mardi 31 janvier 2012

Cartes du monde...

Peut-être avez-vous déjà essayé de vous procurer une carte du monde.
Ou même de l'Europe.


Pris votre maison comme cible, piquée de la pointe d'un compas, puis tracé des cercles plus ou moins grands pour appréhender certaines distances 'vu de chez vous'. Mesuré la distance minimale avec une mer, et déterminé la plage la plus proche, à 823,47km de la cuisine. Ou, à l'inverse, mesuré la distance la plus faible avec le premier sommet au-delà de 4000m. Ou encore, découvert que Budapest, à vol d'oiseau, n'est guère plus éloignée que ne l'est Brest...


Le genre d'exercice ou de petit jeu qui remet d'une certaine manière 'à plat' la géographie.

Jeu auquel nous pourrions nous prêter pendant des heures...




Il y a toutefois quelque chose de particulièrement... désappointant (et nous détestons être désappointés !), c'est bien sûr qu'aucune carte n'est jamais centrée sur notre maison.


Les plus proches nous ferons remarquer non sans raison que ce serait fort difficile dans la mesure où nous déménageons régulièrement. N'empêche : c'est désappointant tout de même.




Car pour mettre tout cela à plat, il faut sans cesse rafistoler, bricoler, mettre bout à bout des bouts de cartes, aux échelles qui plus est diverses, et aux légendes variées... bref : il n'est pas si évident de disposer de jolies cartes globales et uniformes pour avoir une vue d'ensemble, et appréhender un territoire 'du haut de l'échelle', indépendamment des cloisonnements patriotiques...


La plupart des cartes se concentrent en effet sur un pays (ou une région, un département, ce qui est encore pire). Et s'il y a vraiment un peu de rab en bord du territoire, on peut avoir un petit bout du pays d'à côté, avec, si on a de la chance, une flèche en direction de la capitale et quelques axes autoroutiers.


Toujours ce découpage arbitraire...


...




Et cette manie du coloriage !


A croire que, vue de l'espace, notre planète serait une boule bleue sur laquelle on aurait assemblé des pièces de puzzle toutes plus bariolées les unes que les autres, comme ces vignettes magnétiques collectionnées sur la porte du frigo...

... oui, c'est à nous faire croire que Dieu aurait créé la Terre en mangeant des boîtes de fromage ou de céréales, et que lorsqu'Il n'eut plus faim, Il s'est contenté de remplir de bleu ce qu'il restait.



Encore cet incidieux besoin de marquer le territoire, de revendiquer ou de distribuer... c'est une carte colonialiste, n'ayons pas peur des mots !




N'est-ce pas désappointant au possible ?




 ...




Pour se sortir de ce que l'on peut sans exagération appeler un 'filet......... jeté sur le monde' (je vois que vous commencez à saisir le concept !), il peut être parfois salutaire de tout renverser, tout retourner, comme nous le ferions d'une de ces boules remplies d'eau et de flocons de neige factice. Un mouvement de poignet et tout s'égaye, tout se mêle et tout recommence..... considérez plutôt :




N'y a-t-il pas soudainement comme une remise à zéro de la géographie ?...



Cet étrange cloisonnement géographique de l'esprit nous interpelle à chaque fois que nous franchissons une frontière.

La carte bariolée de l'école tendrait à nous faire croire que la Pologne est un pays vert, et la Lituanie, un pays marron.

Pour qui nous prend-on....


Puisqu'en cet instant, nous nous trouvons précisément de part et d'autre de cette frontière (et donc séparés d'une heure l'un de l'autre), il nous a paru opportun de tordre le cou à cette vision des choses.

Voici donc rien que pour vous 2 clichés réalisés de part et d'autre de la frontière pololitanienne.



Toute ressemblance avec des pays ayant existé, etc.......... 

  

dimanche 29 janvier 2012

Changement d'heure

‘En 2011, les Samua et les Tokelau sont passées directement du 29 décembre au 31 décembre’ - Wikipedia

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Langue, réseau routier, médias, frontières… nous avons jusqu’ici déjà évoqué quelques-uns des ‘filets jetés sur le monde’ qui influent sur notre perception de celui-ci. Mais il en est un qui serait peut-être encore plus marquant que tout autre, puisqu’il concerne chaque être dès son premier souffle : le concept temporel.

Un des maillages de ce nouveau filet se nomme ‘fuseau’.
Le fuseau horaire, bien évidemment.




