lundi 25 juin 2012
Départ de Druskininkai
Il a plu toute la nuit.
Au petit matin, le ciel est si lourd qu’il paraît peu probable que cela ne soit que passager. Nous optons pour ne pas attendre l’accalmie pour prendre le départ. Nous devrions encore refuser une n_ième invitation de Bernd et Heidi à prendre le café…
Le retraité alsacien est déjà debout. Nous voyant sur le départ, en train de chevaucher nos selles, il vient nous dire bonjour et au-revoir, nous demandant notre prochaine destination. Ce sera Vilnius, la capitale. ‘Bah, ce n’est qu’à 150/170 bornes, on y était hier. 2 heures de route, vous y serez vite !’
Ne préférant pas relever, nous lui faisons un signe de tête et appuyons sur nos pédales.
Ugnė est absente. Son frère l’a remplacée au pied levé. Nous lui demandons de lui faire part de toutes nos amitiés, puis nous franchissons la barrière.
En ce petit matin, nous retrouvons Druskininkai telle qu’elle était encore 2 jours auparavant : calme, déserte. Méconnaissable le week-end, surtout le premier week-end de vacances.
Nous ne croisons que de jeunes hommes affairés à poser une nouvelle bordure, un nouveau trottoir, dérouler une piste cyclable. Druskininkai, ville thermale, fait peau neuve.
Rares sont encore les baba-yagas à se promener en peignoir, épaules voutées et mains rivées sur leur petite trousse de toilette… une toute autre allure que celle qu’elles affichent à leur arrivée.
Si elle tend à se diversifier (et à venir de plus en plus d’Europe occidentale), la clientèle des thermes reste tout de même en grande partie russe ou biélorusse (et ce malgré la rebaptisation du principal bâtiment 4 étoiles du site, l’‘Europa Royale Druskininkai hotel’…).
En se promenant en fin de journée dans les rues piétonnes, aux abords de ces centres de cures, vous n’aurez guère de mal à repérer laquelle arrive tout juste et laquelle sort du bain. La première, chignon strict aux cheveux secs, fripée, bijoux volumineux et en nombre, maquillage très appuyé et le cou emmitouflé dans quelque fourrure ou foulard chic, a une démarche de petit poussin, aux petits pas rapides et appuyés dont le rythme presque automatique répond au roulement de la lourde valise qui roule derrière elle. La sueur coule abondamment sur son front. Elle semble avancer en semi apnée. L’autre est encore plus fripée, et pourtant, semble être animée de davantage de vie. Le visage ‘nu’, sans poudre ni bijoux, et les pieds par terre. Des chaussons ou souliers plats ont remplacé les talons. Le rythme des pas est bien moins rapide, quelques haltes sur un des nombreux bancs sont même entreprises. Cheveux encore humides relevés sur la tête, le regard s’est adouci, elle semble tantôt se promener dans l’immobilité de la présence, apprécier un parfum, une brise, tantôt, encore plus immobile, s’oublier en se promenant dans quelque souvenir… ses épaules respirent.
Accrochées aux réverbères, des vasques déversent quelques cascades florales. Des allées piétonnes en arcs de cercles, bordées de pétales et de couleurs, se croisent et se recroisent pour faire durer encore la promenade.
Les tilleuls en fleurs anesthésient enfin les sens.
…
Ces mêmes fleurs, en ce petit matin, se détachent en virevoltant pour aller s’entasser au creux d’une bordure de trottoir humide.
Avec la pluie, c’est finalement le vent qui se lève. Mauvais temps pour la route.
Le dos rond, les bras crispés, nous remontons sur quelques kilomètres la ligne blanche qui borde la nationale, puis prenons à droite : direction ‘le plus grand et le plus vert’ des parcs lituaniens, le parc national de Dzūkija. Une piste y est indiquée, qui le traverse de part en part, un itinéraire parfait pour distiller notre trop-plein de civilités, bavardages et autres babillages auxquels nous n’étions déjà plus habitués…
Tandis que nous nous laissons avaler par la toute petite route du parc, déserte, un véritable petit bonheur nous gagne. Les roues tournent, les jambes pédalent, la route s’ouvre devant nous et nous n’avons plus rien d’autre à faire qu’à respirer, apprécier la chaleur qui nous envahit petit à petit malgré la pluie… le feuillage se balance de chaque côté de nous dans un léger bruissement, et cette odeur de fraise, toujours aussi entêtante… sans un mot, nous passons sur mode automatique de pédalage, semi somnolants.
...
Le camping de Druskininkai est entouré de hautes barrières grillagées. A l’intérieur, les pelouses soignées pour accueillir tentes ou véhicules. De l’autre, la forêt, et ses pieds de fraisiers et de myrtilles que l’on voit, dodues, sans pouvoir les saisir. Il faudrait faire le tour du camping pour céder à ce petit plaisir… mais l’effort est trop important au regard du petit plaisir. Alors la plupart du temps, on se contente de les repérer, à travers le grillage…
Un foulard apparaît entre les troncs, parmi quelques herbes hautes. Il avance tout doucement, reste quelques instants par ici, quelques instants par là. Une femme cueille. Bientôt, une autre la rejoint. Il nous faut tendre l’oreille pour percevoir leur voix, mêlées de drôles de sonorités. Les mots sont rares. La cueillette est solitaire.
Surprenantes au premier jour, nous avons fini par nous habituer. Elles se suivent, au fil de la journée, et c’est une présence discrète, chuchotante. Agréable. Un chat qui ronronne…
Nous les observons parfois depuis l’intérieur, de l’autre côté de la barrière, étrange rideau qui nous sépare…
D’un côté, la lenteur solitaire et silencieuse. De l’autre, l’affairement en toute aise du ‘vacancier’ familier et tellement ‘chez soi’…
Au second jour de ‘vacances’, les cueilleuses ont disparu. Et le grillage du camping est devenu oppressant.
...
Carrefour.
En travers de la petite route qui se termine là, une large bande de goudron prédécoupée en son milieu d’une ligne en pointillés. Une vérification sur la carte le confirme : il y a bien un carrefour en T, et nous devrions retrouver la piste du parc. Aussi inattendu que cela puisse paraître, il faut nous rendre à l’évidence : celle-ci a été nouvellement goudronnée. Et largement.
