'- On prend laquelle ?
- Celle-là !
- Oh non... celle-là ?
- Non, plutôt celle-là !
- Y'a un banc...
- Tu préfères pas des chaises ?
- Là, y'a 2 chaises et un banc
- Oui mais c'est dans le passage...
- Oui, mais dans le coin, ce sont des bancs...
- On prend laquelle ?
- Michel, t'as un avis ?
- Oui : j'en ai marre, j'en ai marre, j'en ai marre !'
- Celle-là !
- Oh non... celle-là ?
- Non, plutôt celle-là !
- Y'a un banc...
- Tu préfères pas des chaises ?
- Là, y'a 2 chaises et un banc
- Oui mais c'est dans le passage...
- Oui, mais dans le coin, ce sont des bancs...
- On prend laquelle ?
- Michel, t'as un avis ?
- Oui : j'en ai marre, j'en ai marre, j'en ai marre !'
Michel semble en avoir marre...
La terrasse où nous nous trouvons est vide (mise à part bien sûr la table que nous occupons), et Michel et ses compagnons de voyage (2 autres seniors et 2 seniorettes) n'ont donc que l'embarras du choix... à sentir à quel point les nerfs de Michel sont à fleur de peau, on sent d'une part que le groupe a choisi pour règle décisionnaire le référendum abusif et d'autre part que le voyage se termine...
'- Bon, on prend un apéro ou on mange seulement ?
- Ils font des glaces à votre avis ?
- Salade, entrée ?
- Moi je n'en peux plus du chou rouge...
- Michel ?
- Faites ce que vous voulez, on va pas re-palabrer cent cinquante ans non plus, hooooo !'
- Ils font des glaces à votre avis ?
- Salade, entrée ?
- Moi je n'en peux plus du chou rouge...
- Michel ?
- Faites ce que vous voulez, on va pas re-palabrer cent cinquante ans non plus, hooooo !'
Michel, après les avoir balancés dans un geste d'humeur, repose ses poings sur la table et se jette en arrière au fond de sa chaise (il a adopté la chaise, tandis que les 2 seniorettes se sont réunies sur le banc d'en face, jubilantes de complicités féminine...). Ce faisant, il nous gratifia d'une formidable bousculade qui fit trembler notre table... De la bonne douzaine de tables vides, il a bien sûr fallu qu'ils optent pour l'une de celles accolées à la notre. L'instinct grégaire certainement...
Ce même instinct grégaire qui pousse à partir à 5 en voyage... une formule qui a ses limites, manifestement.
Préférant continuer à assister à ce petit spectacle burlesque à distance, nous migrons une table plus loin, ne pipant mot, comme depuis leur arrivée...
'Et ben, ils n'ont qu'à le dire si on les dérange !
- Micheeeel...'
- Micheeeel...'
Le premier groupe de touristes que nous rencontrons à Kaunas... et il a fallu qu'ils soient et français et d'humeur explosive. Car on le sent bien, nos deux seniorettes sont au bord de la crise d'apoplexie : derrière leurs sourires mielleux du 'tout va très bien', on sent bien qu'un véritable combat se livre pour contenir la cocotte minute... les clignements de cils sont anormalement élevés, les sourires figés semblent gagner quelque chose de la dentition canine, et surtout, les lèvres et les joues, probablement trop éprouvées durant la semaine, ne répondent plus tout à fait aussi docilement qu'elles le souhaiteraient: derrière le généreux mascara, des petites contractions involontaires ne cessent de parasiter l'image de leur sourire... quant aux deux autres seniors, ils ont l'attitude de seniors qui ont vu tourner la terre et qui connaissent déjà la suite de l'histoire : ils ne semblent plus vraiment appartenir au présent, contemplant tout cela de trèèès loin avec une mine réjouie de bon papa, se contentant parfois, à la demande, tantôt de hausser les épaules tantôt de lâcher quelque soupir impuissant...
Comme un réflexe dans de telles circonstances (promiscuité trop prononcée avec des concitoyens rencontrés à l'étranger), nous adoptons la langue de Goethe, résistant à l'envie un peu trop facile, de répondre à Michel dans notre langue et de le rendre un peu baba quelques secondes... car du groupe, c'est peut-être paradoxalement lui qui nous inspire le plus de sympathie.
'- Shall I help you ?'
Le moment de prendre commande.
'Alors, on se décide pour quoi ?
- Ce que vous voulez, moi je ne prends pas de chou...
- Entrée/plat ?
- Ils font des glaces ?
- Tiens, ils ont des œufs cuits dur...'
- Ce que vous voulez, moi je ne prends pas de chou...
- Entrée/plat ?
- Ils font des glaces ?
- Tiens, ils ont des œufs cuits dur...'