Nous voyons souvent sur les murs de maternelles des petites horloges dessinées à divers moments de la journée. Chaque position de l’horloge représente une activité quotidienne. Le réveil, le petit déjeuner, le chemin pour l’école, le repas du midi, le retour à la maison pour le goûter, le souper et le coucher, avec, si l’enfant a été sage, une petite histoire pour agrémenter ses rêves…

Dès le plus jeune âge, l’apprentissage de la lecture des aiguilles de l’horloge se mêle alors à celui du rythme synchronisé de la journée type. Du rythme standard, où l’heure et le temps, si semblables, finissent par se confondre.

Cet apprentissage commun facilite bien la vie : quand, quelques années plus tard, tous se donnent rendez-vous à la même heure, ils parviennent à se retrouver, aux retards de courtoisie près...


Mais comme pour toute chose, quelques difficultés commencent à apparaître dès que nous franchissons une maille du filet. Dans le cas présent, quand nous sautons un fuseau. Ou quand nous changeons d’heure.

Chacun connaît une ou plusieurs personnes qui buguent systématiquement deux fois par an, les derniers week-end de mars ou d’octobre.

‘On saute ou on recule d’une heure?’…
‘Et quand on avance d’une heure, cela veut dire qu’on dort une heure de plus, non ?’

‘Et… et si on la recule, on vit deux fois la même, mais il fait jour plus tard… enfin je crois… c’est bien ça ?’

...
Malgré de patientes explications, les mêmes expressions de perplexité proches de la rupture d’anévrisme gagnent les visages à chaque fois…..


On le voit bien, la question est absolument primordiale.

Il y va de la double cohésion de l’individu : cohésion par rapport à la société qui l’entoure (imaginez que chacun décrète au petit matin au bonheur la chance sur quel fuseau il désire se caler pour la journée….. pas évident pour se coordonner), mais aussi cohésion par rapport aux rythmes naturels de la Terre, qui, elle, sans montre, tourne malgré tout son petit bout de chemin (‘Pas de Rolex bien après 50 ans... Et pourtant elle tourne !’…)…

Cela pourrait prêter à sourire, mais le sujet n’est pas si anecdotique que cela…


De la course du soleil ou du tic-tac mécanique (ou de l’oscillation du quartz), sur quel rythme faut-il se caler ?









‘Jérôme ! Youpi-goûter commence, c’est l’heure de rentrer !’

La mère de Jérôme est pragmatique. Elle a trouvé une alternative et cale la vie de son fils sur des repères temporels télévisuels. Lorsque Youpi-goûter commence, le jeu dans la grange doit se terminer, il faut rentrer.

C’est après tout un système qui en vaut bien un autre.
Et Jérôme, plus tard, rentrera également à heure fixe pour prendre rendez-vous avec l’écran à l’heure précise du coup d’envoi du match. On n’imaginerait pas regarder le match en différé, ou même l’enregistrer. Un match se regarde à l’heure du match, un point c’est tout.


Et, toujours indifférente à l’heure du match (et à son résultat), la Terre, toujours fidèle à elle-même, tourne, et la lune, et Mars et Jupiter, et le soleil et la Galaxie de même…

Les ellipses s’arrondissent, les jours raccourcissent et s’allongent à nouveau.

Le match, à la même heure, se joue alors parfois de jour, parfois de nuit.
Pas de quoi se formaliser après tout.


Parfois même faut-il se relever la nuit…

Coupe du Monde 94, aux Etats-Unis. Le coup d’envoi donné à 20h en heure locale fait lever notre Jérôme à 2h du matin.

Et, il faut bien le dire, c’est vraiment parce que les copains le valent bien…



Pendant ce temps-là, à peu près tout le règne animal dort, mis à part quelques hérissons, mulots ou chauve-souris. Et quand arrive l’hiver, quand même hérissons, mulots et chauve-souris dorment d’un long sommeil, Jérôme profite de son illimité Canal Sport pour suivre les résultats de la CAN, tout en zappant sur les résultats européens, avant d’enchaîner sur les chocs au sommet d’Amérique du Sud...

Un peu dur au réveil, mais bon…
C’est après tout un système qui en vaut bien un autre.




Lorsqu’en 1940, nos voisins d’outre Rhin investissent Paris, la France perd une heure.

C’est certes peu de chose comparé à toutes les autres pertes reportées dans les manuels d’Histoire, mais enfin, cette histoire est assez peu connue.

Paris, par la seule volonté d’un homme (ou d'un groupe, mais peu importe), a donc glissé de GMT+0 à GMT+1, laissant Londres une heure derrière elle (sans pour autant que les plages normandes ne reculent par rapport aux côtes britanniques...).