La saignée sur laquelle nous nous engageons est un boulevard. Et le vent, contre nous, y est tout à son aise. L’heure n’est plus au ronronnement et aux divagations... il faut appuyer, et lutter. La promenade bucolique que nous nous étions imaginée change peu à peu de visage. Nous croisons de temps à autre quelques poids-lourds, quelques pneus sont laissés en bord de voie, ainsi que quelques tessons de bouteilles et autres détritus. Nous avions une toute autre idée du parc national.
La route est droite, plate, et s’allonge à l’infini entre deux bordures de sapins. Contre ce vent, c’est à mourir d’ennui ou de découragement… nos sens tout déployés sont alors rabattus, nous baissons le front et appuyons sur nos pédales. Nous voici passés en mode ‘absents et occupés’, bêtes moteurs à l’effort qui avalent les kilomètres, toujours en ligne obstinément droite.
Le vent de face rabote sans aucun égard l’espace sonore : pâte molle et insistante à nos oreilles, il siffle, il souffle, feule ou rugit, râle et gronde. Rares sont alors les sons extérieurs qui encore le pénètrent… le roulement idiot de la gomme de nos pneus, qui sur le bitume vuvuzèlent… la chaîne, docile et butée, qui à son rythme cadencé peine… quelques battements de carrioles à l’occasion de trop fortes aspérités de la voie… l’espace s’est sensiblement réduit, et, pourtant sans pare-brise, nous voici comme emprisonnés d’une bulle de son blanc. D’un blanc sale et délavé.
A l’occasion d’un soudain virage à 90°, une petite piste de terre sablonneuse s’échappe de la voie principale, continuant tout droit.
Notre guidon ne vacille pas. Secousses et ralentissement : nous arrivons à Marcinkonys, petite bourgade perdue au cœur du parc.
mercredi 20 juin 2012
Qui fait les courses ?
Aventuriers, extraterrestres, héros, surhommes… quel que soit le dénominatif que les personnes rencontrées nous donnent, il n’en reste pas moins que la réalité est bien plus prosaïque qu’ils n’ont à coeur de s’imaginer… car tout aussi extraterrestre que nous puissions être, tout aussi ‘exciting’ le voyage en itinérance peut-il être, il n’en reste pas moins qu’il nous faut aussi, presque jour après jour, nous rendre… dans les rayons de magasins.
Il y a aussi une part de quotidien dans le voyage, et bon nombre de ces personnes qui ‘idéalisent’ l’aventure itinérante ressentiraient très certainement comme un petit désenchantement de devoir faire face à ce besoin tout aussi trivial : ‘hé oui, où que l’on soit, il faut toujours se sustenter’…
Les petites tractations au sein du couple n’ont pas forcément droit de grève en voyage, et on veille (très humainement) à ce que l’équilibre des consentements soit également préservé… surtout après quelques heures de pédalages :-).
C’est aussi une de ces composantes essentielles qui contribuent à la cohésion de l’équipage, souvent malaimée, et surtout, sous-estimée…
‘Les courses’…
Ah, voilà un beau sujet sociologique !
Un beau sujet de dissertation qui commence souvent par cette question toute bête ‘qu’est-ce qu’on mange ce soir ?’ et qui doit crisper quelques instants des millions de foyers jour après jour !… c’est d’ailleurs une des (ou sinon ‘la’) questions qui nous sont le plus souvent posées en cours de voyage par nos proches : ‘et que mangez-vous ?’… on le voit bien, au-delà de la cohésion de l’équipage, il y va de celle de tout un tissu social !
Que mangez-vous, la belle question.
Nous avions déjà parlé de l’écoute du corps.
L’écoute de douleurs, articulaires ou musculaires, de tensions, d’état de forme.
Là encore, pour savoir ce que l’on mange ce soir, il suffit de s’écouter. Ce sont nos corps qui demandent et qui choisissent le menu, et qui donc dictent ladite liste de courses (répéter dix fois sans fourcher cette fin de phrase…).
Quand on a réellement faim, on sait de quoi.
Selon l’effort, mais également (de manière très influente) selon la météo, la liste de course sera différente du tout au tout. Froid et pluvieux donneront plus de laitages et de viandes. Soleil sec davantage de fruits juteux et d’agrumes. Un très long effort biscuits hyper glucidiques… et hyper lipidiques.
Les sportifs connaissent très bien le phénomène : à la moindre fringale, on tuerait presque tantôt pour une canette de coca, tantôt pour un kilo de prunes, ou encore pour un paquet de chips ou une livre de fromages…
A partir de là, on ne sait jamais vraiment de quoi nous aurons faim.
Il y a bien sûr les invariables (les apports glucidiques de chaque soir, la plupart du temps, des plats déshydratés), mais il faut composer presque chaque jour pour répondre à l’appétit du moment. Car il ne s’agit bien sûr surtout pas de jeûner (ou d’ignorer l’imminence d’une carence) : c’est tout de même le carburant de notre embarcation !
Toute la question porte alors sur le mode d’organisation de l’approvisionnement : comment gérer ce besoin de flexibilité ? Faut-il ‘avoir de tout’ pour prévenir à tout besoin (avec une remorque et des jambes à ‘capacité limitée’) ? Ou jouer la carte du flux tendu, voyager léger, et faire les courses pour chaque repas ?
C’est la question que chaque voyageur itinérant se pose inévitablement… la réponse est alors simple : ‘c’est selon’…
C’est selon l’état de forme du voyageur, c’est selon la qualité des denrées du pays parcouru, c’est selon la densité de points de ravitaillements… et bien sûr, selon le mode de transport !
Là où le marcheur peut avoir à porter sa semaine de rations en s’aventurant profondément en montagne, le cycliste a quant à lui bien davantage de possibilités en couvrant une distance bien supérieure, la plupart du temps sur un réseau davantage domestiqué.
Pour notre part, nous favorisons la légèreté : courses quasiment chaque jour, et ravitaillement en eau également une à 2 fois par jour selon les possibilités, en veillant à ne jamais avoir à garantir plus de 3 ou 4 jours d’autonomie.
