mercredi 28 novembre 2012

Le yoyo du sympathomètre

 
Une armée de petits musiciens a veillé sur notre sommeil.

 
Violonistes, harpistes, joueurs de flûtes... tous se sont donné rendez-vous en bord de cette rivière où nous avons élu domicile pour la nuit.

 
En y regardant de plus près, il semblerait même qu'une sorcière hideuse se soit mêlée à eux, ainsi qu'un très ancien chevalier teutonique, casque vissé sur la tête et garde de l'épée vissée au sternum, probablement pour veiller sur cette jeune fille à la natte tressée si longue, si blonde...
 

  
Nous revoici entourés de petits lutins de bois, de figures de contes et d'histoires imaginaires... une petite armée de bonshommes apparus de ci de là au petit matin, au fur et à mesure que la brume se retirait des bords de la rivière.
 
Tartine après tartine, nous nous promenons vers l'un, puis vers l'autre, prêtant l'oreille à chaque instrument. Un petit déjeuner déambulatoire qui vaut bien tous les beds et breakfasts du monde...

 


Premiers rayons de soleil sur les eaux de la rivière, tandis que les dernières vapeurs se dissipent à sa surface. La toile de tente, pendue sur les branches basses d'un frêne, en finit de sécher. Nattes repliées, sacs de couchages comprimés, petit déjeuner avalé : des rituels bien rodés, exécutés sans même avoir à y penser.
 
Déjà, une nouvelle journée va pouvoir commencer.

 


Il y a foule sur les bords de la D196, et cela contraste avec la fréquentation du parcours de la veille. Cagettes et parasols se sont multipliés de chaque côté de la route, proposant cornichons, oignons, tomates et autres betteraves. Les charrettes sont garées sur le côté, tandis que les chevaux de traits s'en sont allés paître au pied de quelque haie de peupliers. Quelques enfants courent les uns après les autres, traversant la voie sans plus de précautions... jour de fête ou jour de marché.
 
Cette D196, à cet endroit, est en fait la rampe de lancement pour rejoindre l'A1, cette fameuse colonne vertébrale qui rejoint les 3 plus grandes villes du pays, et la capitale à la côte. Nous y retrouvons ce contraste des rythmes que nous avions ressenti à l'approche de Vilnius : au delà des haies de peuplier où paissent les chevaux de traits, l'A1 et son billard lissé propulse ses petits bolides d'un bout à l'autre du pays.
 
 
  
L'accueil qui nous est fait est plutôt chaleureux : les plus jeunes interrompent leur course et attirent l'attention de leurs camarades sur cette étrange embarcation qui passe, tandis que les adultes interrompent les leurs pour nous suivre d'un regard amusé et plutôt bienveillant. Nous récoltons même quelques laba diena spontanés.


 


Nous laissons bientôt cette D196 sur notre gauche, la laissant longer l'A1 par le nord, et nous retrouvons une nouvelle petite route de campagne.
 
 
Que demander de plus...

 
Une matinée radieuse, une campagne qui s'étire doucement et une petite route qui s'y promène tout aussi gentiment... il n'y a pas un poil de vent, l'orée des bois est encore bleutée, et partout encore, un silence de grasse matinée... les chants d'oiseau se font encore hésitants, le nid probablement préféré aux cimes et au feuillage encore trop humide... un silence de grasse matinée pleine de promesses et de gestes lents... nos trois pneus ronronnent sur le bitume, quelques graviers craquent par moments, et les jambes tournent, dans un rythme lent.
 


Lorsque la route s'élève, jamais trop toutefois, nos jambes tournent plus lentement et semblent pétrir inlassablement une pâte onctueuse : le genou presse vers le bas, la cuisse se contracte et l'onde de chaleur se communique au bassin, à l'abdomen... le genou gauche presse à son tour, et une nouvelle vague remonte, puis une nouvelle... nous ralentissons la cadence pour mieux apprécier encore la sensation... nous voici au dessus de la côte, les jambes vibrent, nos abdomens rayonnent, et aussitôt la roue libre s'envole.
 
 


Imperceptiblement, le relief s'est émancipé du rigoureux quadrillage agricole. Dérivant tantôt à gauche, tantôt à droite, la route s'élève de ci, de là, puis plonge sans prévenir sur un petit vallon avant de gravir un nouveau talus... et c'est pour notre plus grand plaisir.

 
Les hameaux se sont décrispés, les clôtures se raréfient tandis que les bosquets se multiplient, se mêlant parfois aux toitures de fermes, regroupées en nombre toujours décroissant.
 
 
 
Les structures de bois ont réapparu, ainsi que quelques puits.
 
Les prés ont peu à peu grignoté les cultures, qui ont d'ailleurs fini par disparaître tout à fait. Ne restent à présent que pâtures, prés fauchés et friches. Les bottes de foin, d'abord rondes, ont retrouvé une forme parallélépipédique traditionnelle. Par endroits, les foins, fauchés depuis quelques jours déjà, sont rincés.



 
 
 
 

Le bitume s'arrête là.
Nous retrouvons donc la piste... et ses soubresauts.
 


 
 

Les habitations elles aussi se sont dégradées. La brique a disparu pour de bon, et nous retrouvons des hameaux de bois, de ce bois gris et rincé, surmonté de toitures ondulées.
 
Comme une conséquence, les calvaires et les chapelles se multiplient.
 
