lointain...
... des rires clairs... et quelques remontrances...

... il faut souffler, mais pas trop fort... presser les lèvres, pincer les joues...

... essaye encore...

...

... elle avait des boucles blondes...

... et des dents un peu trop écartées...

... elle riait sans cesse... d'une de ces gaietés spontanées, intactes, et mêlée d'une douce indulgence...

... et malgré les tatouages, de ses rires naissait au fond de moi cette bulle que j'étais incapable de faire naître sur mes lèvres... 

...

... alors elle riait, et riait, et recommençait, encore et encore...... souveraine, elle prenait alors un air grave, se tenant droite tout en me regardant... alors, de ses lèvres tendues, naissait une petite forme ronde et rose, qui, prudemment, grossissait sans poc, ni tac... elle gonflait, de plus en plus translucide, en se rétractant très légèrement le temps d'une inspiration...

 ...


... elle grandissait, encore et encore, puis s'élevait, presque transparente, par-dessus nous, en continuant de grandir, par petites vagues, jusqu'à englober le ciel, le monde et les étoiles, que nous contemplions alors, le nez tourné tout là-haut...


... planté au ciel comme à cet instant... et nous la voyons toujours au-dessus de nous...


... bulle généreuse et ronde, qui croît et décroît encore et toujours au gré des vents... 


... et qui respire comme une bête endormie... 




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lundi 6 février 2012

Projets européens


Quelques dizaines de mètres tout juste après avoir franchi la 'frontière' (là où il y a environ vingt ans, nous aurions été en URSS) sur cette très modeste piste, un panneau immanquable accueille le nouvel arrivant.

En voici ci-dessous une brève traduction.

Cet éclairage devrait orienter notre regard tout au long de la traversée de ces trois pays baltes tout nouvellement intégrés à l'Union Européenne.



'Développement des infrastructures routières de la zone frontalière polono-lituanienne 

Réparation et pose de revêtement d'asphalte sur la route 2524

Ce projet est partiellement financé par l'Union européenne et la République de Lituanie et fait partie intégrante de l'initiative communautaire INTERREG IIIA et du programme TACIS de la Communauté Européenne.

Il est mis en œuvre par la Lituanie, la Pologne et la région de Kaliningrad'. 

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INTERREG III (2000-2006)

'L'initiative communautaire INTERREG III (2000-2006) vise à renforcer la cohésion économique et sociale au sein de l'Union européenne (UE). La coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale favorise l'intégration et le développement équilibré et harmonieux du territoire européen.'

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'Le programme TACIS vise à favoriser la transition vers une économie de marché et renforcer la démocratie et l'État de droit dans les États partenaires d'Europe orientale et d'Asie centrale.'