Pastèques et autres fruits gorgés d’eau sont avalés sur place (après passage de caisse tout de même…), et nous nous organisons selon la chaleur quelques orgies de melons, pastèques, fraises, cerises, pêches, prunes etc. selon les saisons et les lieux, autant de fruits qui, transportés, s’avèrent lourds, et souvent par fortes chaleurs et dans des conditions peu adéquates, de conservation très discutables...
Après, il faut bien sûr composer avec les habitudes culinaires du pays… le poisson séché pourra par exemple remplacer la charcuterie en Islande, il vous faudra apprendre à prendre goût au hareng en Pologne, et bien sûr, vous exposer à bon nombre de ‘découvertes culinaires’, pour le meilleur et parfois pour le pire…
Cependant, et c’est particulièrement valable lorsqu’on voyage en vélo, il y aura toujours sur votre chemin un bourg ou une ville où vous trouverez de quoi remplir votre panier selon vos envies : dans quelque grande surface que ce soit, aux rayons plus ou moins standards, vous trouverez.
Voici d’ailleurs par exemple ci-dessous quelques photos prises dans les rayons d’une petite surface de Druskininkai (16 000 hbts): comme vous le verrez, il est loin le temps des rayons vides et des queues aux tickets de rationnement.
Au-delà de la simple action de ‘faire ses courses’, c’est aussi en parcourant ces rayons que l’expression ‘intégration européenne’ peut prendre pour le voyageur un certain sens…
…
A notre grande surprise, bon nombre de produits sont directement importés de France.
Les emballages sont la plupart du temps d’origine, sans traduction. Des petites étiquettes imprimées dans la langue locale sont parfois rajoutées par les employés de rayon.
D’autres produits sont importés du reste de l’Europe, bon nombre d’Allemagne, d’autres de Pays-Bas, de Grèce.
Les emballages sont alors inhabituels, tels ceux utilisés pour le lait, les yaourts, les jus de fruits (des poches sont préférées aux briques que nous connaissons, voir ci-dessous)…
Attention spéciale portée à ces étranges barres, que nous avons bien sûr ‘testé pour vous’ : enrobés de chocolat, leur texture est très surprenante : il s’agit de produit laitiers, très semblables aux petits suisses aux fruits, à la fois crémeux, un peu solides, mais mousseux fourrés dans un couche de chocolat croquant… une expérience en bouche inattendue et ‘inoubliable’ !....
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Avant de clore ce post, un mot tout de même sur le lien entre les ‘magasins’ visités et l’expérience du voyage… car là aussi, on aurait tort de réduire la simple action de faire ses courses à un temps perdu et stérile.
Imaginez-vous, dans un pays étranger, et dont la langue vous est absolument inconnue, devoir, au comptoir d’une minuscule boutique de campagne, énumérer à l’épicier qui se tient derrière le comptoir et devant ses étagères de denrées, la liste entière de vos besoins… l’exercice vous renvoie illico à votre condition première : une totale impuissance en dehors du langage.
La plupart du temps, vous vous en remettrez à de bien piètres mimes, sous les regards tantôt amusés, tantôt agacés d’autres clients… avant de demander (si on ne vous l’a pas déjà proposé) la permission de passer derrière le comptoir pour vous servir vous-mêmes.
La première fromagère, le premier apprenti charcutier vous dévisage d’un air interdit, ne pipant de vous pas un traître mot, et répétant obstinément, encore et encore la même question que vous reconnaissez, certes, mais qui vous reste toujours aussi obscure : votre impuissance devient la leur, et, comme à chaque fois qu’un être est confronté à sa propre impuissance, le fond de chacun s’exprimera en clair : certains s’emporteront et se laisseront aller à l’agacement, voire à quelques mouvements d’humeur, avant de vous laisser en plan ou laisser passer d’autres clients échauffés, d’autres, à une ingéniosité bienveillante, trouvant toujours des solutions, comme celle évoquée plus haut.
Vous savez déjà, lorsque vous franchissez la porte de telles petites boutiques, qu’il vous faudra faire preuve d’humilité, de patience, et, à défaut de langage, être armé de vos plus beaux sourires, fussent-ils même niais… une expérience humaine ! :-)
Et puis il y a les ‘petites et grandes surfaces’, où il vous est possible de vous servir vous-même, en passant en caisse après. La seule emprise du langage se limite alors à la compréhension du montant : regard rivé sur l’écran de caisse pour fuir le moment d’incompréhension. Tout se passe sans un mot : le produit est pris du rayon, posé dans votre sac, déposé sur le tablier de la caisse, enregistré, le tiroir-caisse s’ouvre tandis que le rouleau papier s’imprime dans quelques craquements saccadés, des chiffres apparaissent, vous tendez un billet, la monnaie vous est rendue : vous voilà libres.
Et le tout sans un mot, sur mode automatique.
Une expérience qui à la fois soulage (vous n’avez pas eu à jouer le mime marceau avec un sourire niais pour acheter des piles), mais qui également frustre bien sûr : n’est-il pas quelque part déroutant d’être à ce point transparent pour l’autre ?...
De la boutique de campagne aux petites et grandes surfaces de bourgs ou autres villes, ce sont aussi ces différences de rapports humains qui s’expriment.
Et, jour après jour, c'est mine de rien bien davantage que ce que l'on pourrait penser qui se joue alors, lorsqu'inévitablement, se pose la question si familière :
'Qui fait les courses ?' !
.
lundi 18 juin 2012
Drapeaux en berne
Voici quelques jours déjà que nous restons dans le coin, alternant promenades le long du Niémen ou en forêt, discussions avec Ugnė, et considérations historiques.
Il pleut chaque matin, de 7:30 à 9:30, puis les nuages se dissipent pour laisser place à un soleil radieux, qui se voile à nouveau pour laisser un rideau de pluie extrêmement ponctuel balayer le paysage entre 14:30 et 15h, puis enfin, le beau temps revient.
Pas étonnant alors que les forêts soient à ce point peuplées de cueilleurs : ajoutée aux sols noirs et riches des sous-bois environnants, cette météo contribue à l’épanouissement d’un véritable paradis sylvestre qui sent décidément toujours autant la fraise… mais aussi agréable ce petit paradis soit-il, il va falloir penser bientôt à reprendre la route.