 

 
Certaines maisonnettes sont parfois dans un si triste état que nous doutons qu'elles soient encore habitées. Les aboiements que notre passage suscite sembleraient pourtant nous indiquer le contraire.

 
L'heure n'est plus aux sourires et autres courtoisies. Si la piste s'interrompt aux portes des hameaux traversés (relayée durant leur traversée par une bande de bitume), cela ne suffit pas à nous rendre tout à fait invisibles et silencieux : les regards que nous croisons sont durs, et nos sourires, même accompagnés de formules de politesse, ne sont d'aucun effet. Même le regard du curé, croisé au sortir de la messe tandis que ses ouailles se dispersaient, est resté de marbre.
 
Derrière nous, nos petits drapeaux flottent, bannières qui nous semblent par trop colorées en cet instant......
 
 
Au hameau suivant, les croyants semblent se rendre à leur tour à l'office : se donnant le coude, des vieilles grignotent la pente de part et d'autre de la chaussée, à petits pas de bigotes, rejoignant patiemment l'éclatante demeure de Dieu, qui scintille tel un phare au sommet de la butte.
 
Il n'y a dans ces très humbles hameaux que 2 choses qui aient l'air neuf : parfois, le revêtement de la chaussée (très vite souillé et marqué du fer des chevaux)... toujours, le clocher et la façade de l'église.
 
 
 
 
Ces terres semblent être en proie à de visibles efforts de conversion... des efforts dépensés non pas par l’Église mère, mais bel et bien par l'Union.
 
Pas un seul hameau, pas un seul groupement de baraques, aussi humbles soient-ils, n'est épargné : dans chacun d'eux, une pancarte a été plantée, arborant la bannière étoilée. Nous imaginons la petite armée d'étoilés parcourir le pays, tels des croisés, bannières sous le bras, rejouer la scène d'Iwo Jima sur chaque butte, chaque monticule, chaque tas de foin, justifiant la réfaction d'un mur de plâtre, d'une toiture de presbytère, la pose de quelques hectomètres de bitume...

 
 
… et peut-être tiendrons-nous là quelque explication à l'accueil pour le moins réservé qui nous est fait dans ces campagnes reculées ?...
 
 
 
 
Lorsque, quelques heures plus tard, nous rejoignons une départementale, l'ambiance est de nouveau toute autre : les grand-mères à fichus, assises sur un banc ou une balancelle, nous offrent quelques sourires (souvent édenté), et la gérante de la petite épicerie se montre très volubile (même si nous ne comprenons pas le traître mot de ce qu'elle raconte et que nous devons faire le tour du comptoir (ou la caisse se résume à un boulier et une boîte en carton) pour piocher sur ses rayons de quoi nous sustenter, comme bien souvent)... mieux : tandis que je reviens des courses, je trouve un homme avec son litron de bière sous le bras en train de faire ni plus ni moins qu'une demande de mariage à Marie, dans un mélange de polonais, d'allemand et de russe... un bonhomme charmant qui, même éconduit, repartira sans rancune à bicyclette, bouteille sous le bras et sourire aux lèvres.

 

 
 
Les façades des maisons (toujours en bois), même si elles sont fatiguées, sont ici de couleurs, et peut-être est-ce là une différence.

 
Entre regards durs et déclaration de mariage, la palette des réactions est en tout cas bien vaste, mais quelques récurrences semblent peu à peu mettre certaines corrélations en évidence... devant ces sautes d'humeur, le sympathomètre est plus que jamais en fonctionnement, et, qui sait, peut-être à la fin du voyage nous délivrera-t-il quelque conclusion éminente sur quelque rapport entre la sympathie, l'espace, l'habitation, la richesse et le bonheur...
 
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dimanche 25 novembre 2012

On the road again...

Le goudron défile à nouveau sous nos pieds. Après ces quelques jours de déambulations urbaines, nous voici repartis.
 
Bizarrement, nous ne nous sentons pas gagnés par l'euphorie habituelle des grands espaces, ce sentiment si léger d'air et de liberté... le départ est poussif, les jambes de manière surprenante sont comme rouillées... et le souffle semble même nous manquer sur les premières pentes de Raudondvaris... la remorque derrière nous semble peser quelques tonnes supplémentaires...

… payons-nous les nuits agitées de la capitale ? Digérons-nous le milk-shake banane de Kaunas ?... diverses raisons suspectes passent tour à tour devant la barre pour expliquer pourquoi ce matin, pédaler nous semble si pénible...

L'air est poisseux... le ciel gris. Le revêtement de la route est très grossier... et puis l'air empeste. Le tilleul toujours... à moins que ce ne soit autre chose... et le vent vient de face.
 
Une sale matinée...

 

En fait cela sent le colza. Une des ces odeurs persistantes qui s'incruste partout, si épaisse que l'on croirait la mâcher, et qui semble même s'agglutiner au fond de nos gorges à chaque inspiration... nous sommes scotchés sur le bitume, le cœur battant sourdement dans nos poitrines lourdes, abrutis de ne voir le sol reculer que si lentement malgré nos efforts.
 

Une vraie sale matinée...






Après avoir gravi les coteaux du Niémen, nous voici sur une sorte de plateau... l'horizon s'est aussitôt aplati, comme comprimé par ce ciel si gris, si bas... et l'air est devenu encore plus épais. L'air de ces champs de colza, qui se succèdent encore et encore, et à perte de vue.
 

