'Wouhaouuuuuuuu !!
You can feel the air !'
Une
main sur le guidon, l'autre sur son bob, Edite en redemande :
nous faisons un tour de piste de plus, arqués sur les pédales du
tandem.
Elle
n'avait jamais fait de tandem, et elle ne laisserait sûrement pas
passer cette occasion sans se lancer. Et l'après-midi du dernier
jour, elle s'est lancée.
Relevant
le bas de sa robe de lin, de mi mollet jusqu'au genou pour enfourcher
le siège arrière, bob vissé sur la tête et lunettes plaquée sur
le nez, elle cramponne le guidon fixe après avoir enfilé ses
sandales bien au fond des cales-pieds : la voici prête, telle
une aviatrice parée pour le grand saut...
'You
have legs.... you can walk.... but you can also ride !'
Edite
rit de tout cœur...
Nous
nous penchons dangereusement dans les virages, elle pousse des cris
de jeune fille, revenus en ligne droite, je sens à travers le
pédalier avec quelle ardeur elle appuie sur les pédales.....
vraiment, une véritables pile nucléaire !!
Nous pourrions pédaler jusque la
lune si un chemin de pierres y menait....
…
Dans quelques heures, il nous
faudra pourtant repartir..... une dernière soirée, puis au lever du
jour, notre route reprendra..... au dessus de nous flotte comme un
sentiment d'urgence... l'urgence de profiter les uns des autres...
l'urgence de partager ce que nous souhaiterions partager encore.....
l'urgence de cultiver encore un peu de bonheur commun.....
Dès qu'Erik eut terminé son
tour en tandem en solitaire, Edite enfourche son vélo et visse son
bob bien à fond sur sa tête: nous n'allons pas en rester là......
en route pour l'aventure !
Erik descend du tandem et nous le
rend avec un sourire de réconciliation, et a tout juste le temps de
retrouver son vélo avant qu'Edite ne disparaisse derrière les
taillis du stade.
Nous quittons la piste, repassons
le portail de l'entrée, prenons à gauche et nous nous engageons sur
un chemin de terre jonché de glands encore verts... le chemin est
particulièrement tape-cul...
Edite souque ferme, regard rivé
vers un invisible horizon. Nous prenons encore à gauche...
'Où allons-nous ?'
Surprise...
Seul Erik semble avoir été mis
au secret... et à lire l'expression de son visage, il semble adhérer
entièrement à l'idée....
Le voilà d'ailleurs qui pédale
plus vite...
Erik et Edite pédalent l'un à
côté de l'autre, semblant ouvrir la voie à leurs invités... la
légèreté du moment est bien palpable : il nous semble que
pour la première fois, Erik et Edite forment un véritable couple...
leur âge semble s'être évanoui... nous enfilons les chemins les
uns après les autres... la journée est radieuse, le bois est humide
et exulte de senteurs épicées... une légère chaleur, tandis que
nos jambes tournent et nos cœurs sautillent...
Le chemin s'arrête au dessus
d'un talus... hésitations.... Edite sort de sa poche quelques
bonbons et fait la distribution..... à bas le diabète.... c'est un
jour de fête...
Elle sourit et s'engage dans la
descente. Nous entendons son biclou se plaindre dans des lamentations
métalliques peu rassurantes, mais elle finit par arriver en bas....
Erik hésite, puis se lance à son tour..... puis nous les
rejoignons.
'Nous y sommes presque' nous
lance Edite en repartant aussitôt.....
Nous
remontons un petit vallon, niché au creux de la forêt... l'herbe
est haute et grasse, mille pétales écarlates y ondulent
gentiment...
'C'est ici que nous nous sommes
rencontrés.......'
…
Le chemin prend à droite et
s'engage sur un talus qui forme comme une digue... à notre gauche,
un lac, aux eaux entrelacées de joncs et de roseaux, et mêlé de
petits îlots de végétation...
'Nous étions jeunes... Erik
était bel homme.... et il m'a séduite...'