Une pensée qui devient même très vite une nécessité : la période de vacances vient en effet de commencer, et le camping, si calme et agréable, change rapidement de visage…
Si un tout petit mois s’est écoulé depuis notre départ de Berlin, et que cette dernière, au fil des kilomètres pédalés nous semblait loin, très loin même, la succession de camping-car provenant de cet autre côté de l’Europe nous rappelle rapidement (non sans nous crisper d’une manière étrange) que l’Allemagne n’est qu’à une journée à peine de route…
C’est ce que Bernd et Heidi, heureux retraités et nouveaux arrivants, nous confirmeraient dès le soir même, nous invitant à partager un Weinschorle sur une belle et grande table, dans des flutes à Champagne, tirés de leur énorme camping-car.
Ils viennent des environs de Cologne. A peu près 1500 bornes d’ici. 3 jours de route. Plutôt que de rouler d’une traite, ils ont préféré ‘prendre leur temps’ et profiter de ces 2 jours pour voir la Pologne. Il en ressort que la Pologne est sale et malodorante. Une chance qu’ils aient eu le berger allemand pour garder le camping-car !
Le lendemain matin, tandis que nous nous rendons aux douches, à peine réveillés, trousse de toilette à la main, nous déclinons poliment leur invitation à prendre le café…
… mais de retour à notre tente, nous tombons nez à nez avec un autre retraité en vadrouille en train d’observer de près notre embarcation. Le contournant pour rejoindre l’entrée de la tente et la remorque (située pourtant à 3 mètres l’une de l’autre), celui-ci ne semble pas dérangé le moins du monde de se trouver là.
Car, il faut le savoir, entre frères d’aventures, il y a une intimité qui va de soi.
Il a fait le tour de la terre, et bien des fois !! Les Philippines, la Colombie, l’Afrique et d’autres contrées encore… chaque nouveau départ est un nouveau rêve, une nouvelle excitation, une nouvelle aventure !! Et que de souvenirs….. ahhhh.
Peu enclin à débattre de la chose de si bonne heure, en particulier lorsque la discussion débute par ce qu’il faut bien appeler une intrusion, nous rangeons avec soin nos piles de vêtements tandis que cet exalté entame ses récits de voyage.
Et la Chine !! Ah bien sûr, la Chine !! Il faut passer les frontières la nuit ! Quels frissons… oui, c’est cela au fond, c’est le frisson après tout, n’est-ce pas ! C’est là toute la saveur du voyage vraiment… l’aventure et le frisson !! D’ailleurs, aux Philippines, …
Marie s’excuse, et s’éclipse : la voilà étrangement qui s’offre pour aller faire les courses sans même avoir à discuter le moins du monde… je la suis du regard, encore interdit par la spontanéité de l’esquive… me voilà seul, en tête à tête avec l’aventurier aux grands frissons.
‘Je sais ce que vous allez dire, ces pays-là, ils sont sûrs maintenant, mais c’est qu’on allait au fin fond des campagnes, où personne ne pouvait nous retrouver, au fin fond du trou du cul du monde ! C’est simple, on ne pouvait pas aller plus profond…’
Tandis que je graisse la chaîne, et vérifie un à un la tension des rayons, il parle, parle encore et toujours… et j’entends soudain ‘ahhhhhh, ma chérie !!’
Je me retourne : et effectivement, sa chérie l’a rejoint.
Présentations. Je n’ai d’autre choix correct que de me relever et saluer…
‘Et la nuit au poste de police en Colombie, tu te souviens ?! On a bien cru qu’on ne reviendrait pas…. On n’avait même pas nos visas !!’
La ‘chérie’ s’exclame et se souvient : ‘ouiiiii, mais qu’il faisait chauuuuuud !!’
Hé oui, on avait les sacs à dos, les grosses chaussures, la boue, les pluies, ouiiiii, c’est vrai ça ! Et puis on pouvait pas se laver tous les jours ! C’est qu’il faisait chaud là-bas !
Et elle de rebondir…
‘Oh, ouiiiiii, la sueuuuuuuuuuur’, et disant cela, c’est un drame racinien qui semble aussitôt s’interpréter.
‘La sueuuuuuuuuuuuuuur’… yeux mi-clos, légère cambrure et tête renversée… dos de la main sur le front… tout y est…
…
Pour mon plus grand malheur (et c’est une magie du couple), l’un et l’autre ravivent quelques souvenirs oubliés par leur moitié, et c’est un festival qui se joue devant moi. Continuant tous deux sans même plus prendre la peine de s’interrompre pour s’écouter, je regarde autour de moi si par hasard une chaise avait été prévue pour accueillir le public…
Tandis que leurs mots se mêlent, toujours plus denses et plus incohérents, ne veillant même plus à ne pas se contredire, je reste là, à les observer, et finis enfin par les ‘voir’, et aussitôt, une référence cinématographique peu glorieuse, me vient à l‘esprit : ‘John Wilder !’…
… oui, c’est exactement ça…
J’ai devant moi le mythique couple de la poursuite du diamant vert, ce film symptomatique des années quatre-vingt… si on leur rajoute les vingt-cinq / trente ans qui se sont écoulés depuis la sortie du film (et en y ajoutant encore une petite dizaine), cela doit coller…
Lui, chemise éclatante, cheveux longs brossés soigneusement, barbe taillée de près, et regard fier et complaisant, elle, chevelure brune (c’est une couleur) aérienne, mascara, cils étirés, est vêtue d’une robe ultralégère qui ne laisse que très peu deviner de ses chaires surexposées... je pense même de manière fugace à la mère de Sam Lawry… comment s’appelait ce film déjà….
‘Et Rio !!’
Oui, je remets le film… et je souris, dubitatif, tandis que le couple entame une samba très déhanchée…
… Pa pa paaaa pa pa padap, pa pa paaaa pa pa padap…
‘Mais que venez-vous alors faire ici, en Lituanie ??’…
Cette question, c’est moi qui l’ai posée.
J’ai profité lâchement d’un tout petit creux d’inattention non portée à eux-mêmes et à l’allégresse de la samba pour la lâcher… en plein dans le mille.