Il fait chaud... et pourtant non, il fait frais.
 
Par endroits, le ciel lourd se déchire. De généreuses langues de lumières semblent alors lécher le sol, écumantes, et sublimant par vagues l'éclat des colza… lorsque nous les croisons, un souffle bestial nous enveloppe aussitôt, avant de nous abandonner à nouveau quelques instants plus tard, transpirants, à des atmosphères bleutées et glacées... et où il fait froid.

Crispés, nous forçons notre respiration. Nous maudissons le goût du colza, raclons nos langues sèches et râpeuses, bouches ouvertes, tachant d'avaler encore un petit peu plus d'air...





 

Nos vestes humides sont inconfortables. Nous transpirons sous nos casques... nos lèvres se sont peu à peu retroussées. Souffles courts et soupirs... des locomotives en action, mais si poussives, mais si lentes...






… ça y est... il pleut.
 
Les colzas ont commencé à s'agiter, à bruisser, dans des mouvements de plus en plus brusques et précipités, et puis une première grosse goutte a claqué sur la visière du casque, suivie d'une autre, glacée, sur l'avant bras... la suivante s'est faite sentir à travers la mitaine gauche, picorée peu à peu de becs froids toujours plus enhardis... puis la bonne vieille averse s'est écroulée pour de bon.
 
Soupir de soulagement... 'voilà, cela ne peut plus être pire à présent'...












De fait, après le vacarme opaque, l'espace s'est peu à peu dilaté et a retrouvé quelques couleurs.

Le moment béni pour la pause.






Le paysage a quelque chose de familier.

Un ordre...



Oui, c'est cela : le relief ici semble dompté, il a ployé le joug et file droit. Les courbes, les creux, buttes et bosquets ont été gommés, arasés. De serviles petits chemins filent en angles droits entre les rectangles aux diverses nuances de couleurs. Par endroits, quelques groupes de maisonnettes, éparses, grises de briques, aux cours bien délimitées, se sont rassemblées, avec remorques, pelles et engins de couleurs... Quelques tas de foin, de fumier, quelques bêtes... et tout autour, un damier de cultures. Un damier à la trame généreuse et aux mesures surhumaines.
 
… c'est en cela que ce paysage nous semble si familier et pourtant inédit : ces contours vastes et tracés au cordeau n'appartiennent déjà plus à l'outil, mais sont bien le fruit de la machine.
 

Les minuscules patchworks de potagers que nous pouvions contempler tout au long de notre traversée de Lituanie sont ici supplantés par une force plus vaste, implacable, mécanique, et de fait, nous découvrons par endroits quelques engins agricoles de belles tailles, au verni encore intact et en tout point semblables à ceux que nous connaissons dans nos campagnes.
 

Pour la première fois depuis que nous avons traversé la frontière lituanienne, et c'est un sentiment étrange, nous ressentons en campagne l'impression d'être contemporain à ce qui nous entoure...




 


Le soleil est réapparu, et de manière éclatante.


Nous filons à présent.
 
Nous avons tombé les vestes, respirons un air sec et légèrement parfumé, et le vent s'est couché. Les jambes ont retrouvé leur rythme, et le paysage défile autour de nous sans plus de réticence, champ après champ, croisée de chemins après croisée de chemins... les hameaux de briques restent toujours en retrait de la route et nous ne rencontrons personne, si ce n'est parfois quelques femmes à pied, chargées de ballots volumineux contenant des branches de tilleuls.
 

La route a peu à peu perdu de sa largeur, supprimant tout d'abord ses bas-côtés puis rabotant de manière très progressive la largeur de ses voies, tant et si bien que nous avons à présent l'impression de nous promener sur une route de campagne. Sur ses rives, de nombreuses chicorées mêlent leurs pétales échancrées aux mauves et campanules, bordant la voie de rubans de pastels. Mille insectes ont peu à peu peuplé les airs et l'espace a fini par s'emplir de bourdonnements, grésillements et autres excitations estivales.
 

 
Il fait bon, il fait chaud... seuls, nous dévorons à présent le bitume...


… mieux : nos respirations sont rondes, profondes et légères, et nos jambes tournent, régulières, nous délivrant micromole par micromole leur dose d'endorphine...

… au creux de nos ventres, une boule chaude ronronne à son aise: quelque chose d'euphorique....

... un sentiment léger d'air et de liberté...

 

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Devinette bonus

Une fois n'est pas coutume, voici une devinette pour laquelle...... nous n'avons pas la réponse !
 
Elle reste donc jusqu'à présent tout à fait ouverte (nos recherches sont restées jusqu'à présent infructueuses), et si jamais quelqu'un parmi vous avait un élément de réponse..... nous en serions ravis ! :-)
 
La question est la suivante : que nous signale ce panneau ??



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mardi 20 novembre 2012

Texte pour Lina : Ennéades, extrait

Qui n'a pas rêvé, à défaut d'avoir une mémoire sans borne et infaillible, de tranporter avec soi sa bibliothèque entière pour retrouver à souhait un passage, quelques phrases, quelques vers d'un de ces livres qui nous percent à cœur ouvert par quelques mots, et vers lesquels nous retournons régulièrement ?.....
 
Repartir sans revoir Lina est une décision pénible à prendre, mais nous ne pouvons de nouveau rester 2 jours sur place...
 