Une heure, nous direz-vous, c’est une bien modeste perte… et il faut avouer que cela ne change pas grand-chose au final.

Mais imaginez un instant que l’on ne nous ait pas subtilisé une seule heure, mais 12… ou même encore 24 ? Que ce serait-il passé ?

Aurions-nous vécu de nuit ?
Aurions-nous dû changer de date ?...

Et où est-elle passée cette heure ?



La crise de nerfs reprend déjà nos pauvres traumatisés des derniers dimanches de mars et d’octobre, tandis que d’autres pensent que tout cela n’est pas sérieux au fond.

Mais à l’ère d’un jeunisme triomphant, la question de la relativité du temps ne vaut-elle pas la peine d’être posée ? Si, par ces changements d'horaires arbitraires, nous avions la possibilité de vivre plusieurs fois une heure sans que le temps ne s’écoule, pourquoi se limiter à une seule ?

‘Parce que la Terre continue de tourner et les jours de s’écouler’ entend-on au fond de la salle d’un air blasé…

Qu’à cela ne tienne : et si, après tout, il suffisait de se déplacer sans cesse, et remonter fuseau après fuseau en se dirigeant toujours vers l’ouest pour vivre éternellement la même heure (et tant qu’à faire, l’heure du crépuscule flamboyant)?

Pour raccourcir un tel chemin en suivant le rythme solaire, nous pourrions nous rapprocher des pôles, histoire de réduire les distances et, pourquoi pas d’ailleurs, nous y rendre tout à fait…

(D’ailleurs : quelle heure est-il aux pôles ?)


Et, si je décide à l'inverse de précéder le soleil et de voler toujours vers l'est, et que j’arrive à GMT+12, que se passe-t-il lorsque je franchis le dernier maillon du filet ?...

Que je franchis la ligne de changement de date ?





Tout globe-trotter qui aura fait son tour du monde en bonne et due forme aura déjà ressenti ce vertige.

Heure et temps, sont de vrais faux amis.

L’une cadre et dirige nos actions ; l’autre se fait discret, et s’écoule implacablement dans nos veines.

Et sans doute est-ce là le plus pernicieux des filets…





Entrefilet

‘En 2011, les Samoa et les Tokelau sont passées directement du 29 décembre au 31 décembre. Elles ont déplacé ainsi la ligne de changement de date, qui passera dorénavant à l'est de leur territoire, plutôt qu'à l'ouest. Cette mesure est destinée à faciliter les relations commerciales avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande et l'Asie, en évitant un décalage d'une journée avec ces partenaires’.

mercredi 25 janvier 2012

Devinette n°8 : trou spatiotemporel

Considérant 2 points JP et M séparés de d0=1m l'un de l'autre et en mouvement sur une même embarcation à la vitesse de 18km/h, déterminer l'allongement relatif de d (distance entre les deux points, notée Δd) lorsque, toujours à vitesse constante, le point JP se situe à t=45112,2 de la journée (t en secondes), et le point M à t=41512.

Pour résoudre cette énigme, on pourra :
- déterminer le temps qui sépare les deux points
- considérer la vitesse constante, et en conclure ce qui doit être conclu...


Kilomètre 0

Druskininkai a su trouver les arguments pour que nous lui rendions visite…

Annoncée à 70km de Sejny, celle-ci a fait un bon petit saut de vingt kilomètres pour se rapprocher de nous : il nous suffit pour cela de rouler à travers forêts et campagnes, et d’emprunter les chemins de traverse. C’est en effet ce que nous révèle un rapide coup d’œil sur la carte géographique de la région.


‘Druskininkai, à 70 km d’ici’… réflexe naturel de celui pour qui parcourir le monde signifie rouler sur le bitume.


Ce même bitume que nous quittons d’ailleurs avec joie, très peu de temps après avoir quitté Sejny. Avec joie : car la campagne qui s’offre à nous a tout de ces lieux intimes que l’on croirait isolés du monde, et où, par conséquent, la vie s’exprime naturellement.

Le lieu où l’enfant est libre de courir, où les hommes, par grande chaleur, travaillent en chemises courtes sur quelques poutres, où les femmes, en tenues aussi légères, fichu sur la tête, binent ou retournent la terre… les maisons, de bois, se sont espacées, juste ce qu’il faut pour respirer et avoir un œil sur le voisin. Un demi kilomètre, ou deux, selon la nature et la généalogie du propriétaire…

Barrières et clôtures ont été gommées du paysage.
L’espace est un lieu ouvert.