La samba s’est aussitôt interrompue, le Brésil fut éjecté à l’autre bout de la terre et les voilà bredouillants…
‘La Lituanie, c’est comme ça, bon, il y avait les enfants, des fois il faut bien rentrer en France, vous comprenez…’
Non, pas du tout…
‘Vous savez, on est libres, libres comme l’air, mais bon, les enfants ne le comprennent pas, ils disent qu’on devrait aller voir nos petits-enfants plus souvent… ils sont chiants n’est-ce pas ?’
Mais je ne vois toujours pas le rapport avec la Lituanie…
…
Et, petit miracle, la chérie a rappelé qu’il était temps d’aller faire quelques courses.
Lorsqu’un peu plus tard dans la matinée, un alsacien pure souche et pur accent s’est à son tour penché sur notre embarcation, prétextant ‘avoir vu un drapeau français’, nous comprenons notre imprudence : fanions allemands, français et européens sont aussitôt remisés en fond de carriole, et nous décidons que le départ ne pourrait plus tarder : ce serait pour le lendemain matin.
Nos adieux à Ugnė (qui à présent peine à même trouver le temps de se faire chauffer un peu d’eau…) sont chaleureux, nous échangeons nos adresses et coordonnées comme toujours, devinant comme à chaque fois qu’elles resteront probablement malgré nos intentions au fond d’un carnet ou d’un tiroir…
… mais qui sait…
Un dernier ‘atia !’ (‘salut’ se dit un peu comme ‘merci’ en lituanien, pas très éloigné de notre ‘atchoum’…), puis nous regagnons notre toile pour la nuit.
Demain matin, nous continuerons notre route, encore plus loin vers l’est..
Il pleut chaque matin, de 7:30 à 9:30, puis les nuages se dissipent pour laisser place à un soleil radieux, qui se voile à nouveau pour laisser un rideau de pluie extrêmement ponctuel balayer le paysage entre 14:30 et 15h, puis enfin, le beau temps revient.
Pas étonnant alors que les forêts soient à ce point peuplées de cueilleurs : ajoutée aux sols noirs et riches des sous-bois environnants, cette météo contribue à l’épanouissement d’un véritable paradis sylvestre qui sent décidément toujours autant la fraise… mais aussi agréable ce petit paradis soit-il, il va falloir penser bientôt à reprendre la route.
Une pensée qui devient même très vite une nécessité : la période de vacances vient en effet de commencer, et le camping, si calme et agréable, change rapidement de visage…
Si un tout petit mois s’est écoulé depuis notre départ de Berlin, et que cette dernière, au fil des kilomètres pédalés nous semblait loin, très loin même, la succession de camping-car provenant de cet autre côté de l’Europe nous rappelle rapidement (non sans nous crisper d’une manière étrange) que l’Allemagne n’est qu’à une journée à peine de route…
C’est ce que Bernd et Heidi, heureux retraités et nouveaux arrivants, nous confirmeraient dès le soir même, nous invitant à partager un Weinschorle sur une belle et grande table, dans des flutes à Champagne, tirés de leur énorme camping-car.
Ils viennent des environs de Cologne. A peu près 1500 bornes d’ici. 3 jours de route. Plutôt que de rouler d’une traite, ils ont préféré ‘prendre leur temps’ et profiter de ces 2 jours pour voir la Pologne. Il en ressort que la Pologne est sale et malodorante. Une chance qu’ils aient eu le berger allemand pour garder le camping-car !
Le lendemain matin, tandis que nous nous rendons aux douches, à peine réveillés, trousse de toilette à la main, nous déclinons poliment leur invitation à prendre le café…
… mais de retour à notre tente, nous tombons nez à nez avec un autre retraité en vadrouille en train d’observer de près notre embarcation. Le contournant pour rejoindre l’entrée de la tente et la remorque (située pourtant à 3 mètres l’une de l’autre), celui-ci ne semble pas dérangé le moins du monde de se trouver là.
Car, il faut le savoir, entre frères d’aventures, il y a une intimité qui va de soi.
Il a fait le tour de la terre, et bien des fois !! Les Philippines, la Colombie, l’Afrique et d’autres contrées encore… chaque nouveau départ est un nouveau rêve, une nouvelle excitation, une nouvelle aventure !! Et que de souvenirs….. ahhhh.
Peu enclin à débattre de la chose de si bonne heure, en particulier lorsque la discussion débute par ce qu’il faut bien appeler une intrusion, nous rangeons avec soin nos piles de vêtements tandis que cet exalté entame ses récits de voyage.
Et la Chine !! Ah bien sûr, la Chine !! Il faut passer les frontières la nuit ! Quels frissons… oui, c’est cela au fond, c’est le frisson après tout, n’est-ce pas ! C’est là toute la saveur du voyage vraiment… l’aventure et le frisson !! D’ailleurs, aux Philippines, …
Marie s’excuse, et s’éclipse : la voilà étrangement qui s’offre pour aller faire les courses sans même avoir à discuter le moins du monde… je la suis du regard, encore interdit par la spontanéité de l’esquive… me voilà seul, en tête à tête avec l’aventurier aux grands frissons.
‘Je sais ce que vous allez dire, ces pays-là, ils sont sûrs maintenant, mais c’est qu’on allait au fin fond des campagnes, où personne ne pouvait nous retrouver, au fin fond du trou du cul du monde ! C’est simple, on ne pouvait pas aller plus profond…’
Tandis que je graisse la chaîne, et vérifie un à un la tension des rayons, il parle, parle encore et toujours… et j’entends soudain ‘ahhhhhh, ma chérie !!’
Je me retourne : et effectivement, sa chérie l’a rejoint.
Présentations. Je n’ai d’autre choix correct que de me relever et saluer…
‘Et la nuit au poste de police en Colombie, tu te souviens ?! On a bien cru qu’on ne reviendrait pas…. On n’avait même pas nos visas !!’
La ‘chérie’ s’exclame et se souvient : ‘ouiiiii, mais qu’il faisait chauuuuuud !!’
Hé oui, on avait les sacs à dos, les grosses chaussures, la boue, les pluies, ouiiiii, c’est vrai ça ! Et puis on pouvait pas se laver tous les jours ! C’est qu’il faisait chaud là-bas !
Et elle de rebondir…
‘Oh, ouiiiiii, la sueuuuuuuuuuur’, et disant cela, c’est un drame racinien qui semble aussitôt s’interpréter.