Nous aurions eu pourtant à cœur de continuer cette discussion si bien commencée, en lui soumettant quelques phrases de Plotin, en résonnance directe avec ce qu'elle avait pu nous dire sur regard et beauté, et que malheureusement, nous n'avions retrouvées que la nuit suivante.
 
Les voici toutefois...
 
 'Si tu ne vois pas encore ta propre beauté, fais comme le sculpteur d'une statue qui doit devenir belle : il enlève ceci, il gratte cela, il rend tel endroit lisse, il nettoie tel autre, jusqu'à ce qu'il fasse apparaître le beau visage dans la statue. De la même manière, toi aussi, enlève tout ce qui est superflu, redresse ce qui est oblique, purifiant tout ce qui est ténébreux pour le rendre brillant, et ne cesse de sculpter ta propre statue jusqu'à ce que brille en toi la clarté divine de la vertu [...]. Si tu es devenu cela [...], n'ayant plus intérieurement quelque chose d'étranger qui soit mélangé à toi [...] si tu te vois devenu ainsi [...], regarde en tendant ton regard. Car seul un tel œil peut contempler la Beauté.'
 
Plotin, Ennéades, Exercices spirituels et philosophie antique.
 
 

Troublantes similitudes...

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Kaunas : et après ?

'Nida, Palanga... toutes sur la côte... la presqu'île de Neringa... et Klaipėda, bien sûr, la troisième ville du pays ! En plus, c'est facile d'y aller, depuis Kaunas, c'est que de l'autoroute !'
 
Le voilà déjà qui nous montre le site internet de la région en question: sur la page d'accueil, des images de plages bondées sous le soleil d'été, des soirées festives et de la plongée sous marine...
 
 
Que nous dit notre guide de poche?
 

'Klaipėda, ancienne Memel, est le point de départ pour la presqu'île de Neringa, une étroite bande de terre (max 2km) qui longe la côte entre la lagune de Courlande et la mer baltique. Environ cent kilomètres de plages et de dunes de sable clair et fin, une zone classée réserve naturelle avec de magnifiques forêts de pins... elle enchantera les amoureux de la nature...'
 
... cela sonne pas mal... continuons.
 
'Pendant la période soviétique, lieu de vacances des apparatchiks communistes... peuplée en hiver par moins de 3000 habitants dispersés dans des petits villages de pêcheurs, la presqu'île devient pendant les 3 mois d'été un important lieu de villégiature pour de nombreux touristes lituaniens, russes, allemands... la population vit essentiellement du tourisme... infrastructures et activités de loisirs bien développées : plongée sous marine (visite de navires coulés durant la seconde guerre mondiale), sports nautique, équitation... stations balnéaires, sanatoriums...'

Mouais.... quoi d'autre...
 
'Départ de Klaipėda en ferry... toutes les vingts minutes...'
 
 
... mmmmh, pas bien sûr que cela corresponde bien ni à notre démarche... ni à notre mode de transport, sans compter que cela nous fait repiquer carrément à l'ouest (dans le sens propre... et peut-être aussi figuré) alors que peu à peu, il va bien falloir que nous nous dirigions pour de bon vers Saint-Pétersbourg (il ne faudrait pas l'oublier !)...
 

Mais il y met tant de cœur que nous n'osons pas vraiment lui faire part de nos réticences : c'est un petit peu son rêve à lui... le temps libre, les vacances, le tourisme, c'est forcément à Klaipėda ! D'ailleurs, quelques uns de ses copains (ceux que nous avons vus avec lui pour l'enterrement de vie de garçon) y sont allés, et c'est incontournable...
 
 
(… 'you must go to Trakai !'...)
 

 Nous le remercions une nouvelle fois, le prions de faire part de toute notre amitié à Lina, puis quittons les lieux pour reprendre la route.
 
 
Prochain objectif : gagner la Lettonie via Šiauliai.
 

 
 
Šiauliai, qui n'est certes 'que' la quatrième ville du pays (avec à peine 120 000 habitants) et qui n'est pas sur la côte, mais qui présente l'avantage d'être à peu près sur notre direction tout en traversant les plaines du nord du pays... et en plus, il y aurait un musée de la bicyclette...
 
 
(… et puis oui c'est vrai aussi, Lina nous l'a aussi conseillée...)

...

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dimanche 18 novembre 2012

Milk-shake à la banane en entracte


 
'- On prend laquelle ?
- Celle-là !

- Oh non... celle-là ?
- Non, plutôt celle-là !
- Y'a un banc...
- Tu préfères pas des chaises ?
- Là, y'a 2 chaises et un banc
- Oui mais c'est dans le passage...
- Oui, mais dans le coin, ce sont des bancs...
- On prend laquelle ?
- Michel, t'as un avis ?
- Oui : j'en ai marre, j'en ai marre, j'en ai marre !'
 
Michel semble en avoir marre...
 
 
La terrasse où nous nous trouvons est vide (mise à part bien sûr la table que nous occupons), et Michel et ses compagnons de voyage (2 autres seniors et 2 seniorettes) n'ont donc que l'embarras du choix... à sentir à quel point les nerfs de Michel sont à fleur de peau, on sent d'une part que le groupe a choisi pour règle décisionnaire le référendum abusif et d'autre part que le voyage se termine...
 
'- Bon, on prend un apéro ou on mange seulement ?
- Ils font des glaces à votre avis ?
- Salade, entrée ?
- Moi je n'en peux plus du chou rouge...
- Michel ?
- Faites ce que vous voulez, on va pas re-palabrer cent cinquante ans non plus, hooooo !'
 