Tandis que nous flottons sur la piste si peu tassée, les bras tendus sur le guidon hésitant, des visages étonnés se tournent vers nous. Parfois, un enfant est rappelé dans les jupes de sa mère, mais la surprise l’emporte sur la réaction.

Le laba diena nous offre des hochements de tête graves, parfois même quelques sourires. Un homme d’un certain âge, torse nu et bronzé, maillet à la main, se redresse de par-dessus son ouvrage et nous salue, s’interrompant pour nous suivre du regard. Une certaine bienveillance se lit sur les rides creusées au bord de ses yeux.

Les derniers hectomètres défilent ainsi dans une étrange atmosphère de matin de vacances d’été : des cris d’enfants, des coups de marteau, des voix de femmes, entrecoupés de silences, de chants d’oiseaux, et du crissement de nos roues sur le gravier.

Chaleur odorante, hésitante de matin d’été…


Et peu à peu, comme nous le ferions de nos montres un soir de Saint Sylvestre, nous multiplions les regards sur le compteur… le décompte vers le kilomètre 0 est lancé.

La piste n’en finit pas de se dégrader, et nous nous demandons même si elle débouchera. Elle longe quelques taillis, suit l’orée d’un bois, puis s’y enfonce. Les branches de quelques hêtres se rejoignent en arches au-dessus de nos têtes ; de larges flaques s’y sont abritées, rafraîchissant soudainement l’espace couvert, et le bas de nos mollets…

Le doute nous gagne peu à peu, tandis que le km 0, à en croire le compteur, n’a jamais été aussi près…

Nous ralentissons tandis que nous traversons ces flaques sans fond… le bruit de nos roues se fait de plus en plus grave au fur et à mesure qu’elles s’y enfoncent.

Pierres rondes invisibles qui jouent avec notre sens de l’équilibre…



Nous serions-nous plantés ?...



Flaques et ombre au sol disparaissent d’un seul coup.

Au-delà du couvert, aveuglante de clarté, une franche ligne droite de gravier s’ouvre une voie royale à travers la forêt.

Sapins et hêtres, respectueusement en retrait de la piste, accélèrent alors, de chaque côté, tandis que le décompte s’affole et s’essouffle, sur le point d’expirer tout à fait…

… là-bas, quelque chose… un point bleu, qui grossit petit à petit…

La piste se redresse, l’air se densifie, le point continue de gonfler…

.. un cercle d’étoile semble se dessiner…

C’est ce que je crois discerner au moment précis où je suis propulsé en avant…

… au moment où l’étrange phénomène se produit…


… ce moment précis du kilomètre zéro, où notre embarcation fut avalée par un trou spatiotemporel et se mit à s’allonger démesurément….

lundi 23 janvier 2012

Réponse devinette n°7 : la frontière invisible...

Comment diable rejoindre ces 9 points par quatre droites sans relever le crayon ?!




Cette énigme connue est tout à fait intéressante : elle met en effet en évidence à quel point il nous est facile de tomber dans des réflexes de délimitation inconsciente...

Nous dessinons en effet des frontières implicites, invisibles, qui emprisonnent notre champ de réflexion, notre champ des possibles.

La plupart des gens tendent ainsi, très naturellement, à restreindre l'espace autour des 9 points en s'imaginant un carré qui les engloberait, et dans lequel (sans aucune raison) la solution devrait instinctivement s'inscrire.....


Bien évidemment, une fois l'esprit emprisonné dans cette configuration, il n'y a plus aucune solution possible : il faut déjà 4 droites pour rejoindre les côtés, et le point du milieu reste toujours en dehors, ou en dedans (c'est encore une question de point de vue...)...

Bref : ce réflexe bien trop rapide à délimiter l'espace dans des figures simples conduit ainsi à se restreindre à un champ de réflexion dans lequel aucune solution n'existe plus.


L'énigme, pourtant, a bien sûr des solutions...


Toutes nécessitent cependant de s'affranchir de ce réflexe de délimitation intuitive, de restriction implicite : la solution s'inscrit au delà du dualisme intérieur/extérieur, filtre bien trop ancré à travers lequel nous regardons souvent ce qui nous entoure...



Un filtre sur le regard, qui, par projection, ressemblerait bizarrement à une autre forme de filet jeté sur le monde...


...