‘La sueuuuuuuuuuuuuuur’… yeux mi-clos, légère cambrure et tête renversée… dos de la main sur le front… tout y est…
…
Pour mon plus grand malheur (et c’est une magie du couple), l’un et l’autre ravivent quelques souvenirs oubliés par leur moitié, et c’est un festival qui se joue devant moi. Continuant tous deux sans même plus prendre la peine de s’interrompre pour s’écouter, je regarde autour de moi si par hasard une chaise avait été prévue pour accueillir le public…
Tandis que leurs mots se mêlent, toujours plus denses et plus incohérents, ne veillant même plus à ne pas se contredire, je reste là, à les observer, et finis enfin par les ‘voir’, et aussitôt, une référence cinématographique peu glorieuse, me vient à l‘esprit : ‘John Wilder !’…
… oui, c’est exactement ça…
J’ai devant moi le mythique couple de la poursuite du diamant vert, ce film symptomatique des années quatre-vingt… si on leur rajoute les vingt-cinq / trente ans qui se sont écoulés depuis la sortie du film (et en y ajoutant encore une petite dizaine), cela doit coller…
Lui, chemise éclatante, cheveux longs brossés soigneusement, barbe taillée de près, et regard fier et complaisant, elle, chevelure brune (c’est une couleur) aérienne, mascara, cils étirés, est vêtue d’une robe ultralégère qui ne laisse que très peu deviner de ses chaires surexposées... je pense même de manière fugace à la mère de Sam Lawry… comment s’appelait ce film déjà….
‘Et Rio !!’
Oui, je remets le film… et je souris, dubitatif, tandis que le couple entame une samba très déhanchée…
… Pa pa paaaa pa pa padap, pa pa paaaa pa pa padap…
‘Mais que venez-vous alors faire ici, en Lituanie ??’…
Cette question, c’est moi qui l’ai posée.
J’ai profité lâchement d’un tout petit creux d’inattention non portée à eux-mêmes et à l’allégresse de la samba pour la lâcher… en plein dans le mille.
La samba s’est aussitôt interrompue, le Brésil fut éjecté à l’autre bout de la terre et les voilà bredouillants…
‘La Lituanie, c’est comme ça, bon, il y avait les enfants, des fois il faut bien rentrer en France, vous comprenez…’
Non, pas du tout…
‘Vous savez, on est libres, libres comme l’air, mais bon, les enfants ne le comprennent pas, ils disent qu’on devrait aller voir nos petits-enfants plus souvent… ils sont chiants n’est-ce pas ?’
Mais je ne vois toujours pas le rapport avec la Lituanie…
…
Et, petit miracle, la chérie a rappelé qu’il était temps d’aller faire quelques courses.
Lorsqu’un peu plus tard dans la matinée, un alsacien pure souche et pur accent s’est à son tour penché sur notre embarcation, prétextant ‘avoir vu un drapeau français’, nous comprenons notre imprudence : fanions allemands, français et européens sont aussitôt remisés en fond de carriole, et nous décidons que le départ ne pourrait plus tarder : ce serait pour le lendemain matin.
Nos adieux à Ugnė (qui à présent peine à même trouver le temps de se faire chauffer un peu d’eau…) sont chaleureux, nous échangeons nos adresses et coordonnées comme toujours, devinant comme à chaque fois qu’elles resteront probablement malgré nos intentions au fond d’un carnet ou d’un tiroir…
… mais qui sait…
Un dernier ‘atia !’ (‘salut’ se dit un peu comme ‘merci’ en lituanien, pas très éloigné de notre ‘atchoum’…), puis nous regagnons notre toile pour la nuit.
Demain matin, nous continuerons notre route, encore plus loin vers l’est..
lundi 11 juin 2012
mardi 5 juin 2012
Identité
Du souvenir.
Et par cette part de souvenir, indéniablement une part d‘identité.
Une identité héritée.
A travers l’histoire, à travers le temps… à travers la succession de forces en actions.
S’il est toujours intéressant d’observer quelque statue élevée sur son piédestal, il est souvent encore plus formateur de faire un pas de côté pour embrasser le temps au-delà de la stricte actualité. Remonter les décennies, les siècles, parfois les millénaires, pour jauger de la pérennité de l’œuvre, et de son poids temporel.
Ainsi, sur le grand échiquier de l’Histoire, apparaissent par cet exercice les véritables figures influentes. Certaines pièces s’en vont et s’en viennent sans jamais disparaître, et valsent ainsi au gré des puissances en action, tandis que d’autres pions semblent jetés dans l’oubli dans un mouvement implacable, sitôt éclos…
De cette valse de figures ne semble demeurer au fil du temps que ce qui aura peu à peu su faire consensus à travers l’Histoire, et qui, prenant dès lors racine, s’inscrira par ce qu’il représente dans un mouvement de construction d’une identité historique, maintes fois rabotée et édulcorée par les vainqueurs jusqu’à ce que les angles n’en aient été totalement effacés…
Comme tout spectacle, cette valse des figures a ses coulisses.
Des coulisses où doublures, figurants et costumes, s’entassent et s’oublient à l’ombre des projecteurs… s’oublient à l’ombre du souvenir.
Grutas, sans conteste, est une de ces coulisses de l’Histoire.
De l’Histoire de l’Est, et du XXème siècle.
Retirés de ce drôle de parc, après lente décantation, nous voilà revenus dans notre bonne vieille année de 2011.
Ugnė nous accueille avec force thé et pâtisseries, tandis que les klaxons se font de plus en plus fréquents à la barrière du camping.
La période de vacances débute effectivement aujourd’hui.
Le malaise du parc a fini par se diluer, le tournis de la multitude par se dissoudre, et la pâte onctueuse du présent mêlé d’arômes et de soleil par nous envelopper à nouveau.
Le véritable travail de réflexion va ainsi pouvoir commencer.
‘To soviet underground Partisans’ (‘Советским партизанам подполЬщикам’ en russe) est une sculpture colossale qui trône sur la place principale du parc.
Pourquoi y trône-t-elle ? Est-ce par pur soucis pragmatique (le seul lieu où il était possible de l’entreposer), ou bien Malinauskas (le fondateur du parc) avait-il à cœur que tout visiteur, après avoir franchi les tourniquets de l’entrée, tombe nez à nez avec elle, pour une raison qui resterait à découvrir ?