Michel, après les avoir balancés dans un geste d'humeur, repose ses poings sur la table et se jette en arrière au fond de sa chaise (il a adopté la chaise, tandis que les 2 seniorettes se sont réunies sur le banc d'en face, jubilantes de complicités féminine...). Ce faisant, il nous gratifia d'une formidable bousculade qui fit trembler notre table... De la bonne douzaine de tables vides, il a bien sûr fallu qu'ils optent pour l'une de celles accolées à la notre. L'instinct grégaire certainement...
 
Ce même instinct grégaire qui pousse à partir à 5 en voyage... une formule qui a ses limites, manifestement.
 
Préférant continuer à assister à ce petit spectacle burlesque à distance, nous migrons une table plus loin, ne pipant mot, comme depuis leur arrivée...
 
'Et ben, ils n'ont qu'à le dire si on les dérange !
- Micheeeel...'
 
Le premier groupe de touristes que nous rencontrons à Kaunas... et il a fallu qu'ils soient et français et d'humeur explosive. Car on le sent bien, nos deux seniorettes sont au bord de la crise d'apoplexie : derrière leurs sourires mielleux du 'tout va très bien', on sent bien qu'un véritable combat se livre pour contenir la cocotte minute... les clignements de cils sont anormalement élevés, les sourires figés semblent gagner quelque chose de la dentition canine, et surtout, les lèvres et les joues, probablement trop éprouvées durant la semaine, ne répondent plus tout à fait aussi docilement qu'elles le souhaiteraient: derrière le généreux mascara, des petites contractions involontaires ne cessent de parasiter l'image de leur sourire... quant aux deux autres seniors, ils ont l'attitude de seniors qui ont vu tourner la terre et qui connaissent déjà la suite de l'histoire : ils ne semblent plus vraiment appartenir au présent, contemplant tout cela de trèèès loin avec une mine réjouie de bon papa, se contentant parfois, à la demande, tantôt de hausser les épaules tantôt de lâcher quelque soupir impuissant...
 
Comme un réflexe dans de telles circonstances (promiscuité trop prononcée avec des concitoyens rencontrés à l'étranger), nous adoptons la langue de Goethe, résistant à l'envie un peu trop facile, de répondre à Michel dans notre langue et de le rendre un peu baba quelques secondes... car du groupe, c'est peut-être paradoxalement lui qui nous inspire le plus de sympathie.
 
 
 
'- Shall I help you ?'
 
Le moment de prendre commande.
 
'Alors, on se décide pour quoi ?
- Ce que vous voulez, moi je ne prends pas de chou...
- Entrée/plat ?
- Ils font des glaces ?
- Tiens, ils ont des œufs cuits dur...'
 
… la serveuse reste là, à les observer non sans amusement, un léger sourire sur les lèvres...
 
'- rhoooooooo, mais ça va pas recommencer ! Bon, y'a une soupe là, ça vous va une soupe ? Y'a pas de chou, et puis au moins on traînera pas encore une heure, soupe pour tout le monde ? Didier, t'en dis quoi ?
- Boooooooorh, tu sais...
- Alain ?
- C'est tout comme tu veux... (haussement d'épaules)... va pour la soupe.
- Et vous deux ?
- (Visages de martyres résignés (mais souriants))... on aurait peut-être pris une salade, mais puisque tu es pressé... en plus ces messieurs ont aussi choisi, alors... on ne peut que s'incliner.'
  
 
Lorsqu'elle revient, la serveuse dépose sur la table 5 bols de soupe... rose.
 
'Ha, là, y'a du chou...
- booooooooorh... tu crois ?
- C'est rose, c'est qu'il y a du chou je te dis...'
 
Michel se masse déjà le front...
 
'Is there a problem ?
- Alain, comment on dit 'chou' en anglais ?
- Prttt !
- T'as qu'à dire 'red vegetable' !
- Et comment on dit rose ?'
 
Alain et Didier n'ont pas attendu plus longtemps et on entamé leur soupe rose...
 
 - If there is a problem I can take it back and bring you something else...
- Alain... qu'est-ce qu'elle a dit ?'
 
C'est à ce moment là que Michel a jeté les clefs de la voiture de location sur la table, s'en est levé et après leur avoir dit 'bon, je vais faire un tour', est parti faire un tour. 
 
Alain a hésité à poursuivre la course de sa cuiller suspendue, les deux seniorettes se sont regardées aussi désemparées l'une que l'autre et Didier a soupiré en souriant...

Finalement, tous ont commencé à fouiller leurs poches et Brigitte (on l'appellera Brigitte par commodité) s'est levée en posant un billet sur la table, interrompant toute protestation d'usage par un 'on verra ça plus tard' ferme et définitif tout en adressant un regard particulier à Didier, avant de consoler sa compagne par un 'on mangera plus ce soir va...', en lui frottant l'épaule.
 
Rideaux, les acteurs ont quitté la scène.

 
 
 
 

La serveuse débarrasse la table de ses soupes roses tout sourire... cela semble très improbable, nous nous demandons toutefois si cet accident de commande n'avait pas été volontaire. Nous la suivons du regard et lorsqu'elle tourne la tête vers nous, son sourire devient encore plus franc...
 
Lorsqu'elle réapparaît, c'est pour nous demander ce que nous prendrions ensuite...

'Oh... un milk-shake !!
 