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Pour ceux qui, enfin, douteraient encore de l'intérêt de se libérer du réflexe des cases intuitives (ou de frontières invisibles), voici une des multiples solution à l'énigme présente :


Celle-ci s'est bien sûr affranchie de la frontière implicite...

jeudi 19 janvier 2012

Frontières

Fukushima.
Un nom soudainement sorti de l’anonymat en ce printemps 2011, et qui fait trembler aux quatre coins de la planète.
 
Et comme toute chose qui fait trembler, Fukushima est aussitôt sur toutes les lèvres des animateurs des chaînes les plus regardées du globe. Les experts nucléaires ont été sortis de leur placard, gominés en loges puis amenés sur les plateaux pour nous dire toute la vérité, rien que la vérité, promis juré craché.
 
ZDF, la chaîne la plus regardée d’Allemagne ne pouvait bien évidemment pas ne pas en être. Heure de grande écoute, le sujet est débattu, dans la plus grande transparence.
 
L’animateur vedette, au brushing soigné et au sourire éclatant, mine grave et chic, tient dans sa main droite une petite liasse de feuillets, debout, bien droit, comme repassé d’une pièce dans son costume. Dans ces feuillets, l’absolue vérité.
 
Et pour étayer cette absolue vérité, plusieurs invités graves sont là, vissés au fond de leur canapé décontract, pour donner encore plus de vrai à cette vérité. Un expert des experts nucléaires est même en direct au téléphone…
 
Silence sur le plateau, l’expert des experts parle.
 
L’animateur brushing est immobile, concentré, attentif, comme un jour de messe. Il nous regarde droit dans les yeux, comme le ferait un parent qui regarde son enfant pour s’assurer qu’il écoute bel et bien, à moins que ce ne soit le regard intime qu’échangerait un ami, un confident, qui serait là pour nous rassurer un grand jour d’angoisse, un ami qui connaîtrait l’ami d’un ami qui aurait toutes les réponses à nos interrogations, nos peurs existentielles, et qui saurait nous conseiller pour mettre de l’ordre dans nos sentiments.
 
La conversation téléphonique entre l’animateur et l’expert des experts continue, et nous le regardons toujours, suspendus à ses lèvres, à leurs lèvres, visibles ou invisibles, à son regard bien visible, rivé sur nous…… l’hypnotisme est parfaitement exercé.
 
Nous sommes suspendus à la conversation… et la fin de la discussion approche enfin :
 
‘Alors toutes les centrales d’Allemagne sont sures, c’est bien ce qu’il faut retenir ?
-       Exactement
-       Et vous êtes absolument sûr, nous dites-vous ?
-       Absolument sûr sûr’
 
Nous voilà rassurés (cela veut dire ‘sûr’ 2 fois).
Remerciements, tapes amicales dans le dos, nous pouvons enfin souffler.
 
Eteindre la TV, débarrasser la table, et faire la vaisselle le plus sereinement possible. Coucher les enfants, lire une contine et, après une dernière bise, éteindre la lampe de chevet.
 
Bonne nuit les petits.
 
 



Dans le ciel étoilé, de ce printemps fébrile, tandis que le marchand de sable dépose sa livraison au pied de chaque porte, la lune brille. Gentiment, généreuse et ronde, elle balaye de son essence laiteuse les toits des chaumières, les jardins, les forêts et prairies, et embrasse ainsi indistinctement au fil des heures tout un territoire, jusqu’aux paysages les plus reculés.
 
Puis arrive le moment où ses rayons, fatalement, rencontrent la ‘ligne’…
 
Sur les eaux du Rhin, écailles scintillantes, les ultimes reflets de l’Astre nocturne se figent. Au-delà de la ligne médiane, un autre pays. D’autres lois. Une autre physique.
 
Cette ligne, concentration des ultimes propagations, est effervescente. Nous dirions une chaîne de lucioles et de vers luisants…
 
Au-delà, pas de diffraction, ni réflexion.
La pénombre. Un autre milieu.
 
Ailleurs. Autre part.
 
 
C’est pour cela que les frontières ont été inventées.
Pour définir un ici, et un ailleurs. Définir un dedans et un dehors. Inclure ou exclure.
Et, définissant éventuellement des portes, des passages, prémunir ainsi le territoire de toute invasion barbare.
 
 
En cette nuit claire et étoilée, les reflets de lune doivent donc terminer leur promenade sur la ligne médiane du Rhin. C’est la règle, en bonne et due forme.
 
La surface lisse du béton sur l’autre rive reste donc dans la pénombre. C’est le deal.
Les cheminées de Fessenheim restent ainsi dans l’obscurité complète, chaque nuit, promettant implicitement de ne jamais dépasser de leurs vapeurs ladite ligne.
 
