Druskininkai a su trouver les arguments pour que nous lui rendions visite…
Annoncée à 70km de Sejny, celle-ci a fait un bon petit saut de vingt kilomètres pour se rapprocher de nous : il nous suffit pour cela de rouler à travers forêts et campagnes, et d’emprunter les chemins de traverse. C’est en effet ce que nous révèle un rapide coup d’œil sur la carte géographique de la région.
‘Druskininkai, à 70 km d’ici’… réflexe naturel de celui pour qui parcourir le monde signifie rouler sur le bitume.
Ce même bitume que nous quittons d’ailleurs avec joie, très peu de temps après avoir quitté Sejny. Avec joie : car la campagne qui s’offre à nous a tout de ces lieux intimes que l’on croirait isolés du monde, et où, par conséquent, la vie s’exprime naturellement.
Le lieu où l’enfant est libre de courir, où les hommes, par grande chaleur, travaillent en chemises courtes sur quelques poutres, où les femmes, en tenues aussi légères, fichu sur la tête, binent ou retournent la terre… les maisons, de bois, se sont espacées, juste ce qu’il faut pour respirer et avoir un œil sur le voisin. Un demi kilomètre, ou deux, selon la nature et la généalogie du propriétaire…
Barrières et clôtures ont été gommées du paysage.
L’espace est un lieu ouvert.
Tandis que nous flottons sur la piste si peu tassée, les bras tendus sur le guidon hésitant, des visages étonnés se tournent vers nous. Parfois, un enfant est rappelé dans les jupes de sa mère, mais la surprise l’emporte sur la réaction.
Le laba diena nous offre des hochements de tête graves, parfois même quelques sourires. Un homme d’un certain âge, torse nu et bronzé, maillet à la main, se redresse de par-dessus son ouvrage et nous salue, s’interrompant pour nous suivre du regard. Une certaine bienveillance se lit sur les rides creusées au bord de ses yeux.
Les derniers hectomètres défilent ainsi dans une étrange atmosphère de matin de vacances d’été : des cris d’enfants, des coups de marteau, des voix de femmes, entrecoupés de silences, de chants d’oiseaux, et du crissement de nos roues sur le gravier.
Chaleur odorante, hésitante de matin d’été…
Et peu à peu, comme nous le ferions de nos montres un soir de Saint Sylvestre, nous multiplions les regards sur le compteur… le décompte vers le kilomètre 0 est lancé.
La piste n’en finit pas de se dégrader, et nous nous demandons même si elle débouchera. Elle longe quelques taillis, suit l’orée d’un bois, puis s’y enfonce. Les branches de quelques hêtres se rejoignent en arches au-dessus de nos têtes ; de larges flaques s’y sont abritées, rafraîchissant soudainement l’espace couvert, et le bas de nos mollets…
Le doute nous gagne peu à peu, tandis que le km 0, à en croire le compteur, n’a jamais été aussi près…
Nous ralentissons tandis que nous traversons ces flaques sans fond… le bruit de nos roues se fait de plus en plus grave au fur et à mesure qu’elles s’y enfoncent.
Pierres rondes invisibles qui jouent avec notre sens de l’équilibre…
…
Nous serions-nous plantés ?...
…
Flaques et ombre au sol disparaissent d’un seul coup.
Au-delà du couvert, aveuglante de clarté, une franche ligne droite de gravier s’ouvre une voie royale à travers la forêt.
Sapins et hêtres, respectueusement en retrait de la piste, accélèrent alors, de chaque côté, tandis que le décompte s’affole et s’essouffle, sur le point d’expirer tout à fait…
… là-bas, quelque chose… un point bleu, qui grossit petit à petit…
La piste se redresse, l’air se densifie, le point continue de gonfler…
.. un cercle d’étoile semble se dessiner…
C’est ce que je crois discerner au moment précis où je suis propulsé en avant…
… au moment où l’étrange phénomène se produit…
… ce moment précis du kilomètre zéro, où notre embarcation fut avalée par un trou spatiotemporel et se mit à s’allonger démesurément….
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