Lorsqu’arrive le moment tant redouté de refermer un livre qui nous a tant plu, nous sommes souvent pris d’une profonde mélancolie. Par chance, parfois le livre a-t-il une suite, mais cette suite elle-même, si elle reste aussi savoureuse, nous laissera de même sur un sentiment tout aussi désarmant une fois la dernière page parcourue. Et le problème reste alors entier.
Pour distiller cette mini détresse, certains se remémorent l’histoire, l’intrigue, quelques temps forts… rien qu’une petite goutte, juste une. Il est alors si dur de retomber dans l’ici et le maintenant !
Pour rester ‘entre ces deux temps’, il est alors souvent agréable de poser le livre à terre et de monter sur une échelle (bien sûr, ne prenez pas cette phrase à la lettre !...). De prendre du recul, et d’essayer d’appréhender les contours, la structure. Les articulations, et la construction de l’ensemble.
Et de se demander en quoi ce livre nous a tant plu (se demander en quoi il nous a déplu est d’ailleurs une question toute aussi intéressante, mais qu’étrangement, on préfère souvent écarter…). Se demander en tout cas ce qu’il nous a apporté, et en quoi il nous a changés.
À la veille de traverser la première frontière des pays baltes, en nous allongeant comme des sultans sur un lit moelleux du consulat, et de surcroît après une délicieuse douche, le moment nous semble idéalement choisi pour poser par terre ce bout de Pologne que nous avons traversé et le regarder du haut de l’échelle.
Ce sont avant tout des visages qui nous reviennent. Ceux des personnes qui, un instant durant, nous ont ouvert leur quotidien, se sont arrêtées un moment pour nous faire part de leur ‘vie’. De leurs valeurs, de leurs espoirs, de leurs fiertés. De leur colère, de leur frustration. De leur passion.
Et puis, plus nombreuses, toutes ces silhouettes que nous avons simplement croisées. Le grand-père sur sa voiturette. Les porteurs d’eau croisés en bord de route. L’armée d’ouvriers qui construisent voiries et trottoirs. Le faucheur à la faux, aux chemises de toile épaisse…
Et plus encore.
Et chacune de ses personnes, croisée à un instant de vie, un instant d’action, ou d’inaction, de joie ou de peine.
De cette Pologne traversée, que garder alors en mémoire ?...
Le temps est le fluide au sein duquel le vécu se dilue pour n’en extraire que l’essentiel. Mais nous sommes toujours impatients, et voulons toujours savoir le plus vite possible... l’immédiateté est un nouveau règne et nous transforme tant.
De cette dictature du temps, surgit en nos esprits un contour, par lequel un bout de la pelote semble se présenter. La jeunesse.
La jeunesse, ce temps éternel et éphémère.
Dorota. Son enthousiasme et sa volubilité.
La jeunesse expatriée. Mobile, et enthousiaste. Aux manches retroussées, et à la Foi inébranlable. Voici bien une des articulations de cette grande pelote.
Une jeunesse dispersée qui laisse l’espace au cœur du pays, loin des grandes villes, comme… quel est le mot inverse d’’orphelin’ ?
De fait, une fracture évidente s’est ouverte. Le monde des campagnes, où ne restent que parents et grands-parents vieillissants, semble s’être figé. Un monde sans relève, toujours plus fragile, chérissant en son for intérieur l’ancien temps... le temps d’un autre régime, d’un autre monde. Plus sûr… en tout cas, moins incertain.
L’année prochaine, la Pologne devrait intégrer la Zone Euro. Un passage qui, au regard de l’inflation de ces dernières années, se promet déjà, pour les plus fragiles, douloureux…
Certains parmi vous auront peut-être compris ‘Euro’, comme la coupe européenne de football !
Ce n’est pas forcément mal interprété. Aux dernières nouvelles, le financement des infrastructures correspondantes (qui devait initialement être porté à 80% par des initiatives privées) devrait être apporté par des finances publiques, en période de grande frilosité… et les jeux de 80, par analogie, nous reviennent forcément en tête.
Et le fond du problème nous semble finalement trente ans plus tard identique.
Derrières les athlètes, se sont toujours valeurs et zones d'influences qui s’affrontent. La discothèque Miami, les photos de Las Vegas dans la salle de jeu Hadès, et les rivières déversées par les tubes cathodiques (ou écrans plats…) conduisent tous dans le même sens.
Le jeu. Le plaisir. Le devoir du plaisir.
L’argent. La possession. La démonstration.
…
‘You must be ambition !’
Le lapsus de Dorota nous revient en tête…
La transformation est en cours.
Les opportunités professionnelles se multiplient à celui qui adopte la mobilité, l’anglais est de plus en plus parlé, ainsi que l’allemand. Pistes cyclables et grandes surfaces se déroulent telles un tapis ancré de l’autre côté du Rhin, et de nombreuses infrastructures sur financement européen sont accueillies avec grande satisfaction. La conversion est en cours.
Pour les convertis, l’émulation européenne semble flotter. Un réel contraste avec le marasme franco-français, ce pays si familier et parfois si étranger qui en cet instant nous semble si ‘loin’…
Loin de cette émulation. Loin de cette Foi de jeunesse…
Dans la salle de jeu Hadès, les flèches de la cathédrale de Köln.
L’Allemagne est en effet un modèle pour le jeune polonais, aussi prégnant que l’american way of life fantasmé. Et bon nombre de membres de cette jeunesse convertie franchit d’ailleurs l’Oder avec un réel enthousiasme. Un partenariat franc et massif qui semble laisser la France (peut-être trop frileuse, ou simplement autocentrée…) en marge des dynamiques actuelles.
Signe des temps, une gigantesque pancarte a été déployée, avenue ‘Unter den Linden’, au cœur du cœur de Berlin. Une reconnaissance adressée au jeune trentenaire polonais, ‘locomotive’ concrète de l’Europe actuelle…
… ce trentenaire, au retour aux sources (à l’image d’Ywonne), sera-t-il capable de remédier à la double fracture (sociale, environnementale) qui gagne son pays ? Saura-t-il s’émanciper de sa ‘grande sœur’ et développer son propre modèle sans renier son histoire ?
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Le long de cette même avenue, il y a 2 ans, se jouait l’un des plus grands moments festifs qu’ait connu l’Europe ces dernières décennies.
Le vingtième anniversaire de la chute du mur.
Géants et dominos à la fête, et Merkel, au bras de Walesa, invité d’honneur.
Walesa, cette figure nationale, ce symbole.
Comme vingt ans auparavant, nous faisons office de figurants.
A l’Est, une nouvelle Europe se créée.
Une jeune Europe. De vingt ans à peine.
Une Europe adolescente, dynamique, insolente, et fragile…
… et étrangement, nous ne semblons pas la voir, ou peut-être préférons-nous l’ignorer.
De cette Pologne, l’esprit commun tricolore ne retient actuellement que son plombier, et peut-être (encore), sa figure papale…
Et dans nos têtes résonne justement cette voix, claire et portée au-delà des frontières…
‘Non abbiate paura !’
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