'Ah, désolé, mais ce n'est pas encore la saison, vous voyez, c'est écrit là...'
 
Nous exagérons notre déception, faisons une moue d'enfant en la suppliant du regard... de ces regards qui durent délicieusement...

'Bon, je vais voir ce que je peux faire...'
 
 
 
Devant nous, la Laisvės Aleja continue de promener sa petite vie... un jeune garçon passe, juché sur son guidon, en équilibre incertain tandis qu'une demoiselle en robe est assise derrière lui, sur sa selle, et qui pousse des petits cris aussi apeurés qu'amusés... un groupe de gaillards en blouse approche. L'un d'eux est sous perfusion et promène son support à roulettes. Un enterrement de vie de jeune garçon...

'Heeeeey !'
Nous ne l'avions pas reconnu. Parmi les infirmiers, nous découvrons un de nos hôtes rencontrés la veille.

'Lina a eu un empêchement... elle ne pourra pas venir aujourd'hui... elle ne viendra que lundi... désolé !......bon ... il faut que j'y aille... bonne journée !'
 
Il n'est pas aussi bavard que sa collègue... Lina, que nous ne reverrons donc plus avant de partir. Dommage.
Heureusement, la serveuse est de retour, précédée de 2 bons gros milk-shakes à la banane... les regards sont complices, nous la remercions en en rajoutant comme toujours...
 

 
 
 
Kaunas nous laissera un très bon souvenir...

… un souvenir joyeux, paisible...
 
 
Un souvenir de milk-shake à la banane.
 
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mardi 13 novembre 2012

Talons aiguille et regards...

 
A quoi cela tient-il donc que d'un côté, le talon aiguille soit très largement adopté tandis que de l'autre, il est tout simplement boudé ??
 
 
Une question existentielle qui en fera sûrement sourire plus d'un, mais qui s'impose à nous en cet instant paisible : et si cette paisibilité au fond avait quelque chose à voir avec cette histoire de talons ?....
 
 
 
 
Le cœur de Vilnius est perché sur une colline tandis que celui de Kaunas est à l’affluence de deux rivières : faut-il y voir un lien de cause à effet ? Le talon haut serait d'un côté le moyen adéquat pour gravir la colline (ou l'échelle sociale...) sans trop de peine, tandis que de l'autre, le talon plat s'imposerait pour s'offrir aux douces promenades au fil de l'eau...
 
... mouais, vous avez raison : c'est plutôt tordu comme raisonnement... et cela ressemble un peu trop aux vieilles contines de dahu qu'on sert aux enfants...
 
 

Continuons donc...
 
Kaunas est une ville étudiante... mais Vilnius l'est aussi. Pas concluant non plus...
 
 
 
'Oui, mais Vilnius est une ville de business... et puis elle est russe aussi'.

Ça, c'est Lina qui nous l'a soufflé. Il s'agit de notre hôtesse. Étudiante, elle travaille également quelques heures par semaine dans une maison de chambres d'hôtes, où nous avons trouvé domicile.
 
'Oui, Vilnius est plus russe... et c'est pour cela'.
 
On sent à sa manière de le dire que la question n'est pas insensible...
 

'- Plus d'un tiers de la capitale est habitée par des russes... des aristocrates très présents et très influents.
- Et quel rapport avec les talons ?
- Ce sont des modes en fait... on reconnaît rien qu'à sa tenue s'il s'agit d'une femme russe ou non. C'est difficile à expliquer, mais cela se voit'
 
 
Chose amusante, il y a quelque part le long de la Laisvės Aleja une fresque avec des 'types' de tenues vestimentaires réparties par pays. Nous retrouvons par exemple le type ibérique, très ample, très esmaraldique (pour lequel nous retrouvons d'ailleurs des talons...).
 
 
 
 
 
Et lorsque nous contemplons le type 'russe', nous reconnaissons effectivement quelques traits observés au sein de la capitale...
 
 

 
… mais alors, la tenue n'est-elle qu'une question de culture ??... les russes et les espagnoles mettent des talons hauts, et les lituaniens vont pied nus ?...
 
'Non, ce n'est bien sûr pas si simple... ce n'est pas non plus qu'une question de vêtements. Si je mettais des talons, on remarquerait tout de même que je ne suis pas comme elles... il y a autre chose. Une attitude, un regard...'
 
 
Au moment où elle dit cela, nous nous rendons compte que le sien est planté dans le nôtre. Un regard limpide, franc, chaleureux... et surtout qui dure.
 
C'est un fait frappant : à Kaunas, les regards se croisent... lorsque 2 personnes se croisent, les regards se cherchent et se trouvent. Et après le désert de Vilnius, c'est un trait particulièrement réconfortant. La plupart du temps, un labadiena s'ensuit, puis la promenade continue.

 
Les fenêtres sur l'âme y sont grandes ouvertes...
 
Lorsque nous le lui faisons remarquer, Lina rougit. Et du coup, elle ne sait plus où regarder... mais il ne faut pas longtemps avant qu'elle ne retrouve son aplomb : l'attrait de la discussion semble suffisant pour qu'elle accepte à nouveau de poursuivre la discussion les yeux dans les yeux, avec toutefois de nouvelles petites rides au coin, comme un sourire, une mousseline vaporeuse sur fenêtre...
 
