dimanche 11 novembre 2012

La quiétude d'un lieu se mesure à la longueur moyenne de...

 
Kaunas est une ville piétonne.
 

Cela signifie qu'on y vit paisiblement, et que le visiteur y est bien accueilli. C'est en tout cas le corollaire que nous enseigne cette ville et qui pourrait se réduire à la formule suivante :
 
'La quiétude d'un lieu se mesure à la longueur moyenne des talons de sa population'
 

Qu'on se le dise, c'est une découverte majeure : après les théorème fondamentaux de Newton (tout de même), ce doit sans doute être l'une des découvertes les plus importantes de notre histoire...
 
 
Bien sûr, cela ne nous vient pas à l'esprit d'un coup comme cela, en mettant le pied sur le quai, comme un coup d'éclair... mais il ne faut pas longtemps avant que cette évidence ne s'impose à nous : juste le temps de faire un petit aller retour au centre ville et descendre Laisvės Aleja, l'avenue de la liberté...
 
 

Tout commence dès la sortie de la gare : une fois le tandem et sa remorque extraits du wagon et assemblés, nous voici à peine repartis sur le bitume que des saluts enthousiastes et mêmes quelques applaudissements (bien immérités!) surgissent. Devant la gare, une foule de personnes attendent des bus, serrées les unes contre les autres. Des jupes de tissu, des bleus de travail, des salopettes et des T-shirts se mêlent les uns aux autres tout comme se mêlent les âges. Et des sourires...
 

Nous avalons Tunelio gatvė, prenons à droite, et rejoignons le centre ville, pour déboucher naturellement sur une longue avenue : la Laisvės Aleja.

 
 

Cette avenue de la liberté est une longue ligne droite de deux kilomètres, strictement plate, et piétonne. Et c'est certainement cela qui change tout...
 

Deux allées de tilleuls bordent sa ligne médiane. Elles sont si proches qu'elles se rejoignent à un horizon qu'on toucherait presque de la main : une invitation à se laisser dériver le long de ces rives vertes... nous descendons de selle et adoptons naturellement le rythme du pas.
 

 
 
 
Devant nous, des parents se promènent avec leur fille. Mains dans la main, ils marchent de front, lentement, au rythme des pauses contemplatives de leur petite. Partout, des petits groupes déambulent. Les pieds avancent, côtes à côtes, par quatre, par six... lentement, se déroulant sur toute leur plante, comme en massant le sol. Une pause. Ils se tournent les uns vers les autres, ne bougent plus... puis reprennent leur direction, toujours lentement.

Parfois, ils reviennent sur leurs pas. Vingt mètres, déroulés pendant une bonne minute... puis finalement se décident à revenir de nouveau en arrière. Les mêmes vingt mètres. Une nouvelle minute... après une manœuvre prudente de demi tour, négociée en 4 ou 5 appuis.

Par un étrange mimétisme, nous nous mettons au pas. La roue libre nous suit en cliquetant, se taisant lors de quelques arrêts avant de reprendre fidèlement, un rythme en dessous. Bientôt, ses clics s'émancipent tout à fait les uns des autres, entrecoupés de silences toujours plus longs, jusqu'à rester même suspendus : posé là contre le banc sur lequel nous nous sommes assis, le tandem est à présent immobile et la dent cliquetante est restée en suspension sur une roue de l'engrenage.
 
 

L'avenue dispose du Wifi. Une petite plaque sur le banc nous l'indique. Sur d'autres bancs, des ados pianotent sur leur clavier, discutent ou s'amusent. Un peu plus loin, d'autres jeunes ont marié leurs mélodies : violon et guitare chantent sous les tilleuls.
 

Les poussettes passent, un léger roulement entrecoupé de petits claquements aux jointures des pavés... crescendo très progressif avant de s'évanouir sans qu'on n'y prête plus la moindre attention.
 

Des rires d'enfants, des petits cris. Une aire de jeux a été aménagée non loin de là.
 
 

Les bras pendants par dessus le dossier du banc, nous contemplons cette vie paisible se dérouler.
 
 
Deux jeunes personnes marchent côte à côte. Ils marchent au rythme des mots. Des mots intimes, des mots hésitants. Des mots d'amour. Des pas qui osent puis qui reculent. Qui s'écartent puis qui se rapprochent. Des mots qui tournent, qui piétinent. Il s'est décidé à s'asseoir sur le banc. Ses pieds se sont alignés, bien à plat sur le sol. Ils attendent, suspendus... elle s'est finalement décidée à l'y rejoindre : elle a tourné ses chevilles, les a sagement rapprochées, puis s'est assise à son tour.
 

Charmant ballet...
 
 

Nous n'assistons non plus à un défilé, mais à la vie dans toute sa simplicité. Les sacs à main ne sont plus portés lanière au creux du bras, mais sur l'épaule, coude posé par dessus, et les poignets sont libres, se balançant très légèrement au rythme des pas lents. Les pas ne claquent d'ailleurs plus au sol comme à la parade : les talons, et c'est une découverte frappante, ont tout simplement disparu.
 

Les semelles se sont considérablement amincies, jusque parfois même disparaître tout à fait : nous découvrons ainsi non sans surprise de jolis pieds s'en aller nus sur le pavé...
 
 
 
  
 
Kaunas n'a pas le far de Vilnius, mais n'a certainement pas à le regretter.
Ses façades sont décrépites, parfois lézardées... et bien pâles comparées au lustre de celles de la capitale, mais elles n'en sont que plus authentiques.
 
 
 
 
Celui qui poussera la porte d'une de ses cathédrales sera saisi par la ferveur et la grâce des chants qu'il aura de grandes chances de surprendre... pris au filet, il n'aura d'autre choix que de s'abandonner discrètement sur le premier banc de pierre qui se présentera à lui, et se laisser envahir par une suspension... suspension de pensées, suspension d'envies, de sentiments... suspension du temps.
 
Se laisser simplement porter par ces voix, une petite éternité durant.
 

Dans les rues, quelques balancelles même accueillent le passant...
 
 
Kaunas, ancienne capitale, semble avoir appris à cultiver sa quiétude.
 
 

Et l'on n'est même plus surpris, alors, en contemplant la vie ainsi s'exprimer simplement, de voir quelques couples de femmes, doigts entrelacés, se promener le plus librement du monde...
 
 
… sur Laisvės Aleja, à deux au ras du sol, les colombes ne sont pas arrêtées en plein vol*...
 
 
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* Allusion à la polémique suscitée en Lituanie suite à l'adoption par le Parlement d'une loi homophobe en 2009
 

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