samedi 9 mars 2013

Paldies...

'Wouhaouuuuuuuu !! You can feel the air !'

Une main sur le guidon, l'autre sur son bob, Edite en redemande : nous faisons un tour de piste de plus, arqués sur les pédales du tandem.

Elle n'avait jamais fait de tandem, et elle ne laisserait sûrement pas passer cette occasion sans se lancer. Et l'après-midi du dernier jour, elle s'est lancée.

Relevant le bas de sa robe de lin, de mi mollet jusqu'au genou pour enfourcher le siège arrière, bob vissé sur la tête et lunettes plaquée sur le nez, elle cramponne le guidon fixe après avoir enfilé ses sandales bien au fond des cales-pieds : la voici prête, telle une aviatrice parée pour le grand saut...


'You have legs.... you can walk.... but you can also ride !'


Edite rit de tout cœur...


Nous nous penchons dangereusement dans les virages, elle pousse des cris de jeune fille, revenus en ligne droite, je sens à travers le pédalier avec quelle ardeur elle appuie sur les pédales..... vraiment, une véritables pile nucléaire !!

Nous pourrions pédaler jusque la lune si un chemin de pierres y menait....




Dans quelques heures, il nous faudra pourtant repartir..... une dernière soirée, puis au lever du jour, notre route reprendra..... au dessus de nous flotte comme un sentiment d'urgence... l'urgence de profiter les uns des autres... l'urgence de partager ce que nous souhaiterions partager encore..... l'urgence de cultiver encore un peu de bonheur commun.....



Dès qu'Erik eut terminé son tour en tandem en solitaire, Edite enfourche son vélo et visse son bob bien à fond sur sa tête: nous n'allons pas en rester là...... en route pour l'aventure !



Erik descend du tandem et nous le rend avec un sourire de réconciliation, et a tout juste le temps de retrouver son vélo avant qu'Edite ne disparaisse derrière les taillis du stade.

Nous quittons la piste, repassons le portail de l'entrée, prenons à gauche et nous nous engageons sur un chemin de terre jonché de glands encore verts... le chemin est particulièrement tape-cul...

Edite souque ferme, regard rivé vers un invisible horizon. Nous prenons encore à gauche...


'Où allons-nous ?'


Surprise...

Seul Erik semble avoir été mis au secret... et à lire l'expression de son visage, il semble adhérer entièrement à l'idée....

Le voilà d'ailleurs qui pédale plus vite...


Erik et Edite pédalent l'un à côté de l'autre, semblant ouvrir la voie à leurs invités... la légèreté du moment est bien palpable : il nous semble que pour la première fois, Erik et Edite forment un véritable couple... leur âge semble s'être évanoui... nous enfilons les chemins les uns après les autres... la journée est radieuse, le bois est humide et exulte de senteurs épicées... une légère chaleur, tandis que nos jambes tournent et nos cœurs sautillent...

Le chemin s'arrête au dessus d'un talus... hésitations.... Edite sort de sa poche quelques bonbons et fait la distribution..... à bas le diabète.... c'est un jour de fête...

Elle sourit et s'engage dans la descente. Nous entendons son biclou se plaindre dans des lamentations métalliques peu rassurantes, mais elle finit par arriver en bas.... Erik hésite, puis se lance à son tour..... puis nous les rejoignons.

'Nous y sommes presque' nous lance Edite en repartant aussitôt.....


Nous remontons un petit vallon, niché au creux de la forêt... l'herbe est haute et grasse, mille pétales écarlates y ondulent gentiment...


'C'est ici que nous nous sommes rencontrés.......'




Le chemin prend à droite et s'engage sur un talus qui forme comme une digue... à notre gauche, un lac, aux eaux entrelacées de joncs et de roseaux, et mêlé de petits îlots de végétation...


'Nous étions jeunes... Erik était bel homme.... et il m'a séduite...'



'Bienvenue au lac des roses blanches.....'


Nous posons nos montures en bord du lac, les laissant tomber à même le sol. L'herbe est si épaisse qu'ils restent suspendus à mi chute...

Des hérons et des grues blanches sont perchés sur quelques branches, immobiles... seules quelques gigantesques libellules vrombissent à nos oreilles lorsqu'elles passent en rase motte près de nous.

Erik et Edite, main dans la main, marchent côte à côte, en écrasant dans de grandes enjambées les herbes hautes pour rejoindre la rive...

Une belle journée......


Ils restent quelques instants là, au seuil des eaux du lac, à le contempler, se remémorant probablement ce même lieu, bien des années plus tôt....


… nous nous laissons absorber par le lieu, contemplant à notre tour ce lac aux eaux végétales... à bien y regarder, le lieu fourmille de vie... des petites araignées d'eau bondissent dans de fulgurants sauts, quelques insectes volants tournent en boucle dans des rythmes effrénés, et toute une colonie de papillons fricotent avec le feuillage des saules... parfois la nageoire dorsale de belles carpes émerge des eaux et soulève quelques feuilles de nénuphars avant de disparaître...


… nous comprenons ce qu'Edite appelait les 'roses blanches'..... au milieu du lac, un petit îlot étincelant attire le regard...... des lotus blancs.

Edite et Erik les regardent en silence depuis quelques minutes déjà..... puis sans prévenir, Erik enlève son T-shirt, son pantalon et ses sandales, et se jette à l'eau.


Nous le regardons avancer prudemment, les bras maintenus en hauteur pour garder son équilibre, puis arrivé suffisamment loin, eau jusqu'au poitrail, il plonge carrément.

Quelques secondes d'invisibilité.... puis sa tête réapparaît. Il se retourne, fait un signe de la main dans un mot étouffé de joie et d'excitation, puis s'en retourne, encore plus loin... Edite, restée toujours au même endroit, caresse machinalement ses bras, comme lovée au creux d'elle-même...

Nous le regardons tous, nager toujours plus loin... le bruit de ses mouvements dans l'eau s'estompe, tout comme sa tête s'éloigne, de plus en plus petite...


Nous restons là, toujours immobiles dans ce silence vivant... un instant suspendu.


Arrivé au milieu du lac, Erik émerge à nouveau. Il nous fait signe de la main, cueille quelques fleurs, puis s'en retourne...


'C'est comme ça qu'il m'a séduite..... il a su m'aider à cueillir quelques petites merveilles..... vous savez, ces petites merveilles parsemées par Dieu à travers le monde..... et je n'ai pas su résister....'


Edite rit doucement, comme une mère rirait de son impuissance à gronder l'enfant qu'elle aime...


Erik a déjà retraversé le lac et a de nouveau pied. Son visage est radieux, il se lève, émerge de l'eau tout en arrangeant son bouquet...


C'est un bouquet de lotus blancs... cinq lotus blancs lovés au creux de feuilles arrondies au vert si tendre.

Tenant ce magnifique bouquet à deux mains, Erik se rapproche de nous, l'air grave d'un porteur de flamme olympique... et remet le bouquet à Marie...





Il est des souvenirs gravés à tout jamais.... des instants solennels et vivants dont on sait au moment même où on les vit qu'on ne les oubliera jamais......



Quelques jours encore auparavant, débarqués par un hasard de la vie là, sur cette place de village quelconque, nous étions abordés par cette femme aux lunettes d'aviatrice, qui nous invitait à passer une nuit chez elle....


'Vous verrez, notre maison est très très modeste... c'est une très vieille maison...'




…. mais si votre maison est modeste, vos cœurs, eux, sont si grands.....



…. et naturellement, ce mot, Paldies, resterait lui aussi gravé pour très longtemps profondément au fond de nous....
 

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