Les nuages, dociles et respectueux, remontent ainsi selon les vents en aval ou amont du Rhin, longeant scrupuleusement les frontières de France jusqu’à se déverser en mers ou sur les monts aux neiges éternelles.
 
Et grâce à cette docilité, chaque citoyen allemand peut s’endormir à poings fermés : ‘sûr sûr’, c’est bel et bien ce que nous a dit l’ami de l’ami… ah, quel sourire cet animateur.
 
Grâce à la frontière, Slovaquie, Belgique et Fessenheim resteront de l’autre côté.
 
 
Comme l’ont fait les vents ukrainiens il y a 25 ans.
 
 
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Cette capacité à occulter ‘l’au-delà’ est fascinante.
 
C’est un réflexe. Un conditionnement.
Qui répondrait instinctivement à un impérieux besoin de simplicité : il faut morceler le tout, l’universel, le vaste, le découper, le séparer, et surtout, ne pas mêler, mélanger, confondre. Ne pas casser les œufs ni les battre.
 
Dessiner des cases au sol, y sauter à pied joints.
Les cases noires (infestées de crocodiles), autour des cases blanches (sauves).
Nous sautons de l’une à l’autre, manquant perdre l’équilibre, nous persuadant même d’une illusion de protection.
 
De maîtrise…
 
 
Face à chaque menace, la frontière vient nous sauver, nous extraire du tout.
Comme un couvercle posé sur le feu, une cloche protectrice.
 
 
 
Pourtant, l’A36 enjambe le Rhin, indifféremment, à 110 km/h. Les dernières guérites de contrôle ont été arrachées. La douane et ses képis verts ont disparus depuis quelques années.
 
Espace Shengen, Communauté Européenne, Mondialisation…. Explosion des flux, des communications. Telle est la modernité.
 
Rien ne différencie plus vraiment l’ici ou l’ailleurs.
 
 
Que peut donc encore signifier le mot ‘frontière’ ?...
 
 
Comme un mot usé, une chemise trop longtemps laissée au grenier. Fripée, désuète.
Un vague souvenir de voyage scolaire.
 
Quelques battements de cœur au moment de chercher une carte d’identité…
 
 
Si lointain…
 
 
La frontière s’est peu à peu effacée et a disparu de notre quotidien sensible. Nous pouvons voyager librement, où bon nous semble, en toute liberté ou presque, en voyage organisé ou en tandem… l’espace quasi infini se dévoile par l’expérience, qui, longtemps, ne fut le lot que de quelques privilégiés.
 
 
Et pourtant, en cas de catastrophe, il suffit de faire appel à cette abstraction de l’esprit, la ‘frontière’, pour se laisser endormir paisiblement…
 
 
Il suffit de toucher du bout du doigt l’antenne de l’escargot pour qu’il se recroqueville dans sa coquille… coquille futile.
 
 
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Juin 2011.
Bel été.
 
Le pétale soyeux du coquelicot se plie et se déplie, se grattant d’aise sur un cœur ferme et grossissant.
 
Autour de lui, les épis de blé grandissent, encore et encore. La terre est chaude et diffuse doucement des volutes humides et parfumées.
 
Un homme fait les cent pas. Sous sa casquette, son front trop humide fond sur ses paupières. Les yeux lui piquent tant qu’il se les essuie régulièrement de sa manche.
 
Un martin pêcheur passe non loin de lui.
 
Demi-tour. L’homme remonte le long du périmètre grillagé.
 
 
Patrouille dans la campagne silencieuse de Mazurie.
Fidèlement, le radar rotatif balaye le ciel, à l’affût de toute menace.
 
Celui-ci le balaye d’haut en bas, celui-là d’est en ouest, un autre encore module le ratissage.
 
Drôles d’automates doués de mouvements idiots.
Autour d’eux, pas un seul homme. Notre patrouilleur a disparu derrière une des nombreuses buttes.
 
Terrain vague, clôturé de barbelés.
Si absurde sous ce ciel d’été…
 
 
Un paysage de frontière.
D’un autre temps, d’une ancienne ère…
 
 
Précieuses ridicules, à l’ère Fukushima…
 

dimanche 15 janvier 2012

Départ de Sejny


Gourdes remplies engagées sur portes-bidons. Bagages réunis dans la carriole, capot refermé. Carriole solidarisée. Mitaines, lunettes, casques enfilés.
A vos selles, nouveau départ.