La question mériterait sans doute une réponse, mais quoi qu’il en soit, effet escompté ou non, c’est bien elle qui cristallisa toute notre attention, et qui conduirait alors nos modestes recherches.
Recherches qui s’avéreraient fort instructives, et dont voici le fruit en condensé...
Déboulonnée en 91, cette sculpture avait été inaugurée seulement 8 années auparavant, en 83, à Vilnius (capitale de la Lituanie).
L’histoire à laquelle elle fait référence remonte toutefois à quarante ans plus tôt, il faut en effet revenir à la seconde guerre mondiale.
Les premiers résultats de recherche nous apprennent que ces ‘partisans’ étaient envoyés par Moscou pour alimenter les mouvements de résistance des pays de l’est alors occupés par les nazis.
S’ils sont à l’honneur en 83, il n’en est toutefois pas de même en 43.
L’occupation préalable de la Lituanie par l’armée rouge quelques années plus tôt et l’épuration du pays qui s’en est suivie est alors encore présente dans toutes les mémoires, et ce retour des forces de l’Est n’est guère bien accueillie…
… mais à peine commençons-nous, qu’il faut tirer sur le fil de l’Histoire, et revenir encore en arrière pour comprendre tout cela...
… il faudrait certainement commencer encore plus tôt… remonter environ 4 années de plus.
Et arriver au 23 août 39.
Le 23 août 39 est en effet une date clef du XXème siècle. Une date où deux puissances se sont penchées sur quelques cartes géographiques du monde pour y jeter leurs filets d’expansion.
Une photo célèbre commémore l’accord passé ce jour par ces deux puissances. Elle trône bien évidemment en évidence dans le capharnaüm de la bicoque bondée de Grutas.
En arrière-plan, un moustachu qui deviendrait célèbre : Staline.
Il est debout et se tient derrière, sur la gauche d’un bonhomme attablé, petite moustache et lunettes, en train d’écrire : Molotov, alors chef du gouvernement de l’URSS.
Oui, du même nom que les cocktails, mais c’est une autre histoire.
Derrière Molotov, sur sa droite, un homme semble veiller par-dessus son épaule à la bonne ratification du document.
Cet homme, c’est Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du IIIème Reich.
Et ce document, c’est le traité de non-agression entre l'Allemagne et l'URSS, également nommé (pour des raisons évidentes), Pacte Molotov-Ribbentrop (ou encore pacte germano-soviétique).
Si ce traité, comme on s’en doute, avait pour objectif un renoncement à toute action armée entre les deux partis, il contenait également quelques clauses restées longuement secrètes (leur existence ne serait reconnue par l’Union soviétique qu’en 89, soit tout de même cinquante années plus tard), qui définissaient tout simplement comment les deux partis comptaient se départager les territoires qui les séparaient alors, parmi lesquels la Pologne et les pays baltes, dont la Lituanie.
Sitôt dit, sitôt fait, les évènements de Westerplatte que nous avons déjà évoqués purent avoir lieu dès septembre 39, soit un peu plus d’une semaine après la ratification du pacte, et l’invasion de la Pologne se dérouler comme prévu en un tout petit mois, pour enfin pouvoir se partager le gâteau.
La Lituanie, qui selon le pacte évoqué plus haut devait tomber en zone d’influence allemande, fut finalement cédée à l’URSS pour des raisons stratégiques à l’occasion d’une petite révision du traité, et dès le mois d’octobre, les troupes de l’armée rouge stationnèrent sur tout le pays ‘pour le défendre de la menace nazie’, non sans avoir invité la Lituanie à ratifier un traité d’assistance mutuelle.
Bref, il ne nous reste plus qu’à préciser que dès l’été suivant, sous un quelconque prétexte de trahison, la Lituanie fut tout simplement occupée par l’armée en place puis annexée à l’URSS à l’issue d’élections truquées, pour en arriver à la période consécutive de dissolution de gouvernement, de répression, d’arrestations, d’emprisonnements, de déportations et d’exécutions que le pays aurait à endurer et qui expliquerait enfin que les partisans soviétiques ne seraient pas accueillis en triomphe un an plus tard...
Les plus attentifs se demanderont alors pourquoi envoyer des partisans soviétiques… en terre soviétique ??
… parce que l’Histoire se répète.
Tel Napoléon franchissant le Niémen malgré le Traité de Tilsit, le Führer ne tarda pas à lancer ses troupes vers la Russie (opération barbarossa), rompant alors ledit pacte.
Environ un an après l’annexion de la Lituanie par l’URSS et les persécutions qui s’ensuivirent (et plus anecdotiquement pour les français qui nous liraient, un an jour pour jour après la signature de l’armistice entre la France et le IIIème Reich), les troupes nazies furent dirigées vers l’Est et occupèrent rapidement les pays annexés par l’URSS (juin 41).
Dans les pays baltes, elles furent alors accueillies comme ‘libératrices’.
Sursaut nationaliste, vagues anticommunistes, les rancœurs purent alors s’exprimer, les règlements de compte s’en donner à cœur joie, encouragés par le nouvel occupant qui ne tarderait pas à détourner cette énergie sur l’ennemi juré du Reich.
Ainsi, les Einsatzgruppen suscitèrent des attaques spontanées de la population locale contre les juifs, réalimentant d’anciens relents antisémites. Des pogroms ne tardèrent pas à éclater dans les principales villes (comme à Kaunas alors capitale de Lituanie), et les massacres à se perpétrer (tels Poneriai, près de Vilnius)…
Des volontaires locaux intégrèrent bientôt les rangs des groupes d’intervention nazis en tant qu’auxiliaires ('Hiwis'), contribuant à l’extermination des juifs, ainsi qu’à la lutte contre… les partisans.
Ces partisans, que nous retrouvons enfin, investis par Moscou dès l’été 42, qualifiés de ‘saboteurs’ et de ‘terroristes’ par les nazis, et qui regroupent alors des prisonniers de l’armée rouge, des juifs persécutés, mais également quelques civils devenus hostiles aux atrocités perpétrées par ce ‘libérateur’…
Un nombre de civils cependant encore trop peu important pour que ces partisans n’aient pas à faire face à l’hostilité de la population locale.