…
'Bienvenue au lac des roses
blanches.....'
Nous
posons nos montures en bord du lac, les laissant tomber à même le
sol. L'herbe est si épaisse qu'ils restent suspendus à mi chute...
Des
hérons et des grues blanches sont perchés sur quelques branches,
immobiles... seules quelques gigantesques libellules vrombissent à
nos oreilles lorsqu'elles passent en rase motte près de nous.
Erik et Edite, main dans la main,
marchent côte à côte, en écrasant dans de grandes enjambées les
herbes hautes pour rejoindre la rive...
Une belle journée......
Ils restent quelques instants là,
au seuil des eaux du lac, à le contempler, se remémorant
probablement ce même lieu, bien des années plus tôt....
… nous nous laissons absorber
par le lieu, contemplant à notre tour ce lac aux eaux végétales...
à bien y regarder, le lieu fourmille de vie... des petites araignées
d'eau bondissent dans de fulgurants sauts, quelques insectes volants
tournent en boucle dans des rythmes effrénés, et toute une colonie
de papillons fricotent avec le feuillage des saules... parfois la
nageoire dorsale de belles carpes émerge des eaux et soulève
quelques feuilles de nénuphars avant de disparaître...
… nous comprenons ce qu'Edite
appelait les 'roses blanches'..... au milieu du lac, un petit îlot
étincelant attire le regard...... des lotus blancs.
Edite et Erik les regardent en
silence depuis quelques minutes déjà..... puis sans prévenir, Erik
enlève son T-shirt, son pantalon et ses sandales, et se jette à
l'eau.
Nous
le regardons avancer prudemment, les bras maintenus en hauteur pour
garder son équilibre, puis arrivé suffisamment loin, eau jusqu'au
poitrail, il plonge carrément.
Quelques
secondes d'invisibilité.... puis sa tête réapparaît. Il se
retourne, fait un signe de la main dans un mot étouffé de joie et
d'excitation, puis s'en retourne, encore plus loin... Edite, restée
toujours au même endroit, caresse machinalement ses bras, comme
lovée au creux d'elle-même...
Nous le regardons tous, nager
toujours plus loin... le bruit de ses mouvements dans l'eau
s'estompe, tout comme sa tête s'éloigne, de plus en plus petite...
Nous restons là, toujours
immobiles dans ce silence vivant... un instant suspendu.
Arrivé au milieu du lac, Erik
émerge à nouveau. Il nous fait signe de la main, cueille quelques
fleurs, puis s'en retourne...
'C'est comme ça qu'il m'a
séduite..... il a su m'aider à cueillir quelques petites
merveilles..... vous savez, ces petites merveilles parsemées par
Dieu à travers le monde..... et je n'ai pas su résister....'
Edite rit doucement, comme une
mère rirait de son impuissance à gronder l'enfant qu'elle aime...
Erik a déjà retraversé le lac
et a de nouveau pied. Son visage est radieux, il se lève, émerge de
l'eau tout en arrangeant son bouquet...
C'est un bouquet de lotus
blancs... cinq lotus blancs lovés au creux de feuilles arrondies au
vert si tendre.
Tenant ce magnifique bouquet à
deux mains, Erik se rapproche de nous, l'air grave d'un porteur de
flamme olympique... et remet le bouquet à Marie...
…
Il
est des souvenirs gravés à tout jamais.... des instants solennels
et vivants dont on sait au moment même où on les vit qu'on ne les
oubliera jamais......
Quelques
jours encore auparavant, débarqués par un hasard de la vie là, sur
cette place de village quelconque, nous étions abordés par cette
femme aux lunettes d'aviatrice, qui nous invitait à passer une nuit
chez elle....
'Vous
verrez, notre maison est très très modeste... c'est une très
vieille maison...'
…
….
mais si votre maison est modeste, vos cœurs, eux, sont si
grands.....
….
et naturellement, ce mot, Paldies, resterait lui aussi gravé
pour très longtemps profondément au fond de nous....
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