… la serveuse reste là, à les observer non sans amusement, un léger sourire sur les lèvres...
'- rhoooooooo, mais ça va pas recommencer ! Bon, y'a une soupe là, ça vous va une soupe ? Y'a pas de chou, et puis au moins on traînera pas encore une heure, soupe pour tout le monde ? Didier, t'en dis quoi ?
- Boooooooorh, tu sais...
- Alain ?
- C'est tout comme tu veux... (haussement d'épaules)... va pour la soupe.
- Et vous deux ?
- (Visages de martyres résignés (mais souriants))... on aurait peut-être pris une salade, mais puisque tu es pressé... en plus ces messieurs ont aussi choisi, alors... on ne peut que s'incliner.'
- Boooooooorh, tu sais...
- Alain ?
- C'est tout comme tu veux... (haussement d'épaules)... va pour la soupe.
- Et vous deux ?
- (Visages de martyres résignés (mais souriants))... on aurait peut-être pris une salade, mais puisque tu es pressé... en plus ces messieurs ont aussi choisi, alors... on ne peut que s'incliner.'
Lorsqu'elle revient, la serveuse dépose sur la table 5 bols de soupe... rose.
'Ha, là, y'a du chou...
- booooooooorh... tu crois ?
- C'est rose, c'est qu'il y a du chou je te dis...'
- booooooooorh... tu crois ?
- C'est rose, c'est qu'il y a du chou je te dis...'
Michel se masse déjà le front...
'Is there a problem ?
- Alain, comment on dit 'chou' en anglais ?
- Prttt !
- T'as qu'à dire 'red vegetable' !
- Et comment on dit rose ?'
- Alain, comment on dit 'chou' en anglais ?
- Prttt !
- T'as qu'à dire 'red vegetable' !
- Et comment on dit rose ?'
Alain et Didier n'ont pas attendu plus longtemps et on entamé leur soupe rose...
- If there is a problem I can take it back and bring you something else...
- Alain... qu'est-ce qu'elle a dit ?'
- Alain... qu'est-ce qu'elle a dit ?'
C'est à ce moment là que Michel a jeté les clefs de la voiture de location sur la table, s'en est levé et après leur avoir dit 'bon, je vais faire un tour', est parti faire un tour.
Alain a hésité à poursuivre la course de sa cuiller suspendue, les deux seniorettes se sont regardées aussi désemparées l'une que l'autre et Didier a soupiré en souriant...
Finalement, tous ont commencé à fouiller leurs poches et Brigitte (on l'appellera Brigitte par commodité) s'est levée en posant un billet sur la table, interrompant toute protestation d'usage par un 'on verra ça plus tard' ferme et définitif tout en adressant un regard particulier à Didier, avant de consoler sa compagne par un 'on mangera plus ce soir va...', en lui frottant l'épaule.
Rideaux, les acteurs ont quitté la scène.
La serveuse débarrasse la table de ses soupes roses tout sourire... cela semble très improbable, nous nous demandons toutefois si cet accident de commande n'avait pas été volontaire. Nous la suivons du regard et lorsqu'elle tourne la tête vers nous, son sourire devient encore plus franc...
Lorsqu'elle réapparaît, c'est pour nous demander ce que nous prendrions ensuite...
'Oh... un milk-shake !!
'Ah, désolé, mais ce n'est pas encore la saison, vous voyez, c'est écrit là...'
Nous exagérons notre déception, faisons une moue d'enfant en la suppliant du regard... de ces regards qui durent délicieusement...
'Bon, je vais voir ce que je peux faire...'
Devant nous, la Laisvės Aleja continue de promener sa petite vie... un jeune garçon passe, juché sur son guidon, en équilibre incertain tandis qu'une demoiselle en robe est assise derrière lui, sur sa selle, et qui pousse des petits cris aussi apeurés qu'amusés... un groupe de gaillards en blouse approche. L'un d'eux est sous perfusion et promène son support à roulettes. Un enterrement de vie de jeune garçon...
'Heeeeey !'
Nous ne l'avions pas reconnu. Parmi les infirmiers, nous découvrons un de nos hôtes rencontrés la veille.
'Lina a eu un empêchement... elle ne pourra pas venir aujourd'hui... elle ne viendra que lundi... désolé !......bon ... il faut que j'y aille... bonne journée !'
Il n'est pas aussi bavard que sa collègue... Lina, que nous ne reverrons donc plus avant de partir. Dommage.
Heureusement, la serveuse est de retour, précédée de 2 bons gros milk-shakes à la banane... les regards sont complices, nous la remercions en en rajoutant comme toujours...
…
Kaunas nous laissera un très bon souvenir...
… un souvenir joyeux, paisible...
Un souvenir de milk-shake à la banane.
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