Aujourd’hui grand jour, puisque nous quittons Sejny ; dans moins d’une heure, nous aurons franchi la frontière lituanienne.

Nous remettons le compteur à zéro, adoptons dorénavant le ‘laba diena’ et le litas.

Nous poussons l’embarcation jusque la chaussée, l’enfourchons. Clic de pédale. Nous montons sur nos selles et nous nous élançons.


Au cœur de Sejny, les étals du marché se montent, nonchalamment, à un rythme de petit jour. Murmures, quelques rires, dans de légers bruits métalliques.

Une vie paisible.


Face au joyau rococo, un mémorial a été dressé, priant chacun de ne pas oublier.

Katyn.



Des fleurs ont été déposées. Le monument a tout juste un an. Les massacres de temps qui nous semblent anciens sont tout justes en train d’être pansés…

Enfin, nous passons la pancarte de Sejny.

De ce côté-ci, un totem de bois a été dressé pour accueillir le voyageur.
Des personnages y sont sculptés. Une femme, éplorée. Trois enfants, tenant chacun une feuille. Une feuille de chêne, une feuille de frêne, une feuille de tremble.

Et au pied du totem, le roi serpent.



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[…] Toi mon aîné, tu vas tout de suite te transformer en chêne solide et fort, car tu t’es bien comporté en face de ces assassins et tu ne leur as pas cédé. Toi, mon cadet, tu deviendras un frêne souple et résistant car tu t’es aussi conduit avec bravoure. Quant à toi, ma petite fille, ma préférée, je te change en tremble timide dont les feuilles frémiront et bruiront sans cesse, comme tu as toi-même frémi en face de tes ennemis, au point d’avouer le nom de ton père.

Moi, je me changerai en saule pleureur, la tête penchée au-dessus de la surface du lac, et je pleurerai mon amour […]’.





dimanche 8 janvier 2012

Epilogne


Lorsqu’arrive le moment tant redouté de refermer un livre qui nous a tant plu, nous sommes souvent pris d’une profonde mélancolie. Par chance, parfois le livre a-t-il une suite, mais cette suite elle-même, si elle reste aussi savoureuse, nous laissera de même sur un sentiment tout aussi désarmant une fois la dernière page parcourue. Et le problème reste alors entier.

Pour distiller cette mini détresse, certains se remémorent l’histoire, l’intrigue, quelques temps forts… rien qu’une petite goutte, juste une. Il est alors si dur de retomber dans l’ici et le maintenant !

Pour rester ‘entre ces deux temps’, il est alors souvent agréable de poser le livre à terre et de monter sur une échelle (bien sûr, ne prenez pas cette phrase à la lettre !...). De prendre du recul, et d’essayer d’appréhender les contours, la structure. Les articulations, et la construction de l’ensemble.

Et de se demander en quoi ce livre nous a tant plu (se demander en quoi il nous a déplu est d’ailleurs une question toute aussi intéressante, mais qu’étrangement, on préfère souvent écarter…). Se demander en tout cas ce qu’il nous a apporté, et en quoi il nous a changés.


À la veille de traverser la première frontière des pays baltes, en nous allongeant comme des sultans sur un lit moelleux du consulat, et de surcroît après une délicieuse douche, le moment nous semble idéalement choisi pour poser par terre ce bout de Pologne que nous avons traversé et le regarder du haut de l’échelle.


Ce sont avant tout des visages qui nous reviennent. Ceux des personnes qui, un instant durant, nous ont ouvert leur quotidien, se sont arrêtées un moment pour nous faire part de leur ‘vie’. De leurs valeurs, de leurs espoirs, de leurs fiertés. De leur colère, de leur frustration. De leur passion.

Et puis, plus nombreuses, toutes ces silhouettes que nous avons simplement croisées. Le grand-père sur sa voiturette. Les porteurs d’eau croisés en bord de route. L’armée d’ouvriers qui construisent voiries et trottoirs. Le faucheur à la faux, aux chemises de toile épaisse…

Et plus encore.

Et chacune de ses personnes, croisée à un instant de vie, un instant d’action, ou d’inaction, de joie ou de peine.

De cette Pologne traversée, que garder alors en mémoire ?...


Le temps est le fluide au sein duquel le vécu se dilue pour n’en extraire que l’essentiel. Mais nous sommes toujours impatients, et voulons toujours savoir le plus vite possible... l’immédiateté est un nouveau règne et nous transforme tant.


De cette dictature du temps, surgit en nos esprits un contour, par lequel un bout de la pelote semble se présenter. La jeunesse.