 
'Et qu'a-t-il de si différent ce regard ?
- Déjà, il fuit... même dans un ascenseur, si par hasard tu te retrouvais avec l'une d'elles, tu remarquerais qu'elles trouvent toujours quelque chose à regarder pour ne pas avoir à croiser ton regard...
- C'est une sorte de mépris non ?
- Je ne sais pas... je ne sais pas si c'est du mépris ou de l'indifférence : si quelque chose d'imprévu arrive, tu ne les verras jamais rire... tout au plus sourire. En fait, c'est ça : ces femmes ne montrent aucune émotion... elles contrôlent tout, tandis que nous, les lituaniennes, nous sommes bien plus naturelles.
- Pourtant, à Vilnius, il y a de très nombreuses femmes qui correspondent à ta description, 'bien mises', avec talons, et toutes ne sont certainement pas 'russes', non ?
- Il y a bien sûr toutes celles qui veulent ressembler... mais qu'on reconnaît.
- A quoi ?
- Aux regards justement... ils ne sont pas indifférents, ils sont en alerte, ils regardent partout et vérifient sans cesse qu'elles sont bien regardées... admirées. Et pour le coup, elles, elles sont méprisantes, pour peu qu'elles ne soient pas admirées...
- Tu veux dire qu'au lieu de retenir ce qui vient de l'intérieur, elles sont aux aguets de ce qui vient de l'extérieur ?
- Oui, c'est ça...
- Et lesquelles des deux te semblent les plus heureuses ?
- … ça, c'est difficile à dire...
- De celle qui met des barrières sur son regard et ses émotions et qui ainsi se coupe du partage (et peut-être de rencontres plus simples), ou de celle qui a tant à cœur de plaire (ou d'en imposer), quelle est à ton avis celle qui est la plus heureuse ?...
- C'est très dur à dire... en fait, je crois que je préfère tout simplement être comme je suis et ne pas porter de talons !
- ... à Kaunas, les femmes sembleraient donc préférer aux talons hauts un bonheur simple...
- Dit comme ca, c'est sûr que c'est un peu bizarre, mais oui... c'est bien possible...
- Et c'est quoi alors le bonheur ?
- C'est se plaire telle que l'on est !
- C'est à dire ?
- Je ne sais pas moi... pas avoir besoin de talons pour se plaire !
- Mais si ces talons te rendent plus belle ?
- C'est quoi être belle ?
- … ah, là, c'est toi qui me coince... ….. on dit que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde, peut-être qui si pour toi, le talon fait partie de la panoplie de beauté, tu en auras besoin et si au contraire, ce n'est pas pour toi un ustensile de beauté, tu n'en auras pas besoin ?
- … ça ne tient pas...
- Que veux-tu dire ?
- Je dis que la beauté, ce n'est pas une question de talons... quand je dis que le bonheur, c'est se plaire tel que l'on est, ce n'est pas une question de talon, mais bien de regard : c'est se plaire sans tous ces trucs, c'est se plaire 'à nu', sans maquillage même : c'est se regarder dans la glace et aimer son regard. En fait c'est cela : je suis heureuse quand je me plaît, quand mon regard me plaît. Après, je peux ajouter un maquillage en plus, mais ca ne sera qu'un complément, pas un susbtitut...
- Et si ton regard était malheureux ?
- Et bien je ferais en sorte de le rendre heureux !
- Et comment puisque ce qui te rend heureux, c'est d'être heureuse et que précisément, tu ne le serais pas ?'
 
A ce moment là, la voici qui part d'un grand éclat de rire... éclat de rire communicatif.
 
'C'est n'importe quoi !'
 
 

 
 
 
Mais au bout de quelques instants de silence, sourires suspendus, Lina finit par ajouter :
 
 
'Je crois tout simplement que je ferais en sorte de le devenir... il y a bien des choses que l'on peut faire en dehors de soi qui apportent du bonheur, le tout, c'est de les connaître... et d'avoir la force'
 
 
Une conclusion qui ouvre un nouveau champ de réflexion et qui inviterait à poursuivre cette discussion... mais l'heure est déjà bien avancée et d'un commun accord, nous décidons de remettre au lendemain la suite des débats...
 
 
Nous nous souhaitons labos nakties, ravis d'avoir ouvert nos fenêtres... et impatients  déjà d'être au lendemain...
 
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dimanche 11 novembre 2012

La quiétude d'un lieu se mesure à la longueur moyenne de...

 
Kaunas est une ville piétonne.
 

Cela signifie qu'on y vit paisiblement, et que le visiteur y est bien accueilli. C'est en tout cas le corollaire que nous enseigne cette ville et qui pourrait se réduire à la formule suivante :
 
'La quiétude d'un lieu se mesure à la longueur moyenne des talons de sa population'
 

Qu'on se le dise, c'est une découverte majeure : après les théorème fondamentaux de Newton (tout de même), ce doit sans doute être l'une des découvertes les plus importantes de notre histoire...
 
 
Bien sûr, cela ne nous vient pas à l'esprit d'un coup comme cela, en mettant le pied sur le quai, comme un coup d'éclair... mais il ne faut pas longtemps avant que cette évidence ne s'impose à nous : juste le temps de faire un petit aller retour au centre ville et descendre Laisvės Aleja, l'avenue de la liberté...
 