Dès 44, au fur et à mesure que les nazis reculent sur le front russe, et que l’armée rouge s’apprête à reprendre les territoires de l’Est, les partisans deviennent toutefois de plus en plus actifs, opérant contre les armées allemandes (et donc les Hiwis), mais également contre les organisations indépendantistes baltes, et si nécessaire, contre les populations locales.
Environ quarante ans plus tard, au cœur de la capitale lituanienne, c’est en leur hommage que sera célébrée cette imposante sculpture qui, aujourd’hui tombée en désuétude, accueille le visiteur du parc Grutas et sert de décor au jeu de cache-cache des nouvelles générations, en bordure de tourniquets et balançoires multicolores...
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vendredi 1 juin 2012
Colonne de la Place Vendôme - Extraits wikipédiques
La place Vendôme, voulue par Louis XIV, comporte en son centre au XVIIIème siècle une statue équestre du Roi-Soleil. La place est alors baptisée place Louis le Grand.
En 1792, les révolutionnaires détruisent la statue, symbole du pouvoir royal.
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En 1800, un décret envisage la construction d'une colonne, au chef-lieu de chaque département, et dédiée aux braves du département. À Paris, une colonne nationale sur la place de la Concorde, dédiée à la Nation et une départementale sur la place Vendôme sont décidées le 20 mars (29 Ventôse an VIII), par Bonaparte Premier Consul.
La colonne nationale ne voit jamais le jour, celle projetée sur la place des Piques (place Vendôme) a un début d'existence : Lucien, frère de Napoléon Bonaparte et ministre de l'Intérieur, pose la première pierre du monument le 14 juillet 1800 (25 Messidor An VIII).
Sans aboutir, l'idée est reprise en 1803 par le Premier Consul qui confirme la construction d'une colonne place Vendôme « à l'instar de celle élevée à Rome, en l'honneur de Trajan », ornée de 108 figures des départements montées en spirale et surmontée de la statue de Charlemagne ».
D'abord dédié à la Gloire du Peuple Français, la colonne devient rapidement à la gloire de Napoléon Ier.
La construction est lente et il faut attendre 1805 et la fonte de 1 200 canons pris à l'ennemi, principalement russes et autrichiens, (au total 180 tonnes) pour que le projet, relancé par Vivant Denon, avance.
Le 25 juin 1807, c’est sur un radeau flottant sur le Niémen que le tsar Alexandre Ier et Napoléon Ier signent le traité de Tilsit.
Celui-ci divise l’Europe entre les deux puissances : Napoléon Ier donne naissance au duché de Varsovie en privant la Prusse de la Posnanie et de la Mazovie. Le district de Białystok échoit à la Russie. La ville de Dantzig devient une République indépendante.
Achevée en 1810 et dédiée à la gloire des armées victorieuses, la colonne est baptisée colonne de la Grande Armée. Une statue de Napoléon en César par le sculpteur Antoine-Denis Chaudet (1763-1810) est placée au sommet.
Le 2 avril 1810, Napoléon épouse l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche dans le Salon carré du Louvre, qui, le 20 mars 1811, lui donnera un fils.
Le 23 juin 1812, la Grande Armée, sous le commandement suprême de Napoléon Ier, franchit le Niémen, acte hautement symbolique marquant définitivement le début de la campagne de Russie, qui devait quelques mois plus tard échouer de manière dramatique dans les rigueurs de l’hiver russe.
Des 600 000 hommes qui entrèrent en campagne, seuls quelques dizaines de milliers franchissent la Bérézina. La Grande Armée est détruite.
En 1814 se forme une alliance entre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, l'Empire russe, le Royaume de Prusse et l’Empire d'Autriche. Malgré une série de victoires (batailles de Champaubert, Montmirail, etc.) remportées par Napoléon à la tête d’une armée de jeunes recrues inexpérimentées (les « Marie-Louise »), Paris tombe le 31 mars et les maréchaux forcent l'Empereur à abdiquer.
Lors de l'occupation de Paris par les troupes alliées, la statue est enlevée à l'initiative du marquis de Maubreuil et de Sosthène de La Rochefoucauld et remplacée par un drapeau blanc fleurdelisé pendant la Restauration.
En 1818, elle est fondue pour réaliser la statue équestre de Henri IV sur le Pont Neuf.
Sous la monarchie de Juillet, une nouvelle statue de l'empereur, en petit caporal, par Charles Émile Seurre, (aujourd'hui aux Invalides), est placée au sommet de la colonne le 28 juillet 1833, en présence de Louis-Philippe, soucieux de capter à son profit un peu de la gloire de l'Empire.
Napoléon III, estimant que cette précieuse statue est en péril au sommet de la colonne, la fait déposer et remplacer en 1863 par une copie de la première statue en empereur romain de Chaudet, réalisée par le sculpteur Auguste Dumont.
Lors de l'insurrection de la Commune de Paris, le peintre Gustave Courbet adresse une pétition au gouvernement de Défense nationale le 14 septembre 1870 demandant « à déboulonner la colonne, ou qu'il veuille bien lui-même en prendre l'initiative, en chargeant de ce soin l'administration du Musée d'artillerie, et en faisant transporter les matériaux à l'hôtel de la Monnaie ».
La Commune de Paris au pouvoir, les fins en deviennent plus radicales :
« La Commune de Paris, considérant que la colonne impériale de la place Vendôme est un monument de barbarie, un symbole de force brute et de fausse gloire, une affirmation du militarisme, une négation du droit international, une insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, un attentat perpétuel à l’un des trois grands principes de la République française, la fraternité, décrète : article unique - La colonne Vendôme sera démolie. »
Le 16 mai 1871, la colonne est abattue, non sans difficulté. Les plaques de bronze sont récupérées.
Après la chute de la Commune, le nouveau président de la République, le maréchal de Mac-Mahon, décide en mai 1873, de faire reconstruire la Colonne Vendôme aux frais de Gustave Courbet (soit plus de 323 000 francs selon le devis établi).
Gustave Courbet obtient de payer près de 10 000 francs par an pendant 33 ans, mais meurt avant d'avoir payé la première traite.
La statue de l'empereur est depuis lors visible au sommet de la colonne reconstruite, toujours Place Vendôme.
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