La jeunesse, ce temps éternel et éphémère.
Dorota. Son enthousiasme et sa volubilité.

La jeunesse expatriée. Mobile, et enthousiaste. Aux manches retroussées, et à la Foi inébranlable. Voici bien une des articulations de cette grande pelote.

Une jeunesse dispersée qui laisse l’espace au cœur du pays, loin des grandes villes, comme… quel est le mot inverse d’’orphelin’ ?

De fait, une fracture évidente s’est ouverte. Le monde des campagnes, où ne restent que parents et grands-parents vieillissants, semble s’être figé. Un monde sans relève, toujours plus fragile, chérissant en son for intérieur l’ancien temps... le temps d’un autre régime, d’un autre monde. Plus sûr… en tout cas, moins incertain.



L’année prochaine, la Pologne devrait intégrer la Zone Euro. Un passage qui, au regard de l’inflation de ces dernières années, se promet déjà, pour les plus fragiles, douloureux…

Certains parmi vous auront peut-être compris ‘Euro’, comme la coupe européenne de football !

Ce n’est pas forcément mal interprété. Aux dernières nouvelles, le financement des infrastructures correspondantes (qui devait initialement être porté à 80% par des initiatives privées) devrait être apporté par des finances publiques, en période de grande frilosité… et les jeux de 80, par analogie, nous reviennent forcément en tête.

Et le fond du problème nous semble finalement trente ans plus tard identique.

Derrières les athlètes, se sont toujours valeurs et zones d'influences qui s’affrontent. La discothèque Miami, les photos de Las Vegas dans la salle de jeu Hadès, et les rivières déversées par les tubes cathodiques (ou écrans plats…) conduisent tous dans le même sens.

Le jeu. Le plaisir. Le devoir du plaisir.
L’argent. La possession. La démonstration.



‘You must be ambition !’
Le lapsus de Dorota nous revient en tête…

La transformation est en cours.
Les opportunités professionnelles se multiplient à celui qui adopte la mobilité, l’anglais est de plus en plus parlé, ainsi que l’allemand. Pistes cyclables et grandes surfaces se déroulent telles un tapis ancré de l’autre côté du Rhin, et de nombreuses infrastructures sur financement européen sont accueillies avec grande satisfaction. La conversion est en cours.

Pour les convertis, l’émulation européenne semble flotter. Un réel contraste avec le marasme franco-français, ce pays si familier et parfois si étranger qui en cet instant nous semble si ‘loin’…

Loin de cette émulation. Loin de cette Foi de jeunesse…



Dans la salle de jeu Hadès, les flèches de la cathédrale de Köln.

L’Allemagne est en effet un modèle pour le jeune polonais, aussi prégnant que l’american way of life fantasmé. Et bon nombre de membres de cette jeunesse convertie franchit d’ailleurs l’Oder avec un réel enthousiasme. Un partenariat franc et massif qui semble laisser la France (peut-être trop frileuse, ou simplement autocentrée…) en marge des dynamiques actuelles.

Signe des temps, une gigantesque pancarte a été déployée, avenue ‘Unter den Linden’, au cœur du cœur de Berlin. Une reconnaissance adressée au jeune trentenaire polonais, ‘locomotive’ concrète de l’Europe actuelle…


 … ce trentenaire, au retour aux sources (à l’image d’Ywonne), sera-t-il capable de remédier à la double fracture (sociale, environnementale) qui gagne son pays ? Saura-t-il s’émanciper de sa ‘grande sœur’ et développer son propre modèle sans renier son histoire ?

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Le long de cette même avenue, il y a 2 ans, se jouait l’un des plus grands moments festifs qu’ait connu l’Europe ces dernières décennies.

Le vingtième anniversaire de la chute du mur.

Géants et dominos à la fête, et Merkel, au bras de Walesa, invité d’honneur.
Walesa, cette figure nationale, ce symbole.

Comme vingt ans auparavant, nous faisons office de figurants.

A l’Est, une nouvelle Europe se créée.
Une jeune Europe. De vingt ans à peine.
Une Europe adolescente, dynamique, insolente, et fragile…

… et étrangement, nous ne semblons pas la voir, ou peut-être préférons-nous l’ignorer.

De cette Pologne, l’esprit commun tricolore ne retient actuellement que son plombier, et peut-être (encore), sa figure papale…

Et dans nos têtes résonne justement cette voix, claire et portée au-delà des frontières

‘Non abbiate paura !’

S’il savait……..