 

Tout commence dès la sortie de la gare : une fois le tandem et sa remorque extraits du wagon et assemblés, nous voici à peine repartis sur le bitume que des saluts enthousiastes et mêmes quelques applaudissements (bien immérités!) surgissent. Devant la gare, une foule de personnes attendent des bus, serrées les unes contre les autres. Des jupes de tissu, des bleus de travail, des salopettes et des T-shirts se mêlent les uns aux autres tout comme se mêlent les âges. Et des sourires...
 

Nous avalons Tunelio gatvė, prenons à droite, et rejoignons le centre ville, pour déboucher naturellement sur une longue avenue : la Laisvės Aleja.

 
 

Cette avenue de la liberté est une longue ligne droite de deux kilomètres, strictement plate, et piétonne. Et c'est certainement cela qui change tout...
 

Deux allées de tilleuls bordent sa ligne médiane. Elles sont si proches qu'elles se rejoignent à un horizon qu'on toucherait presque de la main : une invitation à se laisser dériver le long de ces rives vertes... nous descendons de selle et adoptons naturellement le rythme du pas.
 

 
 
 
Devant nous, des parents se promènent avec leur fille. Mains dans la main, ils marchent de front, lentement, au rythme des pauses contemplatives de leur petite. Partout, des petits groupes déambulent. Les pieds avancent, côtes à côtes, par quatre, par six... lentement, se déroulant sur toute leur plante, comme en massant le sol. Une pause. Ils se tournent les uns vers les autres, ne bougent plus... puis reprennent leur direction, toujours lentement.

Parfois, ils reviennent sur leurs pas. Vingt mètres, déroulés pendant une bonne minute... puis finalement se décident à revenir de nouveau en arrière. Les mêmes vingt mètres. Une nouvelle minute... après une manœuvre prudente de demi tour, négociée en 4 ou 5 appuis.

Par un étrange mimétisme, nous nous mettons au pas. La roue libre nous suit en cliquetant, se taisant lors de quelques arrêts avant de reprendre fidèlement, un rythme en dessous. Bientôt, ses clics s'émancipent tout à fait les uns des autres, entrecoupés de silences toujours plus longs, jusqu'à rester même suspendus : posé là contre le banc sur lequel nous nous sommes assis, le tandem est à présent immobile et la dent cliquetante est restée en suspension sur une roue de l'engrenage.
 
 

L'avenue dispose du Wifi. Une petite plaque sur le banc nous l'indique. Sur d'autres bancs, des ados pianotent sur leur clavier, discutent ou s'amusent. Un peu plus loin, d'autres jeunes ont marié leurs mélodies : violon et guitare chantent sous les tilleuls.
 

Les poussettes passent, un léger roulement entrecoupé de petits claquements aux jointures des pavés... crescendo très progressif avant de s'évanouir sans qu'on n'y prête plus la moindre attention.
 

Des rires d'enfants, des petits cris. Une aire de jeux a été aménagée non loin de là.
 
 

Les bras pendants par dessus le dossier du banc, nous contemplons cette vie paisible se dérouler.
 
 
Deux jeunes personnes marchent côte à côte. Ils marchent au rythme des mots. Des mots intimes, des mots hésitants. Des mots d'amour. Des pas qui osent puis qui reculent. Qui s'écartent puis qui se rapprochent. Des mots qui tournent, qui piétinent. Il s'est décidé à s'asseoir sur le banc. Ses pieds se sont alignés, bien à plat sur le sol. Ils attendent, suspendus... elle s'est finalement décidée à l'y rejoindre : elle a tourné ses chevilles, les a sagement rapprochées, puis s'est assise à son tour.
 

Charmant ballet...
 
 

Nous n'assistons non plus à un défilé, mais à la vie dans toute sa simplicité. Les sacs à main ne sont plus portés lanière au creux du bras, mais sur l'épaule, coude posé par dessus, et les poignets sont libres, se balançant très légèrement au rythme des pas lents. Les pas ne claquent d'ailleurs plus au sol comme à la parade : les talons, et c'est une découverte frappante, ont tout simplement disparu.
 

Les semelles se sont considérablement amincies, jusque parfois même disparaître tout à fait : nous découvrons ainsi non sans surprise de jolis pieds s'en aller nus sur le pavé...
 
 
 
  
 
Kaunas n'a pas le far de Vilnius, mais n'a certainement pas à le regretter.
Ses façades sont décrépites, parfois lézardées... et bien pâles comparées au lustre de celles de la capitale, mais elles n'en sont que plus authentiques.
 
 
 
 
Celui qui poussera la porte d'une de ses cathédrales sera saisi par la ferveur et la grâce des chants qu'il aura de grandes chances de surprendre... pris au filet, il n'aura d'autre choix que de s'abandonner discrètement sur le premier banc de pierre qui se présentera à lui, et se laisser envahir par une suspension... suspension de pensées, suspension d'envies, de sentiments... suspension du temps.
 
Se laisser simplement porter par ces voix, une petite éternité durant.
 

Dans les rues, quelques balancelles même accueillent le passant...
 
 
Kaunas, ancienne capitale, semble avoir appris à cultiver sa quiétude.
 
 

Et l'on n'est même plus surpris, alors, en contemplant la vie ainsi s'exprimer simplement, de voir quelques couples de femmes, doigts entrelacés, se promener le plus librement du monde...
 
 
… sur Laisvės Aleja, à deux au ras du sol, les colombes ne sont pas arrêtées en plein vol*...
 
 
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* Allusion à la polémique suscitée en Lituanie suite à l'adoption par le Parlement d'une loi homophobe en 2009